Villiers de L'Isle-Adam 1521-1522

 “L’Ile de Rhodes”

“L'Ile de Rhodes”, by Édouard Biliotti and L'Abbé Cottret, 1881.

https://books.google.ca/books?id=5jIOAAAAQAAJ&pg=PA287


CHAPITRE  XXVI.  

VILLIERS DE L'ISLE-ADAM 1521-1522 

Dix-neuvieme & dernier Grand-Maitre a Rhodes


Le Chapitre réuni pour l'élection du successeur de Fabrice Carretto, hésita beaucoup entre Thomas d'Ocray Grand-Prieur d'Angleterre, et Philippe Villiers de l'IsleAdam, Grand-Hospitalier et Grand-Prieur de France.  Le premier se recommandait au choix des électeurs par de nombreuses et étroites relations d'amitié dans les Cours d'Europe, par ses immenses richesses personnelles et par sa libéralité; le second, qui se trouvait alors en France, était estimé pour sa bravoure, pour ses capacités militaires et pour la franchise de son caractère.  La discussion fut animée; enfin la majorité des suffrages fut acquise à l'absent (21 Janvier 1521), et la nouvelle de son élection accueillie avec la joie la plus vive, non seulement par les Chevaliers, mais aussi par la population toute entière.

Thomas d'Ocray fut le premier à lui adresser ses félicitations les plus sincères; seul de Chevalier André d'Amaral, ou Del Miral, Grand-Chancelier de l'Ordre, et GrandPrieur de Castille, fut vivement blessé de ce choix.  Deçu dans son espoir secret de se voir élevé au commandement suprême, il prophétisa que "Villiers de l'Isle-Adam serait le dernier Grand-Maître qui régnerait à Rhodes”, prophétie à la réalisation de laquelle il aida de tout son pouvoir, et pourtant, les difficultés de la situation auraient dû éteindre toute ambition orgueilleuse dans les cœurs même légitimement convaincus de leur supériorité.

De l'Isle-Adam avait à peine reçu la nouvelle de sa nomination qu'il se disposa à partir pour Rhodes; instruit des projets de Suleiman, il invita tous les Chevaliers alors en Europe, à le rejoindre dans le port de Marseille, d'où il mit à la voile à bord de la grande caraque de l'Ordre, suivi par quelques fellouques chargées de munitions de guerre et de provisions.

La négligence d'un officier ayant allumé l'incendie à bord de la grande caraque, l'équipage, sous l'impression d'une terreur panique, se disposait à abandonner le navire; mais l'énergique volonté de Villiers de l'Isle-Adam parvint à le maintenir; il le maîtrisa, et l'activité qu'il lui fit déployer, eut bientôt raison du feu.  Au danger conjuré de ce terrible élément, en succède un autre non moins redoutable; une horrible tempête assaillit la flottille et la mit à deux doigts de sa perte; la foudre tombant sur la caraque, pénètre dans la chambre du Grand-Maître, brise son épée sans endommager le fourreau et y tue neuf hommes de sa suite.  Fâcheux incident, qui les esprits superstitieux interprétèrent comme un pronostic certain de la chute prochaine de l'Ordre.

Tout autre que Villiers de l'Isle-Adam se serait peut-être laissé abattre par de si malheureux débuts, surtout si aux éléments conjurés on ajoute les conseils donnés à Syracuse, où il avait relâché pour réparer ses avaries, de ne pas continuer sa route, Ces conseils venaient à la suite d'informations précises sur un péril d'un autre genre à affronter inévitablement.  On nommait au Grand-Maître Kurdoglou Mouslouheddin; Villiers n'ignorait pas que ce turc avait à venger la mort de deux de ses frères tués par les Chevaliers, et la captivité du troisième détenu à Rhodes; corsaire habile, et plus altéré de la soif de la vengeance que de celle de For, il devait traiter avec la barbarie la plus cruelle quiconque appartenait à l'Ordre, et surtout son chef; mouillé au Cap Malée il l'attendait au passage dans le silence féroce du tigre; Villiers de l'Isle-Adam le sait encore; mais confiant en Dieu et en sa bravoure il continue sa route, double la Cap Malée pendant une nuit sombre, et le 19 Septembre il arrive à Rhodes, où sa présence ranime les courages et fait renaître la confiance.

Les Princes orientaux ont toujours eu pour système de dissimuler leurs véritables sentiments, ce qui justifie le proverbe Turc: Je le crains parce qu'il me caresse; Villiers de l'Isle-Adam était à peine arrivé à Rhodes, que Suleiman le Magnifique lui envoyait un ambassadeur porteur d'une lettre de félicitation rédigée en grec, et dont Bosio (Tome 2, 1.18) nous a conservé le sens.  Elle était conçue en ces termes:

“Le Sultan Suleiman le Magnifique, par la grâce de Dieu, Roi de Rois, Souverain de Souverains, très grand Empereur de Constantinople et de Trébizonde, très puissant Roi de Perse, d'Arabie, de Syrie et d'Égypte; Maître suprême de l'Europe et de l'Asie; Prince d'Alep, gardien de la Mecque, possesseur de Jérusalem, et dominateur de la mer universelle, à: Philippe Villiers de l'Isle-Adam, Grand-Maître  de l'Ile de Rhodes, salut”.

"Je te félicite de ta nouvelle dignité et de ton heureuse arrivée dans tes États; je te souhaite d'y régner avec plus de bonheur et de gloire encore que tes prédécesseurs.  Il ne tient qu'à toi de participer aux bienfaits de Notre haute bienveillance et de jouir de Notre sublime amitié; comme ami, hâte toi de Nous féliciter à ton tour des conquêtes.  que Nous venons de faire en Hongrie, où Nous avons soumis l'importante place de Belgrade, après avoir passé au fil de Notre redoutable épée tous ceux qui ont osé Nous résiter.” 

L'Ambassadeur était chargé d'ajouter verbalement les compliments les plus flatteurs, et de mitiger dans ses explications le sens quelque peu menaçant de la dernière partie du message écrit.


Après avoir consulté son Conseil, le Grand-Maître répondit en ces termes :

"Frère Philippe Villiers de l'Isle-Adam, Grand-Maître de Rhodes, à: Suleiman Sultan des Turcs', salut.”

"J'ai très bien compris la lettre que m'a portée votre envoyé; Vos propositions de paix et d'amitié me sont aussi agréables qu'elles doivent l'être peu à Kurdoglou, qui a cherché à me serprendre dans mon trajet de France à Rhodes; n'ayant pas réussi dans ce projet, il a pénétré dans le canal de Rhodes, où à la faveur de la nuit, il a attaqué et capturé deux navires marchands voyageant sous notre protection; mais les galères de l'Ordre que j'ai envoyées à sa poursuite, l'ont battu, mis en fuite et forcé d'abandonner ce qu'il avait déjà enlevé aux marchands.  Adieu".

Il aurait été téméraire d'expédier cette lettre, plus précise et moins complimenteuse, par un membre de l'Ordre; car le Sultan aurait pu trouver un prétexte quelconque pour le retenir en otage; le Grand-Maître en chargea un Grec, simple bourgeois de Rhodes, qui revint accompagné par un officier porteur d'une lettre de Pir-Mehmed Pacha, alors Grand Vésir, et d'une seconde missive de Suleiman.

La premier contenait un blâme pacifique du peu de rcspect que l'Ordre avait manifesté à l'égard du Sulan par l'envoi d'un Ambassadeur d'aussi basse condition, et donnait au Grand-Maître le conseil d'être un peu plus modéré dans ses expressions; l'autre laissait percer beaucoup plus franchement l'irritation et la menace.

Villiers répondit au Vésir pour le remercier de ses conseils et lui annoncer qu'il était tout disposé à envoyer un Ambassadeur, s'il voulait lui fournir un sauf-conduit.  Sa réponse au Sultan fut aussi ferme que la lettre qu'il en avait reçue:

“Je ne suis point marri que tu te souviennes de moi et des miens autant que je me souviens de toi.  Tu me rappelles tes victoires en Hongrie, et tu m'annonces une autre entreprise de laquelle tu espères tirer le même succès; mais tu ne penses pas à une chose; c'est que les projets les plus incertains, sont ceux qui dépendent du sort des armes.”

Le fier langage de Grand-Maître n'était pas fait pour détourner Suleiman du projet mûrement arrêté dans son esprit de conquérir Rhodes.

Dans son Manuscrit, Ahmed Hafouz raconte que les ministres du Sultan, “lui représentaient Rhodes comme un nid de hardis forbans; qu'ils violaient impunément le droit des gens, en interceptant le commerce de ses sujets, en inquiétant les pieux Musulmans qui se rendaient à la Mecque, et dont plusieurs étaient soumis à la plus dure captivité.  Ils lui rappelaient que tous ses glorieux ancêtres avaient caressé l'idée de s'emparer de ce célèbre château de Rhodes, que le Sultan Mohammed Khan, d'heureuse mémoire, y avait envoyé Messih Pacha avec des forces considérables qui n'avaient pas réussi à enlever cette redoutable forteresse contre laquelle ils avaient épuisé leurs efforts dans deux assauts meurtriers et pendant trois mois de siége.  Que cet insuccès avait d'autant augmenté l'impudence des infidèles qui s'y étaient fortifiés et n'adoraient d'autre Dieu qu'une idole qu'ils appelaient San Givan (St. Jean), à laquelle tous les pays infidèles (l'Europe), envoyaient des offrandes, et à laquelle étaient donnés en Vacouf (consécration religieuse), tous les Châteaux et villages de l'Ile.  Ces rapports étant confirmés par des marchands musulmans, par de pieux pèlerins et par des lettrés dignes de foi, le glorieux Sultan, qui était le père micéricordieux de son peuple, entra en grande colère, et jurant la conquête de Rhodes, il pria Dieu de l'aider dans cette entreprise.  Ouvrant alors les portes du trésor Impérial, il appela son noble Vésir Azim Pacha, et lui ordonna d'y puiser aveuglément toutes les sommes nécessaires aux formidables armements que nécessitait une pareille entreprise; car Rhodes était réputée avec raison pour une forteresse imprenable, il le savait, et il fallait que les préparatifs fussent faits en conséquence.  On se mit immédiatement à l'œevre, et on fondit encore 1000 pièces d'artillerie, canons et mortiers; on retira ensuite du dépôt un grand nombre de fusils, de sabres, de haches, enfin d'armes de toutes sortes, qui devaient être embarquées sur les navires de la flotte Impériale.”

Suleiman venait donc d'achever ses immenses préparatifs contre Rhodes; il était fier d'avoir déjà acquis une partie de ce testament de conquête que lui avait légué Sélim son père: Tu règneras grand et puissant, pourvu que tu chasses les Chevaliers de Rhodes, et que tu prennes Balgrade.  Cette dernière ville était alors tombée en son pouvoir et les mêmes guerriers qui l'avaient réduite à discrétion venaient avec confiance et enthousiasme tenter les mêmes efforts contre la redoutable forteresse des Chevaliers.

"Les forces navales de Suleiman consistaient en 500 galères, 50 mahonnes, 50 bastardes, 100 galions et frégates.  Ces différents navires desservis par 40,000 rameurs, portaient 25,000 soldats d'infanterie, que, sur le sublime ordre Impérial, les Sandjac-Beys et les Beyler-Beys (Gouverneurs généraux) avaient expédiés des Provinces.  avec armes et bagages; car le magnanime Sultan les destinait à renouveler la face du Monde.  Ces recrues arrivaient par divisions, précédées par le corps des Ulémas, par le grand étendard de l'Islam, et par les trompettes; elles étaient aussitôt réparties sur les navires de la flotte.  Chaque division s'embarquait accompagnée par des prières du peuple et des bénédictions du Sultan, et ces prières étaient répétées sur chaque navire à bord duquel les troupes étaient consignées".

"Toutes ces forces réunies entre l'Arsenal Impérial et Galata, en face de le mosquée d'Éyoub, ayant mis à la voile le 10 Redjeb 928 (5 Juin 1522), couvrirent toute la surface de la mer jusqu'à Bechictach.  Chaque galère, chaque mahonne, chaque galion, chaque frégate avait à la proue, à la poupe, aux mâts, les drapeaux de l'Islam, brillants de l'or de leurs broderies et ondulant au souffle de la brise.  Les hymnes entonnés par tant de milliers de voix, les fanaux rayonnants, les riches tentes étendues, les proues dorées, l'harmonie des zournas (zampognes), les chants joyeux des rameurs, le clapotis des ondes bleues, le sillage argenté des barques, le bruit cadencé des rames, le grincement même des cordages, remplissaient l'air d'allégresse et charmaient l'œil.  Ce jour là fut bien joyeux pour l'Islam, et le succès ne laissa aucun doute dans les esprits.” 

“Avant le départ de la flotte, le Vésir Azim sollicita encore et obtint une audience du glorieux Sultan; il lui demanda la permission de confier à ses soldats ces drapeaux de guerre sur lesquels les succès qu'ils ont eus, sont, avec le nom béni du Prophète, inscrits en lettres d'or; drapeaux qui, par la grâce et la bénédiction de Dieu, ont parcouru victorieux les Provinces et les Royaumes.  Le magnanime Sultan, accédant à cette demande, tend les mains vers le Dieu tout-puissant, et le supplie de lui accorder la conquête de Rhodes.  A cette prière, non seulement les fidèles sur la terre, mais même les anges dans le Ciel répondirent: Amen.” 

“La prière achevée, le Pacha, commandant en chef, accompagné par tous les Vésirs, se rendit à l'échelle où l'attendait la grande galère; alors toute la flotte déployant ses voiles, s'avança majestueuse et imposante, couvrant toute la mer, et défila le long du rivage couvert d'uno innombrable multitude.  Comme elle passait devant le Sérail, le noble Pacha ayant aperçu le glorieux Sultan à une des fenêtres, ordonna qu'un coup de canon fut tiré de son navire, et alors toute l'armée d'une voix unanime cria: Allah eukhber! et des salves retentirent du bord de chaque navire qui défilait sous les nobles regards de son Maître.  Le bruit de tant de canons était assourdissant, et la fumée enveloppant toute la flotte en marche, la déroba aux yeux avant qu'elle eut disparu à l'horizon; cependant les braves qui la montaient, devisaient entre eux de leurs futurs exploits.”

“Le lendemain la vaillante flotte Impériale atteignit Gallipoli, port de Roumélie, où elle stationna pendant quelques jours.  Les troupes de l'Islam, leur Pacha en tête, offrirent des courbans (sacrifices); ils distribuèrent des aumônes aux pauvres, qui pleins de joie, leur prodiguaient des bénédictions; ils allèrent ensuite faire leurs dévotions sur le tombeau du bienheureux Yazidgi-Oglou Mehmed Efendi, où ils répandirent d'abondantes larmes de joie et de satisfaction.  Levant ensuite l'ancre, la flotte s'engagea dans le canal de Kilid-Bahar-Sultanié; là les châteaux et les navires échangèrent des saluts si bruyants, que les populations environnantes effrayées par tant de bruit et par la commotion que la terre et l'air en ressentaient, accoururent tout étonnées.  Après une courte station pendant laquelle on offrit des courbans et l'on fit des prières, la flotte en bon ordre, passant Boghas-Hissar, s'engagea dans la Mer Blanche (Méditerranée).”

“Alors le Pacha adressa des prières au Dieu tout-puissant afin qu'il inspirât la crainte aux infidèles du Frenghistan (Europe), qu'il savait faire de grands préparatifs en navires et en soldats, pour venir au secours de Rhodes.  Suivant l'ordre vénéré du Sultan, à partir de cet endroit, la direction de la flotte devait être remise à Kurdoglou Mousluheddin, Capitaine expérimenté, et ennemi implacable des infidèles, dont il buvait le sang comme du vin; il connaissait bien la Mer Blanche pour l'avoir parcourue en tous sens, lorsque le Sultan Sélim, d'heureuse mémoire, l'ayant envoyé contre Nour-Allah pour conquérir l'Égypte, il en était revenu avec de nombreux prisonniers et un riche butin.  Comptant sur son expérience, Sultan Suléiman, le victorieux, lui avait expédié son Capoudji-Bachi,.  pour l'inviter à venir prendre la direction de la flotte, et Kurdoglou toujours soumis aux ordres de son Padichah était accouru, et se prosternant aux pieds du Trône sublime, il assura à son Maître qu'il connaissait si bien la Mer Blanche, qu'aucun port, baie ou canal ne lui était étranger et qu'il pourrait y pénétrer même de nuit; satisfait de cette assurance, le généreux monarque lui fit cadeau d'un riche caftan et lui confia la direction de sa flotte.  Lorsque celleci fut arrivée à Kaz-Daghi, s'arrêtant à l'embouchure du fleuve, Kurdoglou vint baiser les mains du noble Pacha, et lui dit- Nous voilà désormais dans la Mer Blanche; il peut se faire que nous rencontrions la flotte des infidèles; qu'ils vous plaise donc d'ordonner que l'on fasse bonne garde sur chaque navire de la flotte Impériale, et que l'on double les vigies; cela est nécessaire....  Le Pacha donna des ordres en conséquence” …

"Arrivée devant Sakiz (Chio), où elle fit une courte station) la flotte Impériale se partagea en deux divisions, dont l'une sous le commandement du brave Kurdoglou s'engagea dans le canal, tandis que le reste passant hors des Iles, singla directement vers Rhodes en forçant de voiles".  "Pendant ces mouvements de sa vaillante flotte, le sublime Sultan quittait lui même Constantinople le 18 Redjeb de cette même année 928 (13 Juin 1522), à la tête de l'armée de terre partie de la veille pour Scutari” …

“Après quelques instants de repos dans cette ville, il appela le Caïmacam de Constantinople et en présence de l'Aga des Janissaires et du Djeptchi-Bachi (Intendant de la bourse privée), des Ulémas et d'autres chefs auxquels il distribua des habits de gala et des chevaux, il lui recommanda de veiller strictement à l'envoi régulier des munitions de guerre et à ce qu'aucun dommage ne fut causé aux pauvres Rayas, entendant que l'on agît toujours conformément à la Loi.  Les assistants se prosternèrent et promirent les larmes aux yeux d'obéir fidèlement à cet ordre sublime; ayant ensuite revêtu les riches habits qu'ils devaient à la générosité de leur Souverain, ils adressèrent au Ciel des prières pour sa conservation et pour le succès de son entreprise, après quoi prenant congé de lui ils retournèrent à Constantinople.” 

"Quittant lui même Scutari, le magnifique Sultan, arriva à Kutahia le 7 du mois de Chaban (2 Juillet), d'où il se rendit à Yenichéher; c'est là que d'après ses ordres, les différents corps d'armée devaient se concentrer; en effet la plaine de Munderiz et les montagnes qui l'environnent étaient occupées par des milliers de soldats arrivés de toutes parts, et auxquels il fut accordé trois jours pour se reposer.”

“Cependant le noble Vésir Moustafa Pacha, forçant de voiles et poursuivant sa route jour et nuit, était arrivé avec toute la flotte Impériale en vue de l'ile de Halki où les infidèles possédaient un château.  Il ordonna au Capitaine Karà Mahmoud, qui avait déjà combattu les infidèles et fait beaucoup de prisonniers auxquels il avait rasé la tête et la poitrine, d'aller recevoir ce château.  Suivi par quelques galères de la flotte Impériale et quelques braves Musulmans, il alla requérir la forteresse; mais les infidèles qui y tenaient garnison, ayant refusé de se rendre, il fallut engager les hostilités; enfin les soldats de l'Islam purent l'emporter d'assaut le 20 Chaban (15 Juillet) et y arborer leur drapeau.”

“De son côté le noble Vésir toutes voiles déployées par une brise favorable, avançait avec les galères les mahonnes et les galions qui bondissaient sur les ondes comme les animaux féroces bondissent sur les montagnes; il était beau à voir ce spectacle de 700 navires de toutes grandeurs avançant fièrement à la suite du noble Pacha, qui ordonna à Yéni Moustafa Bey d'arborer le beau drapeau de l'Islam et d'aller avec dix galères reconnaître le château de Rhodes.”

“A la vue de ces forces, les infidèles mis en éveil, firent sortir du port leurs propres galères; mais le noble Pacha, voyant ce mouvement, monta sur une bastarde ornée de trois fanaux dorés, prit les devants, et s'engagea dans le canal de Rhodes à la rencontre de la flotte des infidèles; le reste de le flotte Impériale le suivait en bon ordre, comme les grues suivent le chef de file; les infidèles furent forcés de rentrer au port pour s'y réparer.  Remontant alors le canal, le noble Vésir vint mouiller avec la flotte en face de l'endroit appelé Villanova; là réunissant son Conseil, il exposa que l'arrivée de la sublime flotte Impériale étant connue aux infidèles, ils prendraient sans dente des mesures pour contrecarrer leurs manoeuvres c'est pourquoi il croyait à propos de laisser là quelques navires pour faire diversion, et avec le reste de la flotte prendre un autre mouillage.  C'est en conséquence de cet avis que 200 navires, mahonnes, galères et borges furent laissés au mouillage sous le vent de Villanova, tandis que le noble Pacha accompagné de Kurdoglou, descendit le canal avec le reste de la flotte.  Les navires étaient ornés au haut des mâts, à la poupe et à la proue des enseignes Ottomanes surmontées de boules dorées brillant au soleil; ils avançaient par divisions, portant les victorieux soldats de l'Islam armés comme des lions et prêts à tout événement.  Alors le noble Pacha adressa de ferventes prières au Ciel, et ordonna aux timoniers de raser d'aussi près que possible les batteries des infidèles; mais il était interdit aux troupes de décharger canons et fusils; c'est ainsi que la vaillante flotte Impériale défila devant le beau et imprenable château de Rhodes pour aller s'abriter sous le vent d'Eukus Bournou (Cavo-Bovo), mauvais mouillage, dans lequel la flotte n'était pas moins exposée que si elle avait été dans l'enfer.  Pendant son défilé sous le château, les infidèles ayant ouvert le feu par toutes les meurtrières, le noble Pacha pria Dieu afin que leurs boulets en grès, passant au dessus des navires de l'Islam sans les toucher, ne leur causassent aucun dommage; mais quelques uns des boulets tirés du fort Mendrec (fort St. Nicolas), avaient touché un ou deux navires que l'on dût prendre à la remorque; de plus les infidèles, au son des clairons, accouraient le long du rivage pour empêcher un débarquement, et un gros canon qui se trouvait sur le bastion de Tiosmani (sans doute d'Italie), envoyait ses énormes boulets en grès jusqu'à l'endroit choisi pour le mouillage.  Un de ces boulets pénétrant même dans la galère de Kurdoglou, y brisa une rame, mais, Dieu merci, sans tuer aucun homme.  Alors tous les Capitaines réunis en Conseil, convinrent que l'endroit choisi pour le mouillage était peu abrité puisqu'il était exposé aux canons du château et on adopta la proposition d'aller jeter l'ancre à Marmaris (Marmaritza), grand port sur la côte d'Anatolie en face de Rhodes.  Cette décision fut soumise à la haute approbation du noble Pacha, qui avec quelques Capitaines opinait de tenir bon et de compter sur l'assistance divine.  Pendant que l'on délibérait sur cette importante question, un esclave Musulman échappé du château, arrive à Eukus-Bournou; il apprend au noble Vésir, aux Pachas et Capitaines encore indécis, que le gros canon dressé par les infidèles au dessus de Kyzil-capou, (porte S.  Jean ou porte Coskinou), et dont les boulets arrivaient jusqu'à Eukus-Bournou, venait d'éclater chargé de pierres, de chaînes, de clous et de plomb, destinés à causer de grâves dommages à la sublime flotte Impériale.  Dieu avait tourné contre eux mêmes les ravages qu'ils en espéraient et ils en étaient tout ahuris.

A cette bonne nouvelle, le fortuné Pacha fit présent à l'esclave d'habits précieux, et lui assigna une pension viagère de 10 aspres par jour.  Les braves soldats de l'Islam informés aussitôt de cet heureux événement, s'en réjouirent et en rendirent grâces à Dieu.  Ordre fut alors donné de sortir de chaque navire les canons de gros calibre pour les braquer en batteries de siége près de la ville; mais celle-ci était construite par des ingénieurs habiles, et tandis que ses édifices s'élevaient vers le ciel, ses fortifications très basses et protégées par de larges fossés, ne laissaient paraître au dessus du niveau du sol que leurs solides crénaux et leurs terres-pleins d'une épaisseur de 7 Ziras (4 63.); un port merveilleux solidement défendu et ayant à son centre l'Arap-Kouleh (tour de Naillac), la contournait du côté de la mer; en vérité ceux qui avaient dressé le plan de cette ville méritaient des éloges.  Afin de mieux protéger encore ce port déjà si bien défendu, ils en avaient fermé l'entrée par une forte chaîne dont les dimensions étaient dignes d'admiration; celle du port Mandraki avait été obstruée par des navires chargés de pierres que l'on avait coulés devant l'embouchure; ce château déjà imprenable par sa construction était armé d'innombrables canons; un fort appelé château Mendrec, armé lui même de formidable canons, assis comme une sentinelle avancée sur la grande mer d'un côté, sur le canal de l'autre, le rendait encore plus inexpugnable.  Toutes ces dispositions faisaient de la ville de Rhodes une place si forte, que la langue ne trouve pas d'expressions pour le dire et la plume de termes pour l'exprimer, et c'est ce château redoutable que le magnifique Sultan voulait conquérir avec l'aide du ToutPuissant.”

"Les soldats autorisés par les chefs, commençaient à se répandre dans les bourgs et dans les villages où ils distribuaient aux pauvres de l'argent et des secours, et comme ils ne causaient aucun dommage, ils étaient comblés de bénédictions.  Mais les infidèles qui veillaient du haut de leur château, tiraient sur tout détachement Turc qu’ils voyaient à portée de leur artillerie, ce qui fait que la position des troupes débarquées était intenable.  Alors le noble Pacha décida de sortir tous les canons et de les mettre en position avant l'arrivée du magnanime Sultan, Mais il fallait préalablement faire une route pour le passage des trains; on se mit immédiatement à l'œuvre; les pionniers coupaient des pierres et construisaient la chaussée, aidés par les troupes et surveillés par le noble Vésir qui pour longtemps ne prit aucun repos ni le jour ni la nuit".

“Cependant le magnanime Sultan arrivé à Marmaris, fit dresser sa sublime tente à l'endroit appelé Cara-Bounar et manda sa flotte, pour passer à Rhodes et en entreprendre l'heureuse conquête.  De son côté, son noble Vésir avait désormais tout préparé pour sa réception et les tentes Musulmanes occupant toute la plaine qui contourne le château, l'ornaient comme autant de jacinthes.  S'étant embarqué sur la grande bastarde, le Sultan escorté par sa sublime flotte rangée par escadres et en ordre de bataille, toutes voiles ouvertes, chaque officier étant à son poste, arriva devant le château de Rhodes.  A cette vue, les infidèles, bourgeois et hommes d'armes montés sur le crénaux à l'appel des clairons, furent pris de terreur.  Le glorieux Sultan avait à sa droite l'immensité du Monde, à sa gauche ces troupes victorieuses qui avaient conquis Alexandrie; devant lui l'Aga des Janissaires et ses Vésirs, portant le Saint et noble étendard du Prophète; une vive canonnade partait du château, mais la sublime flotte répondait aussi à la grande consternation des infidèles.".

Nous regrettons qu'Ahmed Hafouz ne précise par l'endroit où le Sultan prit terre; il n'y a cependant pas de doute que ce fut dans la baie de Trianda, entre les deux fontaines, là où les ruines d'une petite mosquée attestent que Suleiman a voulu marquer ce point par une consécration religieuse.  Nous avons d'autre part à l'appui de cette opinion le fait des privilèges qu'il accorda aux villages situés le long de cette côte, privilèges qui leur ont été par la suite successivement enlevés.

On doit regretter aussi que tout en donnant de se minutieux détails sur les forces de la flotte Impériale, Ahmed Hafouz ait omis de déterminer le chiffre des troupes arrivées par la voie de terre à la suite du Sultan.  Mais si au lieu de 400 voiles selon Vertot, ou de 300 seulement, d'après de Villeneuve-Bargemont, la flotte se composait de 700 navires montés par 25,000 soldats, on peut bien admettre comme non exagérée l'assertion des auteurs européens qui fixent à 140,000 le chiffre total des combattants, et à 60,000 celui des pionniers.

A cette redoutable armée, Villiers de l'Isle-Adam n'avait à opposer qu'une poignée de braves.  Un chroniqueur contemporain, témoin oculaire du fait, dit qu'en prenant possession de son poste, le Grand-Maître avait fait ranger devant leur Auberge les Chevaliers de chaque Langue, et avait constaté qu'il y avait à Rhodes:

140 Chevaliers Français.

88 Espagnols et Portugais.

47 Italiens.

17 Allemands et Anglais; c'est-à-dire en tout

292 Chevaliers Profès et une quinzaine de Chevaliers Donats et leurs suivants d'armes.  Ce nombre augmenté ensuite par l'arrivée des Chevaliers absents et par des volontaires, était monté à un total d'environ 600; la milice régulière ne comptait que 4,500 hommes.  Il est vrai que les bourgeois de l'Ile, Grecs et Latins, se formèrent en compagnies commandées par des Chevaliers expérimentés; mais quel secours pouvait-on attendre de paisibles commerçants ou de paysans entièrement étrangers au métier des armes, et dont le chiffre en réalité ne s'élevait pas au dessus de 1500 hommes ?

Cependant Villiers de l'Isle-Adam n'avait négligé ni les démarches auprès des Souverains d'Europe, ni les précautions nécessitées par la prévision d'un long siége, ni aucun des moyens en son pouvoir pour rendre plus inexpugnable encore la forteresse qu'il était décidé à défendre jusqu'à la dernière extrêmité.  Son premier soin avait été de faire venir des grains de Naples et de la Sicile; Antonio Bosio, oncle de l'historien du même nom fut expédié à Candie, d'où les Chevaliers tiraient ordinairement leurs archers, avec mission d'y faire une bonne provision de vin, et d'obtenir du Gouverneur la permission d'enrôler 500 volontaires; cette permission lui fut officiellement refusée; mais soit habileté de l'émissaire, soit connivence secrète avec le Gouverneur, Bosio, amena de Candie avec 15 brigantins chargés de vin, 500 recrues déguisées en marchands et en matelots; à son retour d'un second voyage, il était accompagné par le célèbre ingénieur Bressan Gabriel Martinengo, qui devait se rendre si utile pendant le siége.

A peine arrivé, Martinengo avait soigneusement réparé ou exhaussé les remparts; il avait construit des casemates et porcé des passages souterrains pour faciliter les communications entre les postes les plus exposés.  On n'oublia pas enfin de porter dans la ville l'image de N. D. de Philerme, qui fut déposée dans l'église de St. Marc.

Au milieu de toutes ces difficultés, Villiers de l'Isle-Adam avait eu encore à apaiser un soulévement des Chevaliers Italiens.  Excités, dit-on, par d'Amaral qui leur conseillait de partir pour Rome malgré la défense du GrandMaître, afin de revendiquer du pape Adrien VI les Commanderies dont celui-ci disposait arbitrairement à leur préjudice, ils s'étaient embarqués nuitamment, et avaient atteint Candie.  Villiers les fit condamner comme déserteurs; mais en leur envoyant cette sentence qui les privait de l'habit, il leur fit représenter combien leur action était blamable, surtout au moment où l'ennemi arrivait devant Rhodes.  Cette considération les fit tous revenir dans l'Ile; ils sollicitèrent et obtinrent le pardon de cette faute qu'ils promirent de laver dans leur sang, et l'histoire témoigne qu'ils tinrent bravement leur promesse.  Cette soumission était d'autant plus heureuse, que le cri d'alarme adressé à l'Europe n'avait produit aucun effet.

Jacques de Bourbon, Commandeur d'Oisemont, fils naturel de Louis de Bourbon, avait bien obtenu du Roi de France, François I, la permission d'armer les navires qui se trouvaient dans les ports de Provence; mais les commandants y mirent une si grande lenteur qu'ils ne furent jamais prêts; le Chevalier d'Heyserant de la Langue d'Auvergne, venant de Gênes avec un navire chargé d'approvisionnements en armes et en vivres avait naufragé; on n'avait aucune nouvelle des munitions que devaient acheter avec les deniers de l'Ordre, et faire parvenir au plus tôt les Chevaliers Fabrizio Pignatelli, Charles de Quesvalle, Lully de St-Étienne, et le Bailli de Naples, J. B. Carrafa.  Cependant les Turcs étaient devant Rhodes, leurs troupes y débarquaient; l'Ordre ne devait donc plus compter que sur ses propres forces et sur les approvisionnements déjà arrivés.

Malgré la résistance des Chevaliers, l'armée Ottomane, nous l'avons dit, avait opéré son débarquement au S. E. de la ville, dans l'espace de trois jours.  Comme celle de Messih Pacha, elle occupa tout d'abord le mont St. Étienne et le faubourg St. Georges; le 9 Juillet, les forces de terre et de mer avaient pris les positions qui leur avaient été assignées, et bloquaient étroitement la ville de Rhodes.

Revenons de nouveau au manuscrit d'Ahmed-Hafouz: "Suleiman avait divisé ses troupes en cinq corps d'armée Le Vésir Pir-Mehmed Pacha, fils d'Aba-Békir, dont les capacités militaires étaient incontestables, reçut ordre de prendre ses positions entre le rivage (d'Acandia) et Kyzil Capou (Porte St, Jean ou de Coskinou); il avait à sa gauche Cassim Pacha Commandant de la division d'Anatolie; venait ensuite le second Vésir Moustafa Pacha, et à la gauche de celui-ci, en face d'Eghri Capou, (Porte d'Amboise) le second Vésir Yinat Ahmed Pacha, auquel faisaient suite le Beyler Bey de Roumélie Ilias Pacha et l'entreprenant Aga des Janissaires, Baly Aga.  Chaque division avait reçu un nombre suffisant de canons pour monter ses batteries de siége.  Quant à la tente Impériale, elle avait été dressée sur la petite élévation de Kyzil Tépé”.

De son côté le Grand-Maître avait aussi divisé la défense en cinq grands commandements:

1o.  Le Bastion d'Italie fut confié à Andelot Gentil.

2o.  Celui de Provence, à Bérenger de Lioncel, avec Raymond Riccard pour commandant de la Milice attachée à ce poste.

3o.  Celui d'Angleterre, à Nicolas Huzi.

40.  Celui d'Espagne, à François de Carrières

50.  Celui d'Auvergne au Chevalier du Mesnil, avec Raymond Roger pour commandant de la Milice.

En outre, Joachim de Saint Aubin fut chargé de la défense de la muraille qui s'étend depuis la tour de Naillac jusqu'à la porte d'Amboise; le Commandeur Christophe de Waldner, à la tête des Allemands, devait défendre celle qui relie la porte d'Amboise à la porte St. Georges; Guillaume Watson, celle du quartier Anglais; Georges Émar, la muraille du quartier d'Italie; Jean de Barbaran et Fernand Soler, devaient défendre les postes de Castille et d'Aragon.  Le Grand-Maître se chargea lui même de la défense du quartier de N.  D.  de la Victoire qui était le plus faible.

Quant à la troupe de réserve, elle fut partagée en quatre divisions, dont l'une sous le commandement d'André d'Amaral, devait se porter au secours des postes d'Allemagne et d'Auvergne; la seconde commandée par Jean Burke, pour les postes d'Espagne et d'Angleterre; le troisième, sous les ordres de Pierre de Cluys, devait soutenir les postes de Provence, d'Auvergne, de Castille et de Portugal; quant à la quatrième division, commandée par Gabriel de Pommeroles, elle était prête à voler au secours de tout poste en péril.

La police de la ville fut mise entre les mains des Chevaliers Claude de St Prix, Jean Boniface, Lopez Daïala, et Hugues Capponi, qui avaient sous leurs ordres 600 bourgeois divisés en quatre compagnies.

Telles étaient les dispositions prises dans l'intérieur de la ville; le fort St. Nicolas fut confié au brave Guyot de Castellane, qui avait sous ses ordres 20 chevaliers, 300 soldats et quelques marins Rhodiens et étrangers.

Le Sultan décida que le 5 Ramazan (29 Juillet), l'attaque commencerait simultanément sur différents points.  Ses Tchaouchs parcourant les lignes compactes des braves soldats de l'Islam, communiquaient cet ordre, et les troupes pleines de joie, s'écriaient Allah eukhber.  Le lendemain, jour désigné, après avoir imploré la grâce divine, les victorieuses troupes de l'Islam ouvriaient le feu; les batteries du château y répondirent immédiatement, et le tir fut si rapide de part et d'autre que la ville disparut dans un épais nuage et les détonations s'entendirent au loin.  Cependant les infidèles, abrités dans le château et dominant le camp de l'Islam, y causèrent de grandes pertes; bien des pieux Musulmans furent tués et leurs âmes montèrent au Ciel.  Les généraux ne tardèrent pas à reconnaître le défaut de leurs batteries; le château de Rhodes était si habilement construit que l'artillerie de siége n'avait point d'effet sur lui, on aurait pu le canonner ainsi pendant bien des années sans endommager ses solides murailles; d'abord parcequ'il était construit dans un enfoncement de terrain de sorte que les créneaux ne dépassaient guère le niveau du sol extérieur; aussi les boulets passaient par dessus sans l'endommager; ou se perdaient dans le terre-plein; ensuite il était armé de beaucoup plus de canons que n'en possédait l'armée assiégeante.  Pir-Mehmed Pacha, artilleur expérimenté et homme de bon conseil, déclara le premier que les batteries Ottomanes étant tout-à-fait inutiles, il allait proposer un autre plan dont il attendait le meilleur résultat; mais Ahmed Pacha, homme de bon conseil aussi et en outre doué de bon sens, demandant la parole s'écria: Mon Sultan, on ne prend point de châteaux sans canons! Les autres Vésirs ayant partagé cette opinion, on continua à bombarder la place, mais en pure perte.” (Man.  d'Ahmed Hafouz.)

Les efforts des assiégeants se portèrent alors principalement contre le fort St Nicolas qui fut canonné par terre et par mer pendant plusieurs jours.  Les assiégés excellents pointeurs, démontèrent plusieurs fois les batteries Ottomanes, et obligèrent l'ennemi à renoncer à la prise de ce fort, qui ne 1480 avait déjà victorieusement résisté aux furieuses attaques de Messih Pacha.

“En raison de l'inutilité de ces efforts, ordre fut donné à l'armée de préparer des fascines pour combler les fossés, et des échelles pour donner l'assaut.  Le lendemain en effet, les Musulmans descendaient dans les fossés en jetant leurs fascines, tandis que d'habiles tireurs abattaient ceux qui osaient montrer la tête au dessus des créneaux; s'accrochant aux murs comme des polypes, ils montaient toujours sous la grèle de fer et de feu qui pleuvait sur eux du haut des remparts.  Le bruit de la fusillade, l'éclat des canons, les cris des combattants, remplissaient l’espace d'an tumulte confus et sans nom.  Ce n'était pas assez de recevoir les Victorieux avec le fer et le feu; les assiégés versaient encore sur eux des chaudières de goudron et de poix bouillante; les braves soldats de l'Islam tombaient par centaines, et les anges ouvraient pour leurs âmes les portes du Paradis; car du haut du château on lançait aussi sur les échelles chargées d'hommes, d'énormes quartiers de roche et des monceaux de ferraille.  A midi le nombre des morts était si considérable, que l'on dût suspendre le combat; les cadavres des Musulmans étaient si nombreux qu'on les jetait dans les caissons sans les compter; mais Dieu tint certainement compte du nombre d'âmes pures qu'il reçut ce jour là dans son paradis; il jeta certainement un regard miséricordieux sur ses fidèles, car ce jour là il arriva 24 bastardes armées en guerre, expédiées d'Égypte par Haïder-Bey, à peine il fut informé que le sublime Sultan était arrivé pour conquérir Rhodes".

"On était alors au 16 de Ramazan, (9 Août); en voyant arriver cette flotte, les infidèles furent épouvantés, et tirèrent contre elle tant de coups de canon, que la terre en trembla; mais la flotte Égyptienne venant s'embosser sous le château, soutint bravement le feu et son commandant dit avec raillerie: Ne craignez pas de me perdre, oh infidèles; j'ai dans les flancs de mes navires bonne quantité de pierres et de fer qui vous est entièrement destinée.  Passant ensuite sous le vent de la ville, il vint rejoindre la flotte Impériale.  Le magnanime Sultan apprit avec plaisir l'arrivée de ces renforts; il fit un gracieux accueil aux commandants, leur donna de riches habits et des pelisses, et les chargea de bombarder le Tchankli Coulch de San Givan (le clocher de St. Jean) qui était une tour carrée, sans minaret, et sur laquelle les infidèles avaient établi une cloche au moyen de laquelle ils sonnaient les heures, habitude qui déplaisait fort aux pieux Musulmans.  Non seulement les Égyptiens s'acquittèrent de la mission de bombarder la tour, mais ils lancèrent tant de projectiles et firent tant de dégâts dans les quartiers et les bazars de la ville, que les infidèles furent se cacher dans les souterrains.  Sans doute ils avaient des vigies sur le Tchankli Couleh, car chaque fois que les batteries Musulmanes tiraient, la cloche sonnait l'alarme et leur en donnait avis.  Ce fait ayant été rapporté au sublime Sultan, il ordonna que l'on prit pour objectif cette tour, et que l'on ne cessât le feu que lorsqu' elle serait renversée.  Le bombardement continua donc jour et nuit à la grande épouvante des infidèles qui manquèrent en devenir fous de terreur; le 18 Ramazan (11 Août) toute la partie supérieure du clocher s'écroula avec un fracas épouvantable".  (Man.  d'Ahmed Hafouz.)

Comme en réalité les Turcs n'avaient obtenu aucun autre succès dans les 14 jours écoulés depuis qu'ils bombardaient la ville, "le Sultan convoqua un Divan (Conseil Général) et Haïber Bey ayant appelé tous les chefs de l'armée, on délibéra sur les moyens à employer pour s'emparer du château.  Mehmed Pacha, avec le bon sens qui le distinguait, soutint que le seul moyen de s'en emparer, était de persévérer dans le bombardement, et de tâcher de faire des brêches pour ouvrir un passage aux troupes; qu'il en revenait pourtant encore à la nécessité d'établir les batteries Musulmanes sur le même niveau que celles du château, d'où les infidèles tiraient en toute sécurité contre les troupes de l'Islam entièrement exposées à leur feu, lorsqu'elles tentaient de descendre dans les fossés.  Ahmed Pacha, plus judicieux encore, adopta cette opinion qui lui paraissait bonne; mais il soutint si bien la sienne qui consistait à percer un dédale de mines, que l'on adopta l'une et l'autre; on décida aussi qu'elles seraient immédiatement mises en exécution.  Mehmed Pacha, sans perdre de temps, ordonna à Moustafa Pacha, un chef de sa division, de faire remplir des sacs de terre et de les amonceler aussi près que possible du château, de manière à ériger des redoutes qui atteindraient le niveau de celui-ci; car par ce moyen seulement il espérait s'en emparer.  Les infidèles comprenant sans doute le projet, concentrèrent tout leur feu sur les ouvriers; mais leurs boulets se perdaient dans la terre molle, tuant il est vrai quelques hommes, mais sans causer aucun dommage aux mamelons qui acquirent bientôt la hauteur des créneaux sur lesquels personne ne pouvait plus se montrer impunément; tant d'infidèles furent tués sur cette position que les autres se retirèrent dans l'intérieur du château.  Le plan du noble Pacha prouvait par sa parfaite réussite combien il avait raison d'insister pour qu'il fut exécuté; aussi s'empressa-t-on de le suivre sur les autres points, et dénormes quantités de terre et de pierres transportées jour et nuit, formèrent bientôt de nombreuses collines factices autour du château".

"De son côté Ahmed Pacha faisait travailler jour et nuit de même au percement des mines; mais la poudre employée sans économie, ne tarda pas à manquer, tellement que plusieurs batteries furent obligées de cesser leur feu; des galères furent immédiatement expédiées pour en apporter une bonne provision qui fut répartie entre les différents corps".

“Le camp Musulman fut informé que Mahmoud Réïs qui avait été envoyé pour soumettre Iliaky (Piscopi ou Tilos), ile dépendant de Rhodes, avait réussi dans sa mission, non sans sacrifier beaucoup de monde et en payant sa victoire de sa propre vie".

“Cependant, malgré le feu meurtrier des assiégés, le 26 Ramazan (19 Août), les mamelons étaient achevés, les batteries dressées et 36 pièces, dont quelques unes lançaient des boulets du poids de 390 Okes, (500 Kilogrammes), commençaient à fonctionner, causant de graves dommages à la forteresse; alors les infidèles tinrent conseil, car ils comprenaient que ces batteries élevées par les Musulmans leur étaient très nuisibles; ils résolurent de faire une sortie, comptant sur l'aide de San Givan, et espérant surprendre dans la quiétude du sommeil les braves soldats de l'Islam et les passer au fil de l'épée; tel était leur espoir et revêtant leurs cuirasses d'acier, ils sortent au nombre de 3000 par la porte Eghri Capou (d'Amboise); mais ils ignoraient que les fidèles veillaient comme le renard.  qui attend sa proie! Quoiqu'il en soit, attaquant avec fureur les braves venus de l'Égypte, et les autres troupes du corps d'Ahmed Pacha, ils en sacrifient un grand nombre, puis s'avançant en téméraires, ils viennent eux-mêmes se jeter au devant du noble Pacha prévenu en toute hâte, et des troupes victorieuses qui se réjouissent de voir l’ennemi s'exposer lui-même à ses coups redoutables.  Oh infidèle s'écriaient les nobles soldats de l'Islam, nous voulions bien venir vous attaquer dans votre château, mais nous ne pouvions pas y pénétrer; maiutenant Dieu vous livre à nos coups; vos âmes iront bientôt à l'enfer auquel elles sont vouées! et à ces mots, ils avancent tous ensemble au cri d'Allah Eukher! et s'élançant sur ces chiens impurs, ils les enlacent comme le renard saisit le mouton, ils les repoussent à leur tour, font un grand carnage des trainards, et les forcent à rentrer précipitamment dans leur château.  Grâces à Dieu, les Musulmans sortireut la face nette de cette épreuve, et ils s'en réjouirent.  Le Sultan ordonna que les blessés musulmans fussent soignés; il leur accorda de généreuses rations, et les fit transporter sous la surveillance d'un chef, dans des tentes spéciales; ces dispositions réjouirent encore plus les troupes":

“Sur ces entrefaites le Baïram du Ramazan étant arrivé, les Vésirs, les Ulémas et les Pachas unis aux officiels supérieurs de la flotte, allèrent présenter leurs hommages et leurs souhaits au magnanime et sublime Souverain qui, après leur avoir accordé la grâce de lui baiser la main, les consulta sur la marche des opérations; à la suite des idées échangées, ordre fut donné de préparer des fascines pour combier es fussés; mais trois jours de repos furent accordés aux troupes, qui en profitèrent pour se visiter d'un poste à l'autre; dès l'aube du troisième, bondissant dans les fossés à demi comblés, ells s'elincent à l'assau.  L's infidèles voyant sur leurs reapart, les victone is enseignes déployées, sonnent leur clocne, accourent et font touner leurs nombreux canons des quatre côtés à la fois.  Revonçant alors à transporter de la terre et des fascines, quelques centaines de victorieux apportent des échelles, traversent les fossés et tentent l'escalade de cette partie de la forteresse.”

C'est sans doute des postes d'Espagne et d'Angleterre que veut parler Ahmed Hafouz; le Chevalier de Barbaran qui commandait au premier, fut emporté par un boulet; Jean d'Orméda qui le remplaça, eut un œil crevé.  Le bastion d'Angleterre fut ce jour là en si grand danger, que le Grand-Maître dut aller à son secours avec la garde du Palais.  Le bastion d'Italie, encore plus maltraité, était pre que à découvert, lorsque deux fières servants, Barthélemy et Benoit Scamarosa, suivis de 200 hommes, se précipitent dans le fossé, massacrent ou mettent en fuite les Turcs; ensuite protégés par le feu nourri des batteries et des arquebusiers, ils ferment une bonne partie de la brêche et rentrent dans la ville avec des pertes insignifiantes.  Il n'en était pourtant pas de même pour les Turcs, puisque Ahmed Hafouz nous apprend en continuant son récit ampoulé, qu'en "se battant en braves, les victorieux mouraient purs et que sans aucun doute leurs âmes sublimes allaient droit au Ciel, et il en alla beaucoup, car les morts tombant sur les morts avaient formé des monceaux de cadavres qui étaient ensevelis sous les décombres causées par le feu continuel des batteries; décidément cette attaque était sans utilité, car après un combat si sanglant, les victorieux n'avaient pas réussi à s'emparer du château".

"Le 12 Chewal on reçut la nouvelle que la prise du château d'Iliaki (Tilos ou Piscopi), avait entraîné la reddition de toute l'Ile de ce nom ".

"Moustafa Pacha avait cependant tenté un second assaut; mais il avait dû se retirer encore, avec des pertes considérables; car les chiens impurs (les Chevaliers) avaient tellement fortifié les fossés de leur château, qu'ils étaient transformés eux mêmes en forteresse; il en partait un feu si bien nourri que les victorieux en étaient décimés.  Le magnanime Sultan voyant combien cette place était difficile à emporter, ordonna aux pionniers de percer de nombreuses mines de manière que le château reposât sur 4 bases seulement, laissant tout le dessous creusé comme un immense four, dont on obstrua toutes les bouches, après l'avoir rempli de poudre à laquelle une longue mêche devait communiquer le feu; les ingénieurs avaient exactement calculé et déclaré au Conseil combien de temps cette mêche brûlerait avant d'atteindre la poudre.”

Martinengo était parvenu à éventer un grand nombre de ces mines, mais elles étaient si nombreuses que beaucoup échappèrent à ses habiles et minutieuses recherches.

"Le 13 Chewal (5 Septembre), le travail étant achevé, ordre fut donné à tous les victorieux de l'Islam de se tenir prêts pour courir à l'assaut, en implorant l'assistance divine par le cri: Allah eukhber, aussitôt que l'on ferait jouer les mines.  Dès la veille, les troupes musulmanes s'étaient abordées en se pardonnant mutuellement leurs offenses; la mèche était allumée, prête à mettre le feu aux mines; mais le commandement donné au gros de l'armée de se retirer à une plus grande distance, fit croire aux infidèles qui surveillaient leurs mouvements du haut des créneaux que c'était une retraite; ils s'en réjouirent, et, faisant force signes de croix, ils se félicitaient encore mutuellement de ce bonheur inespéré, lorsque le feu des mêches parvint aux poudres; le fracas épouvantable de la détonation couvrit leurs cris de détresse, la fumée et la poussière en s'élevant vers le Ciel, cachèrent aux yeux l'amas de décombres; la terre en fut ébranlée, l'Ile entière trembla sur sa base, sa surface en fut convulsionnée et tous les infidèles accourus sur les murs avaient été emportés, tandis que le reste tremblait maintenant d'épouvante".

"En effet, selon l'ordre qui leur avait été donné, les victorieux de l'Islam s'élançaient à l'assaut, pleins d'ardeur; le combat fut sanglant, les morts de l'armée Musulmane tembaient, comme des béliers destinés au sacrifice, sous le feu terrible des canons ennemis; le nombre des vietimes fut incalculable, mais le château résista encore à d'aussi hérïoques efforts qui surprenaient les infidèles; enfin à bout de forces, les victorieux de l'Islam durent se retirer.”

“Le 14 Chewal (6 Septembre), l'Ile d'Ingirly (Nissiros) qui dépendait de Rhodes, et était protégée par un bon château fort, épouvantée par le bruit de l'explosion qui avait eu lieu à Rhodes la veille, envoya une députation au quartier général, pour faire sa soumission.  Ces insulaires ne pouvant communiquer avec les infidèles de Rhodes ni par terre ni par mer attendu qu'un oiseau même n'aurait pu passer, jugeant l'état des assiégés plus désespéré encore qu'il ne l'était en réalité, s'étaient empressés de se rendre à discrétion et pourtant, sous les tentes Musulmanes on commençait à désespérer de la conquête; car jusqu'ici ni les canons, ni la fusillade, ni même les mines, n'avaient produit un effet décisif après de si sanglants combats et tant d'effort héroïques, Aussi le magnamine Sultan avaitil convoqué son conseil afin d'aviser aux mesures à adopter pour cette conquête qui lui tenait au coeur.  Consultés, les anciens et les experts du Conseil s'écrièrent: oh magnanime Sultan, ce château ne sera pas emporté d'assaut par des combats si sanglants qu'ils soient; mais si l'on persévère dans le percement des mines, on pourra ouvrir des brêches, par lesquelles vos braves troupes réussiront à pénétrer sur votre ordre et avec l'aide de Dieu.  Adoptant cet avis, le Sultan voulut bien ordonner que de nouvelles mines fussent percées.  Les pionniers se mirent à l'œuvre et travaillèrent jour et nuit avec une infatigable ardeur, tandis que la troupe harcelait continuellement les infidèles; mais ceux-ci dirigés par le bruit souterrain, creusaient de leur côté des contre-mines, rencontraient nos ouvriers et les massacraient, ou bien les faisaient sauter au moyen de la poudre qu'ils introduisaient dans les souterrains; beaucoup de pieux musulmans furent ainsi tués.  Cependant, la division de Moustafa Pacha ayant réussi à achever une mine, y mit le feu; les dégâts furent considérables; tous les infidèles qui défendaient ce poste, furent lancés jusqu' au troisième ciel, et leurs âmes furent précipitées dans l'enfer; un pan de muraille s'étant écroulé, une route était ouverte aux victorieux; ils se précipitent dans les fossés, tentent bravement de francher la brêche et se battent en héros; vains efforts; ils doivent se retirer laissant le fossé encombré de morts et inondé de leur sang généreux.” 

"Le 26 Chewal (18 Septembre), deux autres mines furent mises en jeu par la division d'Ahmed Pacha; l'explosion donne le signal, et toute l'armée Musulmane s’élance résolûment à l'assaut.  Jamais encore le combat, n'avait été si acharné, si sanglant; cent mille hommes étaient aux prises; toute l'artillerie tonnait à la fois des deux côtés, étouffant les cris des combattants et le bruit de la fusillade.  Les victorieux soldats de l'Islam étaient si nombreux dans les fossés qu'ils ne pouvaient avancer qu'en masses serrées; cent nouveaux combattants prenaient la place d'un mort, et ils furent nombreux ceux dont les âmes montèrent au Ciel, car le fer et le feu des infidèles frappaient à coup sûr dans ces rangs compactes, tandis que les armes des victorieux s'émoussaient contre les pierres des épaisses murailles, Tel fut le nombre des morts que les vivants marchaient sur un chemin de cadavres; force leur fut de suspendre le combat pour donner la sépulture à tant de nobles victimes".

Ahmed Hafoux omet de préciser le nombre des morts qui d'après les chroniqueurs européens serait de 3000 pour les Turcs, tandis que les Chevaliers avaient perdu dans cette journée, le Grand-Maître de l'artillerie, le Capitainegénéral des galères, le Porte-étendard du Grand-Maître et beaucoup d'autres Chevaliers non moins braves et illustres.

"Sans se laisser rebuter par les déplorables résultats de cette journée, quelques braves de la division de Pir-Mehmed Pacha, s'étant trasvestis la même nuit, montent sur les fortifications, passent au fil de l'épée les infidèles qu'ils rencontrent, reprennent quatre ou cinq drapeaux enlevés à leur division, jettent dans les fossés plus de 500 masses d'armes, épées et fusils; enfin coupant cinq têtes d'infidèles.  ils les portent en trophée au magnanime Sultan, à la grande joie de toute l’armée."

"Le 28 Chewal (20 Septembre), il y eut grand Conseil de guerre dans lequel les différents chefs exposèrent leur situation.  Comme ces rapports jetaient une certaine froideur dans la noble assemblée, le magnanime Sultan s'écria: Soyez sans crainte; avec le grâce de Dieu, la conquête de ce château de Rhodes sera bientôt achevée !— A ces mots les assistants s'écrièrent Amin! et adressèrent au Ciel des prières pour qu'il en fut ainsi.  Alors le magnanime Sultan ordonna que l'on saluât son armée en son nom et qu'on lui fit savoir qu'elle devait se tenir prête pour l'assaut.  A cette nouvelle les troupes réjouies s'écrièrent: Oh magnanime Sultan, si tel est ton ordre Impérial, et avec la volonté de Dieu, demain nous donnerons l'assaut, et nous enléverons les enfants, les femmes et les biens des infidèles et nous te consignerons leur château !— Alors le Sultan commanda que chacun se tint prêt.  Cette nuit là donc les troupes de l'Islam et les fidèles de la Loi adressèrent des prières au Dieu tout-puissant sous la direction des Ulémas.  Des ordres avaient été donnés aux galères et aux mahonnes et aux autres navires de la flotte Impériale, aux Beys qui commandaient les forces de mer de se préparer également au combat du lendemain; à l'aube ils devaient aller s'embosser sous le château.  Le lendemain en effet, à la pointe du jour, l'armée se rangea en bataille; la flotte hissa ses drapeaux; toutes les forces s'avancèrent bravement de concert et ouvrirent le feu contre le château.  A la vue de tout ce déploiement de forces, les infidèles perdirent la raison, coururent dans leurs foyers e dans leurs églises et prièrent Dieu de ne pas accorder la victoire aux intrépides troupes de l’Islam.” 

“Cependant décidé à se mettre à la tête de ses braves soldats, le magnanime Sultan monte son noble cheval de bataille, arrive aux premiers rangs et veut avancer encore.  Mais ses soldats l'arrêtent en s'écriant:- Sultan, tourne la tête de ton cheval, tu ne dois pas t'exposer jusqu'au tir de fusil, cela est contraire à l'usage; arrête-toi ici et sois témoin de notre bravoure !.........

"En effet les braves de l'Islam s'élancent à l'assaut, tandis que la flotte Impériale venait s'embosser sous le château et vomissait le feu à la grande épouvante des infidèles dont les habitations et les bazars tombaient en ruines.  Le tonnerre des innombrables canons, la détonation de mille fusils, le cri de cent mille Islams, disant à la fois Allah sukhber! enfin les clameurs désespérées des infidèles, remplissaient l'air d'un bruit confus et sans pareil dans l'histoire; chaque fois qu'un créneau, qu'un pan de muraille s'écroulait avec fracas, les braves soldats de l'Islam franchissaient les fossés, s'accrochaient aux murs et les escaladaient à l'aide d'échelles et de cordes, non seulement sous la foudre des canons et sous le feu des mousquets, mais aussi sous une lave brûlante de poix et de goudron.  que les infidèles versaient à pleines chaudières du haut des murs, tandis qu'ils assommaient à coups de massue ou d'épieu ceux qui en atteignaient le faîte.  Combattant comme des lions déchaînés sous les yeux de leur souverain, les Musulmans font des prodiges de valeur; ils emportent les premières encientes, s'y maintiennent pendant quatre heures; mais harassés de fatigue, mourant par centaines, dans ce sanglant et mémorable combat, ils sont enfin obligés de renoncer à une victoire que Dieu ne veut pas leur accorder et ils se retirent au déclin du jour, au moment où les infidèles commençaient eux-mêmes à désespérer.  Les jours suivants furent employés à enterrer les morts et à prendre des dispositions pour l'installation des blessés.”

"Le 8 Zilkadé (29 Septembre), un excellent ingénieur de la ville vint au camp, embrassa la religion Muslmane et déclara qu'il indiquerait le moyen de détruire les infidèles.  C'était réellement un grand ingénieur très expert sur toute question d'artillerie et d'armes de tout genre ".  (?)

"Le 15 Zilkadé (6 Octobre), il y eut encore un combat sérieux après l'explosion d'une mine percée par les soins d'Ayaz Pacha; un large pan de muraille s'était écroulé jusqu'aux fondements.  Tandis que les navires viennent s'amarrer jusque sur les môles, 2000 victorieux le cimeterre à la main, atteignent les retranchements d'une partie de la forteresse (entre la porte d'Amboise et la porte St. Georges, c'est-à-dire sous le bastion d'Allemagne), et y plantent les drapeaux de l’Islam".  (Man.  d'Ahmed Hafouz.)

Quelques autres petites attaques ayant été repoussées, les Janissaires commençaient à murmurer; le siége déjà si long, menaçait de durer encore tout l'hiver; les généraux dont le crédit diminuait auprès du Sultan, résolurent de livrer un assaut énergique et simultané contre tous les bastions, afin de diviser les forces déjà si réduites des assiégés; en effet, "le 20 de ce même mois de Zilkadé (11 Octobre), l'aile gauche de la division de Pir Mehmed Pacha, ouvrit le premier feu contre le Bastion appelé Ytcha (Angleterre ?), tandis que l'Aga des Janissaires, Baly Aga, s'élance sur la muraille à la tête de sa vaillante milice.  Blessé, il refuse de se retirer; ce noble exemple anime ses braves qui se battent en héros jusqu'au soir, et inondent de leur sang et de celui des infidèles chaque pouce de ce rempart qui n'est pas moins bravement défendu que vaillamment attaqué".  (Man.  d'Ahmed Hafouz.)

Les Turcs, en grand nombre, arrivent presque en même temps jusqu'aux retranchements des Bastions d'Angleterre et d'Espagne; mais sous le commandement de Jean Burke, les Chevaliers Anglais soutenus par quelques Français et Allemands, en délogent l'ennemi pied à pied; ce succès est chèrement payé par la mort du Commandeur Anglais.  "Renouvelant l'attaque à la faveur de la nuit, les troupes de l'Islam parviennent à planter leurs enseignes sur ces murs fumant de sang"; avant le jour les Chevaliers les avaient encore repoussés, justifiant dans cette action le mot du brave Andelot Gentil qui commandait au bastion d'Italie: Nous aurons grande besogne aujourd'hui, mais il faudra faire en sorte que l'on se souvienne de nous dans le camp ennemi! En effet si l'Ordre avait à déplorer la perte de plus d'un brave clevalier, les Turcs ne comptaient pas moins de 3000 hommes hors de combat.

L'assaut général est donné huit jours plus tard, 28 Zilkadé", sur quatre points différents, parmi lesquels le bastion d'Angleterre parait être le principal objectif, comme le plus faible en apparence; mais à défaut de murailles, Turcs rencontrent les cuirasses des Chevaliers, contre lesquelles vient se briser leur fureur; les cadavres de leurs morts comblent les fossés, et ouvrent un chemin sanglant à ces hordes inépuisables, toujours fauchées par les canons des forts qui les prennent de flanc.  Les ravages sont si terribles dans leurs rangs serrés, qu'ils commencent à plier, et semblent prêts à fuir, lorsque l'Aga des Janissaires, leurs chef favori, s'élance en avant, un étendard à la main, le plante sur les remparts, et rallume l'ardeur de ses soldats, qui se précipitent à son appel.  Ils l'ont à peine rejoint, qu'il tombe percé de dix coups; furieux, les Turcs roulent comme un torrent, tête baissée, décidés à vaincre ou à mourir; les Chevaliers reçoivent la secousse sans en être ébranlés.  Villiers de l'Isle-Adam arrive suivi de sa garde d'élite; derrière lui les Archevêques Latin et Grec, avec leur clergé respectif, les bourgeois, les femmes, les enfants même, armés de pierres, d'eau et d'huile bouillante.  Ce n'est plus du courage, c'est une rage aveugle excitée d'un côté par la promesse du butin, de l'autre par l'instinct de la conservation de la vie, des richesses, de la liberté et de la famille.  Plus d'une femme, plus d'un faible enfant, font ce jour là des actions héroïques dont se seraient glorifiés les plus braves guerriers.

Jacob Fontanus rapporte un acte de froid courage de la part d'une jeune femme grecque, nommée Anastasia, épouse d'un volontaire, disent les uns, amante d'un Chevalier, assurent les autres.  Elle voit succomber celui auquel son cœur était attaché par les liens du mariage ou par ceux de la passion, au moment où la ville est sur le point de tomber au pouvoir de l'ennemi; craignant alors de voir ses enfants.  exposés à la brutalité des vainqueurs, ou tout au moins emmenés en esclavage, elle les embrasse tendrement, les poignarde de sa propre main, puis, ne voulant pas survivre à tout ce qu'elle a aimé dans ce monde, elle s'arme d'une épée, se jette au plus fort de la mélée, et y trouve la mort sur un monceau de cadavres ennemis, ouvrage de ses coups.

Pendant qu'on se battait avec un égal acharnement aux bastions d'Angleterre et d'Italie, offrant ainsi à l'héroïsme l'occasion de s'ennoblir, celui d'Espagne reste presque sans défenseurs.  A peine ont-ils saisi cette faute, que les Turcs en profitent; ils se précipitent sur ce poste, massacrent les canonniers, et leurs enseignes flottent sur les créneaux; signal téméraire; car à la vue du Croissant, les Chevaliers, d'assiégés qu'ils étaient, deviennent assiégeants et donnent l'assaut à leur propre forteresse.  Le combat, acharné, terrible, dure six heures sur cet espace restreint; enfin, les Turcs doivent se retirer non seulement du bastion d'Espagne, mais aussi de ceux d'Angleterre et d'Italie, laissant dans les fossés et sur les murs, au dire des historiens Européens, plus de 15,000 soldats et officiers qui sont tombés sous le fer des Chevaliers.

Ahmed Hafouz, qui pourtant est assez impartial, se contente de dire pour cette journée, "qu'une sanglante action eut lieu; que les victorieuses troupes de l'Islam montèrent à l'assaut, s'accrochant aux murs comme le polype s'attache à la roche; mais que malgré leur bravoure; Dieu ne leur donna pas le succès, et qu'ils durent se retirer, laissant l'Aga des Janissaires parmi les morts".

Le Sultan furieux et découragé, s'en prit à Moustafa Pacha de l'insuccès de cet assaut qu'il avait conseillé, et le Commandeur de Bourbon assure même que Suleiman avait déjà ordonné qu'on le tuât à coups de flèche, lorsque Pir Mehmed Pacha parvint à le sauver de ce supplice, en calmant l'irascible despote; quoiqu'il en soit, et malgré le demi silence qu'Ahmed Hafouz garde à cet égard, il parait suffisamment avéré que ne pouvant pas conquérir “cette forteresse imprenable par les armes, et dont Dieu seul tenait l'avenir entre ses mains", Suléiman était décidé à lever le siége; que les gros bagages et une partie même de l'armée était embarquée, lorsque la trahison lui donna sur le triste état de la place et de ses défenseurs, des avis qui l'encouragèrent à continuer le bombardement.

Un médecin juif dont le nom est resté inconnu, mais qui, nous sommes heureux de le dire, était étranger à Rhodes, avait été surpris jetant une lettre dans le camp Turc.  Il fut arrêté, jugé, condamné et exécuté vers la fin de Septembre; mais Suleiman avait dans la place des accointances plus funestes et plus déplorables encore.  déplorables encore.  L'ambition fit d'un jaloux un traître, de d'Amaral un Chevalier félon.  Quelques personnes ont crû que lui aussi était juif et médecin au service de l'Ordre, erreur provoquée probablement par le fait que nous venons de rapporter, et d'autant moins justifiable que d'Amaral était ennemi juré des Juifs et saisissait avec empressement toutes les occasions de leur montrer sa haine.  Un prêtre grec, chapelain de l'Ordre, le dénonça; il fut en outre trahi par son serviteur et complice, Blaise Diez, Le Chevalier apposa les plus constantes dénégations au jugement dans lequel il fut couvaincu de haute trahison, condamné à la dégradation et livré ensuite à la justice civile.

Quelques écrivains ont bien essayé de nier la trahison de d'Amaral; mais la relation que le Commandeur de Bourbon donne de ce triste incident, est trop affirmative, pour laisser le moindre doute.  Du reste, devant le nouveau tribunal qui devait prononcer sur la punition, l'accusation fut soutenue par le prêtre grec et confirmée par les aveux de Diez, avec une telle assurance, que les Juges n'hésitèrent pas à prononcer une sentence capitale.  Les Turcs purent contempler avec regret ou mépris cette tête infâme exposée sur une des plus hautes tours, en vue de leur camp.

Cependant la trahison avait porté ses fruits.  Le Sultan assuré désormais du succès, avait contremandé le départ, et dans un conseil réuni le 11 Zilhidjé (1 Novembre), il déclara que vu la saison avancée, les troupes devaient prendre leurs quartiers d'hiver; et un Tchaouch fut dépêché auprès de Ferhat Pacha, le Gouverneur de Mougla, avec ordre de faire parvenir au plus tôt tout ce qui était nécessaire à l'hivernage de l'armée.  En apprenant cette nouvelle, les infidèles en furent consternés; ils envisagèrent avec épouvante les horreurs d'un long siége; ils comprirent qu'à partir de ce moment, ils ne devaient attendre aucun quartir de leurs ennemis surexcités.  L'inquiétude augmentant, ils convoquèrent le conseil de leurs anciens militaires et demandèrent l'opinion des plus experts.  Il y avait parmi eux un vieillard grand guerrier et de grand bon sens; lorsqu'on le consulta il répondit:- Nous ne pouvons attendre aucune miséricorde de ces Turcs; ne parlez donc pas d'en venir à composition avec eux; continuons à nous battre; ne cessons pas le feu; nos canons et nos fusils tirent sur des masses compactes, tandis que leurs bou'ets viennent se briser contre nos solides remparts; ne donnons pas aux Turcs le temps de recevoir des renforts; cent nouveaux soldats remplaceraient chacun de leurs morts; nous, nous n'attendons plus ni renforts ni secours; continuons donc bravement le combat, si nous ne voulons pas voir les femmes, les enfants et nous mêmes passés au fil du cimeterre Musulman!.........  Mais si vous êtes découragés, si vous devez combattre mollement, allez dès à présent vous mettre à la discrétion du farouche Sultan !” …..

A ces mâles paroles, on n'a point de peine à reconnaître Villiers de l'Isle-Adam l'infatigable et vaillant GrandMaître, cherchant à relever le moral de la population consternée par la nouvelle que les Turcs pienaient leurs quartiers d'hiver.  Et ce découragement est bien naturel, si l'on songe que les Chevaliers survivants, blessés pour la plupart, ne disposaient plus que d'un nombre insuffisant de soldats, tandis que l'ennemi ne cessait de recevoir des renforts; les munitions étaient épuisées sans que l'on pût se l'expliquer; car d'Amaral, chargé en sa qualité de Commissaire, d'approvisionner les aisenaux, avait assuré avant le siége, qu'ils étaient amplement pourvus.  Avait-il déjà, pour la satisfaction de sa haine jalouse, dérobé à la connaissance des Chevaliers un fort dépôt de poudre, dont l'existence dans les souterrains de l'église St Jean fut dévoilée de nos jours par une horrible catastrophe ? Cela est probable.

"Le 20 Novembre on s'était battu sans succès; mais, dit Ahmed Hafouz, le.  1 Décembre (12 Moharrem), les Islam attaquant vigoureusement, parviennent à s'emparer d'une tour et de deux bastions, du haut desquels ils dominent les autres positions des infidèles.  D'autre part, la flotte bombardait sans relâche du côté de la mer; les infidèles étaient effrayés et consternés; leurs têtes tombaient comme des courges sous le cimeterre Musulman; leurs femmes gémissaient, et leurs vieillards, et leurs enfants se cachaient sous terre comme des taupes ".

A cette date effectivement il ne restait plus en la possession des Chevaliers, outre le Palais, que les bastions de Castille, d'Italie, de Provence et d'Auvergne.  Le bastion d'Italie, le plus faible de tous, servit de but principal aux attaques des Tnrcs.  Le Chevalier de Paguac en était le défenseur; il fit des prodiges de valeur à la tête de ses hommes, qui sans excepter la légion Israélite, se battirent en héros.

La tradition veut en effet qu'un corps de 250 volontaires Israélites, armuriers pour la plupart, se soit couvert de gloire à la défense du bastion d'Italie qui protégeait leur quartier, et que dans cette attaque, leur chef ait trouvé une mort glorieuse en s'élançant pour arracher l'étendard qu'un officier Turc avait planté sur la brêche.  Lorsque les Chevaliers accourus à son aide le relevèrent, il venait d'expirer, tenant d'une main l'étendard et de l'autre son épée encore fumante du sang des ennemis qu'il avait tués.

"Ce même jour du 12 Moharrem, pendant qu'on se battait, un transfuge chrétien s'étant présenté au camp, informa le Sultan que la position des infidèles était des plus précaires, et les dommages causés dans la ville, des plus considérables.  Il assura que la victoire ne dépendait plus que de la volonté du Sultan; car les infidèles retirés dans la partie militaire de la ville, étaient encombrés de malades et de blessés.  Cette nouvelle communiquée à l'armée par des hérauts d'armes, fut accueillie aux cris d'allah-eukhber, et les soldats de l'Islam jurèrent que le len-· demain ils seraient les maîtres des femmes et des enfants des infidèles.  Ordre fut donné de ne point cesser le feu pendant toute la nuit et de se préparer à une attaque décisive pour le lendemain.  Celle-ci eut effectivement lieu et par terre et par mer, et les soldats de l'Islam avançant tête baissée, sans regarder ni à droite ni à gauche, montèrent à l'assaut avec un imperturbable sang-froid, secondés par des troupes fraîches et reposées".

De leur côté les Chevaliers se battent en héros; mais débordés par ces masses compactes, ils commencent à plier sur tous les points; "alors, continue Ahmed Hafouz, voyant flotter sur tous les remparts les glorieux drapeaux de l'Islam, les femmes et les enfants se mettent à crier: Aman, Aman notre Sultan! et ils imploraient sa miséricorde et sa pitié, avec des gémissements qui montaient jusqu'au troisième Ciel.  Le magnanime Sultan fut ému de ces cris; se rappelant que la Loi sacrée commande d'épargner la vie de ceux qui demandent l'Aman, il l'accorde et fait suspendre les hostilités.  Il ordonne ensuite que le Commandant du château et le chef de la Milice, deux personnages importants parmi les infidèles, sortent de la ville et viennent lui exposer leur situation.  De son côté il charge son Zaardji-Bachi (Grand-Veneur), homme très distingué, et quelques officiers expérimentés, d'entrer dans le château pour en régler la remise et en constater l'état ".  

Cependant, continue Ahmed Hafouz, un transfuge informe Pir Mehmed Pacha, que si les Chevaliers avaient demandé l'aman, ce n'était que dans le but de gagner du temps, parce qu'ils attendaient des renforts de l'Europe; en effet, dans la nuit du 25 au 26 Moharrem (14-15 Décembre), les assiégés virent arriver 15 galères chargées de soldats et de munitions de toute sorte.  Ils déclarent il est vrai aux nouveaux venus que leur secours arrivait trop tard; mais ceux-ci, qui s'étaient exposés à tant de dangers dans le seul but de venir se battre, persuadent facilement à ces chiens, leurs frères impurs, qu'une attaque de nuit à laquelle l'armée Musulmane ne devait pas s'attendre, pourrait être très avantageuse.  Sortant donc avant l'aube de plusieurs endroits à la fois, ils attaquent avec fureur l'armée turque; surprise dans sa parfaite quiétude, elle se lève en sursaut et en désordre.  Le combat s'engage furieux, meurtrier; réformés enfin les soldats de l'Islam avancent en masses compactes; ils ne comptent pas leurs morts dont les âmes pures vont droit au Ciel et ils poursuivent jusque dans le château leur ennemi pervers; on se bat jusqu'au Kendi (24 heures avant le coucher du soleil); voyant alors les progrès des victorieux, les infidèles s'adressent à leur chef et lui disent: Demandez l'aman! Celui-ci refusait encore et pourtant les siens étaient obligés de se replier en toute hâte et d'abandonner entre les mains des victorieux un grand nombre de prisonniers.  Le Sultan furieux leur fit couper le nez et les renvoya en leur disant: Vous n'avez pas tenu votre parole, je retire la mienne; allez faire voir aux votres comment je traite vos pareils ".

Les historiens Européens ne sont pas précisément d'accord sur ce point avec le chroniqueur Turc; ils ne font aucune mention de l'entrée du Zaardji-Bachi dans la ville, ni, chose plus extraordinaire encore, de la sortie si meurtrière que les Chevaliers auraient faite après l'arrivée des renforts qu'ils auraient reçus dans la nuit du 14 au 15 Décembre.  Ils nous apprennent seulement que les Chevaliers avaient nourri l'espoir de recevoir des secours de l'Europe, mais que ceux-ci n'arrivèrent jamais; ils ajoutent encore que, à la suite d'une décision du Conseil de l'Ordre, les forteresses des Iles et celle de St. Pierre (Boudroum), furent abandonnées par leurs garnisons, et que vers l'époque indiquée par le manuscrit d'Ahmed Hafouz, elles seraient parvenues à gagner Rhodes dans de légères barques et de petits brigantins.  Mais quelles étaient ces Iles? Ils ne le précisent pas; Halki s'était rendue dès le 20 Chaban (15) Juillet); Piscopi avait été remise peu de temps après, et Nissiros, au dire du même auteur, avait fait sa soumission le 14 Chewal (6 Septembre), avant même d'être sommée de le faire.  Il ne restait donc que Symi, Calymnos, Cos et Léros; mais ce qu'il y avait encore de soldats et de Chevaliers dans ces forteresses, d'où l'on avait déjà tiré des secours, ne pouvait pas être assez important pour employer 15 galères, et pour permettre aux assiégés de faire une sortie aussi meurtrière.

Il y a une exagération d'autant plus évidente dans les assertions d'Ahmed Hafouz, que les chroniqueurs Européens sont unanimement d'accord pour assurer que par ses attaques journalières, et plus encore par le moyen d'habiles émissaires (pour la plus part des renégats, au premier rang desquels figure le génois Jéronimo Monile), Suleiman avait suscité une panique générale parmi la population.  Il faisait comprendre la différence qu'il y aurait pour tre une reddition honorable, mais volontaire, et la prise inévitable de la Ville par le force des armes.  Des députations fréquentes, signe du découragement, étaient envoyées au Grand-Maître; il repoussa les premières et adressa enfin les autres au Conseil de l'Ordre.  Sur le rapport des différents chefs, déclarant qu'eux et leurs hommes étaient préts à mourir à leur poste, mais reconnaissant que leurs positions étaient presque intenables, qu'ils manquaient d'ailleurs de munitions de guerre et de provisions de bouche le Conseil décida de saisir la première démonstration pacifique offerte par le Sultan.  Peu de jours après, les Turcs ayant effectivement arboré un drapeau parlementaire sur le clocher de l'église Ste Marie des Lymonitres, Villiers de l'Isle-Adam en fit hisser un autre sur un des moulins qui dominent la porte S.  Jean.

Après ce qu'en dit Ahmed Hafouz, il peut sembler étrange et en quelque sorte contradictoire que Suleiman ait le premier hissé le drapeau parlementaire, alors qu'il était assuré d'une prompte victoire; qu'il ait même offert des conditions avantageuses.  Mais le style officiel chez les Ottomans, dérobe toujours sous un voile impénétrable autant que possible, l'aveu d'une erreur évidente ou la nécessité impérieuse d'un accom:odement.  Ce dernier cas était celui dans lequel se trouvait alors le Sultan.  S'il avait été ému par les cris des femmes et des enfants que ses farouches soldats égorgeaient sans pitié, il n'était pas moins ébranlé par le découragement qui se manifestait dans son camp aussi bien que dans la ville; la rigueur de la saison avait énervé l'opiniâtre courage de son armée; il ne faut donc pas s'étonner qu'il ait pris l'initiative de propositions pacifiques.

De quelque part d'ailleurs qu'ait été arboré en premier lieu le signal de la paix, il fut compris et accepté par les deux partis; car lorsque des officiers Turcs sortirent du camp, des députés de la Ville vinrent à leur rencontre; ceux-ci ne portaient aucun message, et reçurent au contraire une lettre du Sultan.  Ce détail autorise à croire que l'initiative partait de ce côté.

Suleiman sommait le Grand-Maître de lui livrer la place à des conditions très avantageuses dans le délai de troisjours; "que dans le cas contraire il n'eschapperait ni petit ni grand; mais que jusqu'aux chats, tous serait mis en pièces”.  (Commandeur de Bourbon)

Deux ambassadeurs, Dom Raymond Marquez et Dom Lopez Debas, furent dépéchés au camp Turc; mais comme ils exigeaient encore trois jours de trêve que le Sultan ne voulut pas accorder, les hostilités furent reprises, avec plus de mollesse d'abord, avec plus de vigueur ensuite.  Le 18 Décembre un furieux assaut fut victorieusement repoussé par les Chevaliers; mais un autre plus furieux encore donné le lendemain, pour profiter de la fatigue des assiégés, rendit enfin les Turcs entièrement maîtres du bastion d'Espagne dont les Chevaliers avaient conservé une bonne partie.

La défense était désormais impossible, la capitulation sans honte.  Villiers de l'Isle-Adam avait essayé de faire parvenir au Sultan un rescrit de Bayazid contenant la promesse d'une paix éternelle entre lui, ses descendants et l'Ordre; mais Ahmed Pacha auquel il fut remis, le déchira et renvoya une réponse ironique.

Les négociations furent donc reprises, et deux députés bourgeois, Pierre Siglifico (Latin) et Nicola Vergati (Grec), furent adjoints aux ambassadeurs de l'Ordre; le Chevalier Antoine de Grolée avait la préséance .

Il fut convenu que les habitants Latins et Grecs conserveraient leur religion; qu'ils ne seraient inquiétés ni dans leurs biens ni dans leurs familles, et qu'ils seraient exempts d'impositions pendant cinq ans; que ceux qui voudraient abandonner leurs propriétés pour suivre les Chevaliers, auraient la faculté de sortir de l'Ile en emportant leurs meubles et leurs bijoux.  Après avoir ainsi sauvegardé les intérêts de ses vassaux contre les droits de la conquête, avec autant d'énergie qu'il avait mis de bravoure à les défendre, l'Ordre, jusque là désintéressé dans les clauses du traité, imposa au vainqueur le respect de ses biens les plus chers.  Suleiman accepta que les reliques, les vases et ornements sacrés et les archives, seraient emportés; que la flotte armée en guerre serait laissée aux Chevaliers, et que le vainqueur fournirait en outre les vaisseaux nécessaires, en cas d'insuffisance de cette flotte, pour les transporter gratuitement à Candie, avec ceux des habitants déterminés à quitter Rhodes.  Il fut enfin convenu que le gros de l'armée Turque reculerait de quelques milles, et qu'une garnison de 4000 Janissaires occuperait seule la Ville, jusqu' au départ des Chevaliers, auxquels il avait été accordé un délai de 12 jours.

Cédons maintenant la parole à Ahmed Hafouz : “Alors le Hakim (Juge) du château qui s'appelait Mastori Mialo, et était le chef de cet ordre voué à San Givan, envoya au Sultan 50 infidèles des principaux de la ville pour demander l'aman et rester en otage.  Le miséricordieux Sultan, conformément aux prescriptions de la vraie Loi, accorda l'aman, et réunissant son noble Divan (Conseil) il y fit comparaître les infidèles qui, la face contre terre et tremblants de peur, renouvelèrent leur serment de soumission; ils furent alors envoyés au camp, où les troupes les traitèrent avec la bonté qui leur était naturelle.  En outre, le généreux et miséricordieux Sultan voulut bien permettre au Mastori Mialo de retourner dans le Frenghistan (Europe) et d'emporter les navires, galères et galions qui leur avaient appartenu; mais il exigea que tous les Musulmans, lettrés, ulémas, négociants et trafiquants que ces infidèles retenaient dans le bagne fussent immédiatement délivrés, ce qui fut fait incontinent, au milieu des actions de graces et des bénédictions que ces infortunés adressaient à Dieu et au magnanime Sultan".

"Le 6 Sefer (25 Décembre), jour de Vendredi, le Sultan, selon la sublime loi que le bienheureux Omer a établie à l'égard des pays conquis, ordonna qu'un Muezin montât sur l'Arap Kouleh, cette tour dont l'élévation atteint le troisième ciel; de là le Muézin, d'une voix aussi forte que celle du bienheureux Bilal, notifia à la population la glorieuse conquête du Sultan Suleiman, et entonna ensuite la sublime prière que Mohammed, le Saint Prophète de Dieu, a instituée sur la terre des croyants, et cette voix claire et forte étonna les Chrétiens.”

Alors le sublime Sultan précédé du second régiment des Janissaires et de ses drapeaux ornés de franges d'or, escorté par 400 gardes du corps Solouk, par 4 chefs Solouks, par 4 Kehayas et par 40 Odabachis, tous vêtus de blanc et les turbans ornés de riches joyaux, pénétra dans la ville au bruit des salves d'artillerie et au milieu d'une foule considérable.  Le reste des gardes du corps, les musiciens, les officiers de chaque corps, suivaient le glorieux Padichah et s'écriaient: Allah Allah! par ta volonté le glorieux sabre de Mohammed a soumis ce superbe château! C'est ainsi que le Sultan se rendit jusqu'au temple de San Givan; là où les infidèles adoraient une idole, lui le vainqueur béni, adressa sa prière au vrai Dieu ".

Ici il y a lieu encore de reprocher à Ahmed Hafouz son style officiellement ampoulé; car les otages, remis conformément aux clauses du traité, n'ont pas eu à se présenter en suppliants pour demander l'aman; ce n'était pas non plus une grâce spontanée, cette autre stipulation qui donnait aux Chevaliers le droit de partir sur leur propres navires encore libres dans les ports; sans aucun doute la prise de la ville était inévitable; mais contre une opiniâtreté plus prolongée de la défense, le Sultan n'aurait achevé de la conquérir qu'au prix de lourds sacrifices: les éviter était sage-se; les compenser était justice plutôt que magnanimité.  Enfin l'auteur du manuscrit omet à dessein trop évidemment, de parler de la violation du traité, violation dans laquelle incombe à Suleiman lui-même une part de complicité, puisqu'avant que les Chevaliers eussent quitté le pays, il avait été faire sa prière dans l'église St Jean; trop absorbé probablement dans son action de grâces, il ne connut rien des actes de désordre et de pillage auxquels se livrèrent les soldats qui l'accompagnaient; Ahmed Hafouz les ignorait-il aussi? car il passe ce fait sous silence, tandis qu'ordinairement il est assez impartial pour dire la vérité, mais en la couvrant parfois d'un voile si épais, qu'on a de la peine à saisir ce qu'il cache.  Après cette observation, cédons lui encore la parole.

"Le 10 Séfer (29 Décembre), le Sultan à cheval, entre dans la ville par la porte de Kyzil Capou, avec non moins de gloire que la première fois; il se rend au port, et admire la grande chaîne qui le fermait et les autres engins dont les infidèles s'étaient servis pendant le siége.  Il nomme ensuite un Sandjac Bey, pour Gouverneur de l'Ile et ordonne que 52 compagnies de Janissaires y tiendraient garnison.  Il visite enfin le Mandraki (Arsenal) et l'Arap Kouleh.  A son retour au quartier général, il reçoit la nouvelle que Tahta li Kalessi (château de Malona), à quelque distance de la ville, et la forteresse de Stankio (Cos) faisaient leur soumission".

Les historiens européens font une description très touchante de l'entrevue que Villiers de l'Isle-Adam aurait eue avant son départ avec le Sultan; ils parlent des offres que Suleiman aurait faites au vénérable Grand-Maitre, pour l'engager à entrer à son service en embrassant la religion Mahométane, et ils discutent longuement sur la question de savoir si le vaincu a baisé la main de son vainqueur, et si en le faisant il a obéi à un ordre qui lui était imposé, ou s'il l'a fait spontanément.

Ahmed Hafouz n'aurait pas manqué de mentionner ce fait comme une humiliation imposée au chef des infidèles qui avaient osé résister aux armes victorieuses de l'Islam.  Il se contente de nous dire que: "dans un Divan tenu le 12 Séfer (31 Décembre) le chef du château, Mastori Mialo en ayant obtenu la permission, vint prendre congé du sublime Sultan, qui voulut bien lui donner en présent bonne quantité de lingots d'or, de pierres fines et autres objets précieux et lui renouveler la permission de se servir des galères, galions et autres navires qui leur avaient appartenu, à la condition, ajouta-t-il, avec des larmes aux yeux, que le soleil du lendemain ne les reverrait pas à Rhodes.  Sur ce le chef des infidèles se retira tout pensif et partit pour le Frenghistan".

En effet, le 1er- Janvier 1523, le soleil levant éclaira la flotte de l'Ordre remontant le Canal de Rhodes, et se dirigeant vers Candie; elle emportait les Chevaliers, leurs suivants et environ 5000 habitants qui avaient abandonné leurs biens pour échapper à ce prix à la domination Turque.

Cette flotte se composait du vaisseau Capitaine Sainte Marie, sous les ordres du Commandeur de Trinquetille; du grand vaisseau Caraque de Rhodes, commandé par le Turcopolier William Weston; de la galère Sainte Catherine, commandée par l'Amiral d'Airsaque; de la galère Saint Jean, commandée par le Chevalier de Bidoux, Prieur de St. Gilles; du galion St. Bonaventure, sous les ordres du Commandeur François Benedetti; de la goëlette La Perle sous les ordres du Commandeur Jean de Torfan; de la galère Le Sicilien, commandée par le Chevalier J.  B.  Schiattese.  et de plusieurs autres navires de transport, appartenant les uns à l'Ordre, les autres au Sultan, qui conformément aux conditions du traité, les avait affectés au transport des émigrants.

Le vaisseau Sainte Marie, sur lequel se trouvait le GrandMaître, portait, au lieu de l'étendard de l'Ordre, un pavillon, représentant la Ste.  Vierge avec le cœur transpercé d'un glaive et cette devise: AFFLICTIS SPES MEA REBUS.  C'est sur ce vaisseau que les Chevaliers avaient embarqué leurs reliques les plus précieuses, c'est-à-dire un morceau de la vraie Croix; la main de St. Jean-Baptiste; l'image de N.  D.  de Philerme &c., ainsi que leurs archives et même les clefs en or massif de la ville de Rhodes, conservées dans l'église de St Jean à Malte.

Les Chevaliers étaient encore à Candie, lorsqu'ils y virent arriver l'Archevêque de Rhodes, Frère Léonard Palestrino avec tout son clergé et plusieurs Latins qui s'étaient d'abord décidés à rester dans l'Ile, mais qui en furent chassés par les Turcs, impatients de voir leur conquête entièrement évacuée par tout ce qui était Latin.

Des 5000 Rhodiens environ.  qui avaient suivi les Chevaliers, les uns restèrent à Candie, les autres allèrent en Italie ou en Sicile; une centaine de familles à peine les suivirent jusqu'à Malte, où elles se fixèrent.

C'est ainsi qu'avec tous les autres pays de la Religion, l'Ile de Rhodes passa définitivement sous la domination Ottomane, après que les Chevaliers l'eurent occupée avec tant de gloire pendant 213 ans; aussi en quittant Rhodes et en regardant ses murs et ses bastions en ruines, les vaincus avaient la conscience d'avoir fait leur devoir jusqu'au dernier moment, et la consolation de se dire que leur glorieuse défaite équivalait à une victoire.

Les Turcs, en signe de respect pour ces héroïques vaincus, conservèrent leurs armoiries et les inscriptions des monuments publics; si quelque chose a été profané, ce sont les tombeaux qui se trouvaient hors des églises; fait étonnant de la part des Turcs, et qu'il convient d'attribuer à l'ignorante cupidité d'une soldatesque effrénée.

Quoique tous les historiens, d'accord en cela avec les archives de l'Ordre, et avec le Manuscrit d'Ahmed Hafouz (qui précise la nuit du 12 au 13 Séfer), établissent le départ des Chevaliers à l'aube du 1er Janvier 1523, nous devons assurer ici, non pour contester une date qui reste acquise à l'Histoire, mais pour mentionner un fait inexplicable; c'est-à-dire qu'il y a peu d'années encore, on voyait insérée dans la tour de l'église St Jean, une tablette de marbre portant cette date: 1523.  Comment expliquer cet anachronisme existant à Rhodes méme? Faut-il admettre que ce marbre a été placé là comme un monument commémoratif, dans la nuit même du 31 Décembre 1522 au 1 Janvier 1523, pendant que les Chevaliers s’embar quaient?......  Nous sommes surpris qu'aucun des anciens voyageurs n'ait parlé de cette tablette qui a disparu avec la tour lors de l'explosion (1856).

Cependant le Grand-Maître n'avait pas renoncé à l'idée de reconquérir Rhodes dont quelques riches habitants s'étalent mis en correspondance secrète avec lui.  Il comptait surtout pour le succès de son entreprise, sur le concours d'Ynat Ahmed Pacha, celui-là même qui l'avait combattu à Rhodes.  Il était alors (1524), Gouverneur de l'Égypte pour Suleiman; le désir de se rendre indépendant le porta à proposer une alliance offensive et défensive au GrandMaître et au Pape Clément VII, qui appartenait lui même à l'Ordre de St. Jean.

Le Commandeur Antonio Bosio, déguisé en marchand levantin, s'était rendu plusieurs fois à Rhodes, avait réchauffé le zèle des principaux habitants envers l'Ordre, et obtenu même, par l'entremise de l'Archevêque grec.  Evthimios, une entrevue avec le Gouverneur de l'Ile, gagné à la cause d'Ahmed Pacha.

L'Empereur Charles-Quint, auquel le Grand-Maitre s'en était ouvert, encouragea ostensiblement le projet, et promit de concourir à sa réalisation par un don de 25,000 Écus; le Roi d'Angleterre Henri VIII, envoya à l'Ordre 19 gros canons de bronze et 1023 boulets; François I, Roi de France, se souvenant que le Grand-Maître était utilement intervenu auprès de Charles-Quint pour obtenir sa liberté, n'épargnait pas ses promesses et ses encouragements; enfin le Pape, quoique ne partageant pas les illusions du GrandMaître, ne s'opposait point à la tentative.

Tout semblait donc favoriser les projets de Villiers de l'Isle-Adam, lorsque Suleiman instruit des aspirations d'Ahmed, expédia en Egypte Ibrahim Pacha avec des forces considérables; Ahmed fut vaincu et eut la tête tranchée.

Ce fait découragea beaucoup les Chevaliers, mais tout espoir de reconquérir Rhodes ne fut perdu que lorsque l'infatigable Bosio étant retourné dans l'Ile, trouva que Suleiman en avait changé tous les officiers, et avait pris de sérieuses mesures pour conserver cette précieuse conquête.

On a lieu de soupçonner Charles-Quint d'être l'auteur des avis fournis à Suleiman sur les agissements d'Ahmed Pacha et sur les projets des Chevaliers.  Sans rien affirmer à cet égard, nous nous limiterons à observer qu'il était dans l'intérêt de l'Empereur de voir les Chevaliers accepter définitivement la cession de Malte, ce que ceux-ci ajournaient à l'infini, dans l'espoir de reconquérir Rhodes.  La vaillante milice une fois établie à Male, servait de bouclier à toute l'Italie et aux Iles adjacentes, contre les incursions des corsaires Barbaresques.  Outre cette considération majeure, Charles-Quint avait l'ambition d'être, comme le lui avaient dit en 1524 les ambassadeurs de l'Ordre qui sollicitaient son appui, "le second fondateur d'un Ordre illustre, qui depuis plusieurs siècles, s'était dévoué à la défense des Chrétiens.”

Quoiqu'il en soit, l'acte de cession de Malte fut signé le 24 Mars 1530, et en prenant possession de cette Ile et de Gozzo, les Chevaliers renoncèrent pour toujours à leurs projets sur Rhodes …

Hic finis fatorum … hic exitus …



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