The story of the siege and fall of Rhodes in 1522 as told by Jacques de Bourbon
Presented by Željko Zidarić.
A story told by Jacques de Bourbon, a high-ranking Knight that participated in the Grand Master's Council, and had access to reports provided by envoys and spies. He published “La grande et merveilleuse et très cruelle oppugnation de la noble cité de Rhodes…”, in 1525. For Jacques, the account of the siege was a way to show his loyalty to Grand Master Philippe de Villiers, who was being slandered for having surrendered. Jaques, born in 1466, was an illegitimate son of Louis de Bourbon, Prince-Bishop of Liège (1438-82). He became the Grand Prior of the Jesuits in France, joined the Knights in 1503.
Original versions: “La grande et merveilleuse et très cruelle oppugnation de la noble cité de Rhodes…”, by Jacques du Bourbon, 1525, 1527.
1525: https://books.google.ca/books?id=XJhP3ewMR5sC
1527: https://books.google.ca/books?id=gHghafscBfEC
More readable version: “Histoire des chevaliers hospitaliers de S. Jean de Jérusalem …," Volume 2, by René de Vertot, 1726.
Preuves du VIII livre: De l’histoire des chevaliers Hospataliers des S. Jean de Jerusalem
https://books.google.ca/books?id=H9HEzgzs-CkCetpg=PA622
Comment on the text
Please note that since this text comes from almost 500 year books, the French text is difficult to read due to the old style of writing. At that time, the letter ſ which is similar to the letter f, causes text when digitized by OCR, to create words such as poſſeſs or poſseſs for possess. Also, quite often the letter y should be the letter i.
There are also other OCR errors resulting from the type of fonts used and damage to pages. A cursory attempt has been made to improve the readability of the text but since I am not a native French speaker, thus I am not able to improve the readability further.Rélation du second siege de Rhodes en 1522,
par le Commandeur de Bourbon, temoin oculaire.
A tres reverend et tres illustre seigneur, Monseigneur le Grand Maistre de Rhodes, frere Philippe de Villers Lisleadam, de par son tres humble, et tres obessant religieux et serviteur, frere Jaques bastard de Bourbon, Commendeur de saint Maulvis, Doysemont, et Fonteynes, au prieur de France.
To the very reverend et very illustrious lord, Monseigneur the Grand-Maisire of Rhodes, brother Philippe de Villers l’Isle-Adam, by his very humble, et very obedient religious et servant, brother Jacques Bastard de Bourbon, Commander of Saint Maulvis, d’Oysemont, and Fonteynes , to the Prior of France.
La Table
- Le prologue.
- Les raisons et causes principalles qui ont meu le grand turcq Sultan a assaillit la noble religion chevallereuse, et cite Rhodes.
- La prinse de Belgrade par les turcqe Lan mil cinq cens.
- Trahyson d’une Juif baptize.
- De la machination faicte entre Sultan Seliman grand turcq et frere Andry d’Emerail portugaloye: chancellier deladicte religion de Rhodes.
- Frete Philippe de Villers esleu lan M.ccccc.vv.
- De l’appareil du grand turcq pour aller a Rhodes. Et des espies et munitions faictee par frere Philippes de Villers Grand Maistre pour manir et fortifier ladicte cite de Rhodes.
- Espies en turquie.
- Fortification de la Ville de Rhodes.
- Trahyson commette.
- Frere Andry d’Emerail motif de linfortunee entreprinse.
- Fidelite de messire Jean Anthonio Bonaldi enuete les Rhodiens.
- Les orges taillez.
- Comment une carraque geneuoyse chargee despicerie fut detenue par les Rhodiens.
- Comment les monstree generalles furent faictes le jour de sainte croix au moye de Maydedans Rhodes.
- Monstres des citoyens et estrangiere de Rhodes.
- Guyot de Castellace capitaine de la tour sainct Nicolas.
- La vigilance et trauail du Grand Maistre.
- Les capitaines des postes.
- L’enseigne de la religion de la croix blanche.
- Loys d’inteuille porte enseigne de la saincte figure du crucifix.
- L’enseigne du Grand Maistre: et la garde du Grand Maistre.
- Comment le Grand Maistre feist apporter limage de la Vierge Marie estant en la montaigne Fillerne pres Rhodes en l’eglise sainct Marc et pour plus grande seurete la feist transporter de la en l’eglise saincte Katherine.
- Comment Par le commandement da Grand Maistre les villages cita conuoysins se retirerent dedans la ville de Rhodes apres quils eutent cueilly parti des bledz et biens de la terre.
- Le bledz taillez demy meurs.
- La teneur de la sommation envoyee par le grand turcq Sultan Soliman au tres-illustre seigneur Philippes de Villiers Grand Maistre: et aux citoyens de Rhodes.
- Les turcqs repoussez par frere Jean de Bidoux.
- De la multitude et facon des galleres et navires du turcq: et du nombre des ennemis estans au camp. Et de l’obeyssance gardee en sa gendarmerie.
- En l’armee du turcq avoit deux cens mille combatans.
- Comment le Grand Maistre envoya ses ambassadeurs vers le saint pere le pape, a l’empereur, au roy de France et au roy d’Angleterre pour avoir secours a l’encontre du grand turcq.
- Uno inconuenienti dato, musta coincidunt.
- Deux cens cinquante voilles en l’armee du grand turcq.
- Soixante mille pionniers en l’armee du grand turcq.
- Comment le Grand Maistre envoya deux brigantine, l’une a Lango et l’autre en Candye pour avoir gens expers et entenduz sur le faict de la guerre.
- Comment le seigneur de Sainct Gilles fut constitue pour estre gouverneur de l’artillerie: et pour visiter les gardes avec le Grand Maistre.
- De la multitude et nombre de pieces d’artillerie tirans incessamment dedans la ville de Rhodes: due mal quels feirent: et du conseil que mandoit le Juif medecin (dessus nomme) au camp du grand turcq.
- De la maniere et ordonnance de l’artillerie du turcq.
- Le nombre des coups d’artillerie.
- Comment Gabriel Martinengo se desroba du duc de Candie pour venir secourir le Grand Maistre: et du pourchas que feist le duc de Candie pour chercher ledit Martinengo a cause que vouloit donner secours aux Rhodiens.
- Gabriel Martinengo chevalier de Rhodes.
- De la venue et descente du grand turcq en son camp: et des rampars marveilleux que feist faite a l’encrontre de la ville pour mettre les mantellets et artillerie.
- Les ramparcz du turcq plus hauly que les murailles de Rhodes.
- La ruze et industrie pour celer l’artillerie.
- Le maistre de l’artillerie du turcq tue d’une coup de colouvrine.
- Les esclaup de Rhodes tuez dont fut dommage.
- Comment Vasilly Carpatio grec print douze turcqz par sa finesse, et eux mis dedans son brigantin en tua une, et les unze presenta audit seigneur Grand Maistre.
- Neft de merueille si les murs de Rhodes ont eu fort affaire.
- Le nombre des mynes quauoient fait les turcqs a Rhodes.
- Comment le premier assault fut donne contre Rhodes: la ou moururent grand nombre de turcqz: a peu de nos gens. Et de la mort de frere Gabriel de Pommerolz.
- Deux mille turcqz tuez.
- La mort de frere Gabriel de Pommerolz.
- Comment le second et merueilleux assault fut faict les unes contre les aultres. Et comment les turcqs prindrent la fuyte quant ils apperceurent l’enseigne de la croix blanche, et de trois mille de leurs gens tuez.
- Troys senjacbeys, et de deup a troys mille turcqs tuez.
- Du troisieme assault qui fut fort cruel d’une coste et d’aultre, ou nous gaignasmes la tournee ensemble deux enseignes avecques trois mille turcqs tuez, et bien peu de nos gens: veu quilz estoient mille contre une.
- Trois mille turcqs tuez.
- De la trahison du Juif medecin (dessus nomme) et de sa pugnition, et comment il voulut mourir bon Chrestien.
- Du tremblement de Rhodes et ouverture des murailles a l’occasion du ne des mynes ou estoit mis le feu fort horrible.
- Du quatriesme combat qui fut chose miraculeuse: par ce que nos ennemys perdirent toutes leurs enseignes. De la grande occision et puanteur des corps di ceux, et da nombre de nos gens tuez.
- Quinze mille turcqe tuez.
- De layde des femmes de Rhodes, tant aux murailles que autre part a lencontre des ennemys.
- Comment le grand turcq manda Mustafa basha son capitaine general, et lui reprocha que cestoit par lui quel avoit perdu les trois assault: et comment le voulut faire mourir.
- Comment les ennemys voulurent leuer leur camp eux voyant quilz perdoient leurs gens, et des traistres estans dedans la ville que mandoient lettres aux bashas et capitaines. Et de frere Andre de Merail (dessus nomme) perseuerant en sa trahison.
- Lettres envoyees aux bashas par frere Andre de Merail.
- Comment Mustafa Basha laissa l’armee, lui voyant que il nen pouoit venir au dessus, et par commandement du turcq se retira au grant caire. Et Achmat Basha fut constitue en sa place pour estre capitaine general de l’armee, lequel ses forca a faire pis que devant.
- La femme de Mustafa Basha seur du grand turcq.
- Le commencement et premier moyen de nostre desconfiture.
- Comment monsieur le Grand Maistre se voyant navoir du meilleur envoya frere Jean de Bresolz pour avancer le secours de Naples: et de messire Jean de Gesnaldo tue d’une coup d’artillerie: le mesme jour que fut faict chevalier de lordre.
- De six a sept cens turcqz tuez.
- Comment les ennemys meistent le feu a une myne estant dessouz la muraille: puis a force d’artillerie la misrent a bas: et par ce moyen pouoient entrer dedans la ville.
- Comment le serviteur de frere Andry d’Emerail fut prins par suspicion de la trahison dudit Emerail apperceue: du tesmoignage a lencontre veux. Et de la punition quen fut faicte: et comment mourut lesdit Emerail en sa mauldicte trahison.
- Punition de frete Andry demerail:et de son serviteur.
- La trahyson de frere Andry d’Emerail pire que celle de Judae.
- Comment apres que la plus part de la muraille fut abatue: le Grand Maistre feit abatre une partie des eglises nostre dame de la victoire et saint Panthaleon pour illec faire aucune repaires.
- Les pavillone du turcq dressez dedans la ville.
- Comment la veille saint Andry: les ennemys baillerent plus fort assault que devant: entrerent dedans les repaires: de la grosse pluye qui cheut durant ledit combat: le nombre de turcqs tuez: et de la victoire sut eux gaignee.
- Trois mille ou plus de turcqs tuez.
- Comment une geneuoys estant au camp des ennemys vint parlementer aux Rhodiens leur enhortant de rendre la ville: et de la responce qui lui fut faicte: des lettres quil avoit adressantes a Matthieu de via.
- Comment apres ledit geneuoys retourne: vint une albanyti: avec lettres envoyees de par le grand turcq au seigneur Grand Maistre, et du peuple de la ville qui se commencoita estonner: du conseil assemble pour y remedier: et de la responce et constance dudit Grand Maistre.
- La prudence du Grand Maistre.
- Supplication des Rhodiens envers le seigneur Grand Maistre.
- Comment monsieur de saint Gille et le capitaine frere Gabriel furent interroguez sur le faict de la ville: tant des munitions que des gens de guerre de leur opinion et responce. et de la conclusion des citadine: et communaulte de la ville.
- Des relicques principaux estans dedans Rhodes.
- La prinse de Modons et de Belgrade alleguee p les Rhodiens.
- Du parlement demande que a faict le grand turcq au tres-illustre seigneur Grand Maistre et citadins de Rhodes, et du traicte et composition qui leur a voulu faire.
- Les secrets de dieu a nous incongneuz.
- La teneur de la composition dudit grand turcq auc Rhodiens.
- De la deliberation faicte sur le contenu des lettres du grand turcq, et du conseil tenu par seize des plus anciens de la Religion: de frere Anthoine de Grolles, et messire Robert de Peruciis ordonnez pour rendre responce audit grand turcq et des trefues baillees pour trois jours.
- Quest conseil acomply et quelz gens si doibuent affembler.
- Trefues pour trois joure.
- Mille pavillons au camp du grand turcq.
- Cruelles menasses du grand turcq.
- Comment apres que frere Anthoine de Grolles, et messire Robert de Peruciis eurent prins conge da grand turcq, Acmet basha retint frere Anthoine de Grolles et renvoya messire Robert de Pecuciis vere le seigneur Grand Maistre.
- Plus que cent quatre mille turcqs tuez devant Rhodes.
- Du rapport de messire Robert de Peruciis touchant la responce du grand turcq et des termes en quoy estoit ledit seigneur Grand Maistre touchant l’honneur de la Religion et citadins de la ville de Rhodes.
- Advis daulcuns Rhodiens de non rendre la ville.
- Comment les ambassadeurs furent renvoyez vers le grand turcq, et du cry faict par le commandement du seigneur Grand Maistre, et d’une Rhodien qui fut pendu, a des habitans de la ville estans en poures termes: et des trefues faillies.
- Justice dedans Rhodes.
- Comment les ennemys gaignerent la barbacane d’Espaigne : de la retraicte de nos gene dedans la ville: et enseignes des turcqs affichees sur la muraille de la ville de Rhodes.
- Comment apres nauoir plus de munitions: et estre comme loyseau sur la branche: furent ordonez deux de la ville avec frere Passim pour retourner deuere le grand turcq: et d’unes lettres quavoit aultresfoys envoyez Bayazet pere du grand turcq au seigneur Grand Maistre: et de la cruelle juftice que feit faire Acmet basha a deux Rhosdiene: qui est une chose pitoyable
- La maniere et facon de parler au grand turcq.
- La raison pourquoy le grand turcq na voulu conuenit par alcune somme de deniers avec se seigneur gran maistre. Et aussi les raisons porquoy ledit seigneur lui a accorde paction: et plusieurs aultres matieres.
- Les turcqs appetent plus honneure que chevance.
- Comment Acmet Basha presenta au grand turcq frere Passim: et deux des citadins de Rhodes pour parfaite la piteuse conclusion de lui tendre la ville: et de la responce.
- La responce du grand turcq baillee sur la requeste des Rhodiens.
- Comment les ambassadeurs eurent prins conge du turcq, feirent despecher leurs lettres touchant l’accord, du camp leue: de l’hostage envoye ay turcq, et due sauf-conduit par luy donne.
- Le camp du turcq leue.
- De l’extortion que seirent aulcuns de la gendarmerie du turcq aux Rhodiens, veu que le terme nestoit ia passe pour eux retirer et vuyder la ville.
- De la cruauste que ont fait les turcqs aux hospitaulx et eglises de Rhodes: et de l’inhumanite que ont eue envers les sepulchres: et de la violence envers les femmes et enfans.
- Comment le lendemain de Noel le seigneur Grand Maistre eut parlement avec le grand turcq, et des parolles que ils eurent ensemble: et de l’entree du turcq a Rhodes.
- De la diligence des Rhodiens a saulver eux et leurs biens, du com, mandement de Acmet Basha: que on neust a nully aucun mal ne desplaisir faire, mais les laisser aller.
- Comment le seigneur Grand Maistre: apres quil eut prins conge du grand turcq monta fut mer et vint arriver au castel principalle vils le de Candie, la ou il fut receu par le general de la seigneurie de Venise.
- Comment le tres-illustre seigneur Grand Maistre fut receu honnorablement par le Viceroy de Cecille et larcheues que de Messine. Et aussi des lectres envoyees de par le sainct pere le pape et plusieurs autres matieres.
- Nostre dame pie de grotte.
- Comment le pape Adrian de trajecto envoya a Linette Viellye leues que de Conque, pour parler et visiter ledit seigneur Grand Maistre, et aussi l’advertir quil avoit desir de le veoir: a raison que ne pouoit vivre longuement: car peu apres ledit saint pere mourut.
- Des ambassadeurs envoyez a l’empereur, an roy de France, et au roy d’Angleterre de par ledit seigneur Grand Maistre, et de l’election du pape Julius de Medicis. Et de la complaincte qua faict le seigneur Grand Maistre au sainct pere touchant l’infortunee prinse et perdition de Rhodes.
- Le seigneur Grand Maistre garde de la porte du conclave.
- Frere Thomas Guichard expert en l’art doratoire.
- Comment le tres-illustre seigneur Grand Maistre feit une requeste au sainct pere le pape: pour avoir quelque lieu conuenable qui fust a l’honneur de dieu a de sa religion, esperant de veoir bon accord entre les princes Chrestiens: au moyen dequoy ils lui pourroient aider a recounter ceste infortunee cite de Rhodes.
- Du est a present la residence du Grand Maistre a viterbe.
Fin de la table.
L'histoire du siège de Rhodes
Le prologue
A tres-reverend et tres-illuftre seigneur, monseigneur le Grand Maistre de Rhodes frere Philippe de Villiers l’Isle-Adam, de par son tres-humble, a tres-obeyssant religieux et serviteur, frere Jaques bastard de Bourbon, commandeur de sainct Maulvis, d’Oysemont, et Fonsteynes, au prieure de France.
Perse poete tres eloquent dit en ceste maniere: est aliquid quo tendis, et in quod dirigis arcum ? Voulant fignifier par telles parolles, mon tres-redoubre et fou. verain seigneur, que toutes nos operations doibvent avoir leur regard et direction a quelque fin. Quoy considerant, apres avoir propofe mettre par escript le Gege loppugnation, et finablement prinse de la jadis honoree, et qui a profpere deux cens et quatorze ans en triumphe et gloire, a l'occasion des belles et honorables victoires quelle a eu sur les Infidelles, maintenant poure, desolee, et captive Cite de Rhodes; ma semble bon et condecent a raison declairer premierement les causes qui ont incite mon poure et petit entendement a faire ceste petite œuvre. La premiere est pour le grand defir que jay de faire chose qui foit aggreable a ta seigneurie renommee, et a l'honneur dicelle comme a mon superieur et redoubte seigneur.
La seconde affin que les Princes Chrestiens et autres Seigneurs foient mieux informez de la verite des choses passees au siege, et de la grande et incroyable puissance et fureur en laquelle le pervers et fanguinaire ennemy de la soy Chrestienne le grand Turcq est venu assieger ta ville de Rhodes, lequel ( tanquam leo rugiens circuit quærens quem devoret) ne demande sinon croistre et augmenter sa faulfe et mauldice fecte et superftition. En deliberation a ceste heure quil a leve ceste Espine de son pied, et quil est venu au dessus de Rhodes par son oultrecuidance et temeraire voulente de venir jusques aux portes de Romme, et plus avant, si la divine puissance ni pourvoyft.
La troisiesme pour obvier aux calumniations et mauvaises parolles des medifans et aussi ignorans de l'affaire, com. me il est passe, lesquels voudroient parler contre tes nobles et vertueux faits. Nonobstant je ne pretends point refrener du tout (car je ne pourroye) les perverfes et ferpentines langues qui ont accoustume de mesdire et attribuer le bien a mal, neantmoins en faire son debvoir, et dire ce que l'on doibt dire, nest chose indecente; et quand aux ignorans (comme je croix) sceue et congneue la verite des choses, ne cesseront seullement de mal parler, mais se repentiront davoir mal dit ou pense.
La quatriesme pour honorer les nobles Chevaliers et autres personnaiges de ta compagnie, qui sont mors martyrs en ce siege, et qui ont pour le nom et la soy de nostre Saulveur Jesuchrist Espandu leur fang, et ont lave leurs estolles au fang de laigneau.
La cinquiesme raison est pour advertir une chascun pour descharge de ta seigneurie renommee des grandes et abominables trahysons que plusieurs faux Chrestiens qui estoient dedans ta ville ont fait et machine contre toy et ta sainte religion. Entre les autres celle d'une de tes propres difciples et religieux, lequel ensuyvant le vray train de Judas, ta vendu aux Infidelles; et oultre cela affin que chascun foit informe que tu nas pas este obey ni fidelement fervy de tous tes vaflaulx, mais a la fin et aux plus grans affaires habandonne; pour lesquelles raisons et autres choses qui te sont venues a mains, tu nas peu subjuguer ton ennemy, et porter la palme triumphale, selon ton noble cueur et vouloir animeux. Mais tout considere ta seigneurie renommee se doibt soubsmettre au vouloir divin, lequel donnera remede a tout fil lui plaift avec le temps. Suppliant icelle tres-humblement de vouloir avoir pour agreable ce present labeur et œuvre de ton deflus nomme tres-humble fils d'obedience. lequel par adventure a plus voulu que peu ; toutes foys la bonne voulente ne doit estre privée de louenge: car comme dit Properce, In magnis et voluisse sat est.
Sensuyt le prologue
Voulant fidelement, et a la verite rediger par escript, le grand et merveilleux siege, cruelle expugnation et prinse lamentable de la noble et tres anciennement renommee Cite de Rhodes, clef es parties dorient de la chose publicque Chrestienne, esperance des fidels tombes es mains des Turcqs pour en povoir estre delivres foulagement, et repos feur des pelerins de la terre fainéte a leur aller, et tourner, recueil et adresse de tous Chrestiens marchans trafigans en levant propugnacle, et bollovart de l'archipelago et mer Mediterrane, je declareray ce a quoy personnellement me suis trouve, et quand au demeurant, pour ce quil est impossible que jeusse este present a tout ce qui a este fait pendant le siege (durant lequel nay point este absent dudit Rhodes) nescripray chose que nay sceu et entendu par gens de biens et si vertueux, que je nadjouste pas moindre soy a leur relation que a ce que ay veu de mes yeux: et du tout parleray sommairement, et seullement des choses principalles.
Les raisons et causes principalles qui ont meu le grand turcq Sultan a assaillit la noble religion chevallereuse, et cite Rhodes.
Et pour donner mieux principe a la matiere, ma semble nestre point impertinent declarer les caufes et raisons qui ont meu ce cruel grand Turcq Sultam Seliman ennemy de la sainte soy Catholicque venir avec merveilleuse puissance, et non acoustumee armee maritime et terrestre assieger et combatre continuellement et sans cesser jour ni nuit par lespace de six mois ceste infortunee Cite de Rhodes desquelles, celle que puis juger lavoir grandement meu et incite est que fedit Turcq considerant et cognoissant par experience, que en toute la Chrestiente ne a lieu ne place de quelque qualite ou sorte que l'on la sceust nommer, qui feist lennuy, dommaige et oultrage audit Turcq et ses subjects, que faisoit ceste poure religion chevaleureuse refidente pour lors audit Rhodes, comme lui mêmes es lettres de deffiance declare assez, ainsi que ci apres plus amplement apparoistra. Et oyant journellement plainctes, lamentations, et cris de ses subgects, tant de Turquie que Syrie, des prinses que faisoyent journellement ceux de ladicte religion par mer et par terre, de leurs personnes et biens: au moyen de quoy estoient tellement contraints, quils ne pouoient plus guerres naviger. Et que plus est, en son particulier se trouvoit ledit Turcq tres fort empesche et trouble, entant que touchoit le gouvernement de la Syrie, porceque par mer, qui est le chemin le plus expedient et bref (obstant ce que dessus est dit ) ne pouoit bonnement dresser ses affaires sans despenses excessives, Ains estoit contraint continuellement entretenir grosse armee de mer pour le traffic de la Turquie en Syrie. Ce considere se resolut affaillir ceste religion et cite de Rhodes, jugeant et ayant ferme opinion que icelle subjuguee et mise en son obeiffance, pacifieroit et mettroit en feurete perpetuelle, tous ces pays et estats quil a en ce levant.
La seconde raison est, pource quil a voulu ensuyure les vestiges et faits de ses antecesseurs, cestassavoir de son proave Sultan Mahommet le tres selon et belliqueux, lequel print Constantinople, et Lisle de Negrepont, et depuis passa en Europe, pareillement de son ave Sultan Payas qui print la Moree, le Pantho et Modon, et pour se monstrer aussi vray ethlon du magnanime et victorieux Seigneur Sultan Selim son pere ( lequel apres avoir rompu en bataille le Sofy, et prins la cite de Tauris et Legipte, qui fut en lan mil cinq cens feize) a voulu mettre en excution lentreprinse par fondit pere laissee lan mil cinq cens vingt, lequel Selim avoit son armee toute preste au nombre de trois cens voilles, delibere de lenvoyer contre Rhodes, et lui venir en personne, si la mortalite ne se fust mise en son camp, et lui bien-toit apres par voulente divine prevenu et surpris de la mort. Parquoy lui estant sur la fin de ses jours ainsi que aucuns turcqs qui estoient en ce siege mont racompte et dit, en chergea par testament a son fils, de faire apres sa mort deux entreprifes premieres et principalles. Lune contre Belgrado, l'autre contre Rhodes pour acquerir honneur sus tout, aussi pour mettre ces pays et subgetts en repos et feurete; Laquelle perfuasion paternelle facillement entra et fut imprimee au cueur et juvenile voulente dudit Seliman son fils, qui bien tost apres le decez de son pere, meist en effect la premiere entreprise, et dressa une grosse armee, laquelle il envoya devant Belgrado tresforte place en Hongrie. Et apres lavoir combatue deux mois ou environ, par faulte de munitions de guerre, et aussi de vivres ceux qui estoient dedans, la rendirent le dixiesme jour de Septembre, mil cinq cens vingt-ung.
Ledit Seliman apres avoir eue ceste victoire, enfle de vaine gloire et efleve en superbe, tourna son cueur en contre Rhodes, toutesfois lui non ignorant la force de ladicte ville, et considerant la qualite des gens qui estoient dedans, desquels il seroit bien receu, comme autresfoys avoit este ledit Mahommet son proave a l'autre siege, doubtoit assez et ne scavoit comme parfaire son entreprise, car tous ces capitaines et bashas le destournoyent tant quils povoient de ce faire, lui remonstrant plusieurs inconveniens, reserve Mustafa basha, lequel lui Conseilloit et mettoit en teste dy aller, finablement il delibera totalement de venir au dessus par une sorte ou autre. Et pource que son pere ayant ceste même voulente en son vivant avoit envoye en Rhodes une medecim juif pour efpie, et pour estre mieux. adverty de toutes choses, lui informe que ledit juif festoit encores. la, lui manda dire quil ne bougeast pour la raison susdicte, et feist donner charge a une des principaux hommes de Cyou, de livrer a ce juif tout ce qui lui seroit de besoin pour son entretenement. Et ledit juif escripvoit a cestuy la de Cyou tout ce quon faisoit en Rhodes soubs parolles couvertes pour en donner advis au grant Turcq. Et pour mieux dissimuler et couvrir sa trahison ce juif se feist baptiser, et pour estre aucunement expert en l'art de medecine il feist aucunes belles cures aux malades, et commenca davoir credit, et entrer en amytie avec plusieurs gens de bien. Entre les autres advis quil feist donner au grant Turcq, ce fut de la muraille de la ville quon rompit pour refaire le bollouard d'Auvergne, l'advisant que fil mandoit preitement son armée, quil pouroit surprendre la ville aux termes ausquels elle estoit. Depuys ledit juif donna autres advertissemens, desquels sera faite mencion si apres.
La tierce occasion est, qui a esmeu le grand Turcq de venir a Rhodes, a este pour la grande dissension quil à veu entre les Princes Chrestiens, presumant quils ne donneroient point secours a la ville, parquoy au long aller il en pourroit venir au-dessus. Et oultre les choses susdictes linstigacion d'une Chevalier Portugalloys Chancelier de nostre religion, homme dauctorite et scavoir, et des principaux Seigneurs du Conseil, nomme frere Andre de Merail esmeut et enflamba de plus en plus ledit Turcq a faire ceste entreprise. Dequoy nest de merveilles, car celuy estoit une grande esperance, et gros confort davoir une tel personnaige pour lui qui scavoit tout letat, et gouvernement de la religion et de la ville, et qui lui donnoit advis de tout comme sera dit ci apres Mais pour declairer les occasions de la mauldice et mal'heureuse volunte dudit Mareil, qui a este caufe de si grande perte et dommaige pour la Chrestianite, et sera davantage a long aller si la divine clemence ni met remede.
De la machination faicte entre Sultan Seliman grand turcq et frere Andry d’Emerail portugaloye: chancellier deladicte religion de Rhodes.
Cest assavoir a une chascun que ledit Merail apres le decez du tresillustre Seigneur frere Fabrice de Carreto Grand Maistre de Rhodes enflambe dambicion et couvoitise de parvenir a telle dignite, ce voyant delcheu de son esperance par l'election faite le vingt-deuxiesme jour de Janvier, mil cinq cens vint, à la personne de tres-reverend et tres-illustre Seigneur frere Philippes de Villers Lisle adan, a present Grand Maistre par ces vertus et merites devant luy; de ceste heure la print si grand envye et par consequent inimytie et mal vueillance, non seullement contre ledit Seigneur, mais contre toute sa religion, parquoy il mist son estude et fantaisie de la trahir et vendre aux infidelles, oubliant les grans biens et honneurs que dicelle avoit receu et esperoit recepvoir, avec autres plaisirs que ledit Seigneur lui a faits en particulier. Toutesfois le dyable, ingratitude et fureur, avoient tellement offusque les yeulx de sa pensee, que nullement se povoit contenir, mais a chascun propos il se couppoit et ne povoit dissimuler sa trahison. Et une jour entre les autres avant le siege il dist devant plusieurs gens de bien quil vouldroit que son ame fust au dyable et que Rhodes et la Religion fust perdue. Et pareillement le jour que le tres-illustre Seigneur qui est à present fut pronunce Grand Maistre, il dist a une Commandeur de la nation Espaignolle homme de bien et amy fien, que ledit Seigneur efleu Grand Maistre seroit le dernier Maistre de Rhodes, pour lesquelles parolles il donnoit assez a entendre et congnoiftre son mauldit vouloir et la trahison que dicelle heure il machinoit en son meschant couraige contre la religion.
Ledit Commandeur tint ces parolles en son cueur et ni pensa point plus avant pour ceste heure la. Plusieurs autres parolles et deshonnestes propos tenoit ledit Merail a quoy personne ne sarrestoit ne pensoit l'on quil eust le courage si enrage de faire ce quil a fait. Toutesfois obstine comme Judas il meist en excution son mauldit vouloir; car bien-tost apres que les nouvelles de l'election furent mandees au susdit tres-illustre Seigneur, lequel pour lors étoit en France, il envoya en Constantinople une Turcq prisonnier fien, faignant lavoir rachepte, par lequel il advisa les Bashas du Grand Turcq des affaires de Rhodes; et en quel estat estoit la ville de toutes choses c'est heure la, et de ce quil pourroit furvenir pour en informer ledit Seigneur, le provocant de venir en personne avec grosse armee assieger la ville: Et depuis la venue dudit tres-reverend Seigneur Grand Maistre, il donna autre advis aufdicts bashas, reiterant quils ne povoient avoir meilleur temps de venir, veu que ledit Seigneur estoit nouvellement venu, et que partie de la muraille estoit mise bas. Et que tout estoit trouble a Rhodes: a l'occasion daulcuns Chevaliers de la langue d'Italie, rebellez audit Seigneur, de laquelle rebellion luymême fut inventeur pour mettre mieux en voulente au Turcq de venir: et ne laissa aussi de ladvertir que le temps estoit bon pour luy, parce que les Princes Chrestiens estoient empeschez a faire guerre les unes contre les autres. Et quil ne falloyt point quil doubtast que Rhodes fust par eux secouru, quoy faillant au long aller la ville seroit sienne sans nulle doubte, comme fest veu par experience. Car pour non avoir eu secours ni d'une part ne d'autre, mais habandonnee de tous Chrestiens, et daulcuns qui facilement la povoyent secourir pour esttre voyfins et ayant leurs navires prests, elle est au jourdhuy entre les mains dudit ennemy de la foy. Lesquels advertissemens et raisons dudit traistre par le Grand Turcq entendues: penía de ne perdre tant bonne fayfon. Parquoy feist faire extreme diligence a faire calfater et meêtre en ordre plusieurs navires de diverses fortes, comme galleaces, galleres, pallandrees, fustes et brigantins, au nombre de deux cens cinquante voylles ou plus.
Ledit prisonnier apres avoir fait sa commission tourna en Rhodes dequoy tout le monde fut esmerveille, et aulcuns eurent mauvaise fantaisie de son retour comme chose non acoustumee, mais personne nen ofa parler: voyant ledit Merail estre homme dauctorite et constitue en dignite, et faisoit ledit Merail fort bonne chere a celluy qui estoit tourne, par quoy estoit de presumer quil avoit bien fait son embassade, et quil lui avoit porte bonnes nouvelles, et selon sa dampnable voulente.
De l’appareil du grand turcq pour aller a Rhodes. Et des espies et munitions faictee par frere Philippes de Villers Grand Maistre pour manir et fortifier ladicte cite de Rhodes.
Ledit Grand Turcq intendant a grosse diligence a faire son armee maritime pour mieux venir a ses fins et pour surprendre la ville, comme l'on lavoit adverty, voulut couvrir son affaire, et deffendit que nully de ses pays allast plus en Rhodes, pour quelque chose que ce fust. Et pareillement de tous les ports feist prendre les barques et brigantins, affin quils ne donnassent advis de son armee, et par terre feilt garder et fermer les passages. Toutesfois si grant appareil de navires ne peult estre longuement celle car les espies que le très illustre Seigneur Grand Maistre avoit en Turquie apportoient au Cafteau Saint Pierre en Rhodes nouvelles de ce quon faisoit et disoit en Turquie, nonobstant ledit Seigneur ne donnoit soy ne creance a tout ce quon lui apportoit, et ne pensoit au vray que l'armee vint contre luy. Et principallement pour loppinion dudit faux traitre, lequel disoit et affermoit tousjours quelle ne viendroit point contre Rhodes, et disoit cela pour empescher quon ne donnast provision de bonne heure davoir secours, alleguant que ce seroit une grant despence a la Religion de faire venir secours, et puis apres que l'armee allast en autre lieu. Et disoit davantage ledit Merail et autres aussi que plusieurs annees les antecesseurs de ce Turcq avoient fait grosses armees et tousjours le bruit estoit pour Rhodes et que ne venoit en effect, et tenoit l'on en mocquerie en plusieurs lieux que le Turcq yroit assieger Rhodes. Et pour ceste raison dit que l'on devoit encores faire doubte de ceste derniere armee, et quelle pourroit aller en Chipre ou en la Polle, ou a Chartaro, terre de la Seigneurie de Venise. Toutesfois le tres-illustre Seigneur Grand Maistre non voulant estre surpris, mais comme prudent et sollicitif des affaires de sa Religion et de son peuple ayant en nouvelle que le Turcq preparoit armee, a toute diligence feist reparer et fortiffier sa ville. Entre les autres choses il feist parachever et haulfer le bollouard d'auvergne, et neettoyer et parfondir les fossez, et pour inciter de plus en plus les ouvrier a despescher loeuvre, ledit Seigneur les alloit veoir trois ou quatre fois le jour. Puis pensa ledit Seigneur a fournir la ville de vivres davantage pour la tuycion et salvation dicelle Et de cette affaire en parla et plusieurs fois communiqua avec les Seigneurs qui avoient eu le manyement et gouvernement de la Religion et des fraits dicelle a son absence, et encores depuis sa venue, cestasfavoir frere Gabriel de Pommerols Grand Commandeur et Lieutenant dudit Seigneur, frere Jean Boucq Tricoplier de langue d'Angleterre, et ledit frere Andre de Merail Chancellier. Lesquels trois Seigneurs lui respondirent quil neust pensement de riens, car la ville estoit fournye de vivres jusques au temps nouveau, nonobstant cela dirent quil seroit bon den avoir davantage quant le siege seroit mys, pource que alors il seroit de necessite de faire aporter des formens et autres choses necessaires pour le secours de la ville, et que a ceste heure la l'on pourvoyroit a tout. Quant aulx munitions de guerre, ils affermerent quils en avoient pour une an et davantage, dequoy a este veu le contraire, car ils sont faillis plus d'une mois devant que la ville fust rendue, il est vray qu'il y en avoit bonne quantite, et pour durer plus longuement quils nont fait, mais il fut force den gafter largement au commencement que l'armee vint pour garder les ennemis de faire leurs approches, et de conduyre la terre au bort du fosse, comme ils ont fait. Et oultre cela considerer le grant nombre des ennemis, et que leur puissance estoit Espandue tout a lentour de la ville, et en donnant tant dassault et escarmouches a tant de lieux comme ils ont fait. Et par lefpace de six mois entiers jour et nuit combatre la ville sans cesser heure ne quart ni minute de tirer artillerie ou escoppeterie, il failloit bien que beaucoup de munitions fussent gaftees pour respondre par tout. Et si elles sont fallies nest de merveilles, Toutesfois le tres-illustre Seigneur Grand Maistre y pourveut le mieux quil peut, et envoya comme sera dit ci apres chercher les munitions d'autres places pour subvenir à la ville, mais encores ne souffirent elles pas, car elles saillirent au besoin. Mais pour retourner au fait des vivres fut advise par ledit Seigneur Grand Maistre et ses trois Seigneurs quil y auroit assez temps denvoyer quelque navire chercher des formens aux lieux circonvoylins avant que l'armee du Turcq fust arrivee. Et pour ce fust despeschee une barche nommee la Guilliega, et capitaine dicelle une chevalier nomme Beauluoys autrement dit le Loup de la langue d'Auvergne, homme bien entendu et expert en l'art de marine, lequel sist si bonne diligence que dedans une mois ou environ il feist son voyage, et apporta bonne quantite de formens de Naples, de Romanie qui fut grand consolation a ceux de la ville, cela fait fut aussi question de faire venir des vins pour la provision de la ville, car desia les Candiots nofoyent plus naviger pour porter vins en Rhodes, comme ils avoyent acoustume, pour peur de larmée du Turcq. Et d'autre part ceux de la ville ne vouloyent envoyer navires en Candye craignans estre surpris et interclus par les chemins de ladicte armee. Toutesfois aulcuns marchans de la ville delibererent se mettre a ladventure vollant nolliger une barche de la Religion nommee la Mariette, pour mander en Candye charger des vins. Mais ils ne peurent estre dacord avec les trois Seigneurs manyans les affaires, et leur differend fut de bien peu de chose, mais de tout fut occasion ledit Merail faignant vouloir le prouffit de la Religion, mais il entendoit a autre fin, et rompit ceste bonne et prouffitable oeuvre et entreprinse desdicts marchans, voyant quelle estoit nuyfable au Turcq, duquel le faux traitre tenoit le party dedans son cueur nonobstant cela, le tres-prudent Seigneur Grand Maistre qui en toutes chose depuis le commencement jusques a la fin a tousjours monstre son bon vouloir, et avec telle diligence et dexterite que devroit ou pourroit faire et estre requise a une Souverain Seigneur capitaine et chef de guerre trouva autre expedient, et manda une brigantin en Candye sus lequel allast une frere servant nomme frere Anthoyne de Bofys, homme de bon esprit et scavoir, lequel par sa prudence et diligence en peu de temps besongna si bien quil amena en Rhodes quinze navires appellees vulgairement grips charges de vins et avec cela accorda des gens pour le fait de la guerre, lesquels venoyent soubs umbre des vins pource que la Seigneurie de Candye nosoit laisser sortir gens dudit lieu pour le secours de Rhodes pour crainte du Turcq, lesquels gens furent tous fouldoyes, et oultre lesdits quinze navires vint une barche, de laquelle estoit capitaine une gentilhomme Venicien nomme Messire Jean Anthonio Bonaldi homme jeune et riche, lequel de son bon gre vint avec sa navire portant sept cens botes de vin pour secourir la ville de sa personne: et du surplus, la bonne et louable voulente duquel je laisse a penser et considerer aux lecteur de ce present livre. Car lui delibere porter ses vins a Constantinople: avant quil sceust l'affaire qui devoit venir. Sorty qui fust du Port de Castel en Candye, ne voulust porter sa charge de vins aux ennemis de la foy, mais detourna son chemin vers Rhodes, oubliant tout particulier prouffit, et avantage. Et arrive qui fut, il vendit ses vins, lesquels feirent une gros accroissement a la Ville, puis presenta sa personne et ses gens au tres-illustre Seigneur Grand Maistre lequel Seigneur le retint voulentiers, et le feist mettre au soulde. Et durant le siege, ledit capitaine c'est tres-honestement porte de sa personne, et se trouvoit aux lieux que les gens de bien se doyvent trouver, et na Espargne ses biens. Mais comme est la verite en a despendu largement sans en demander payement ne recompence à la Religion.
Durant ces choses le tres-illustre Seigneur sollicitif davoir les choses plus necessaires: cestassavoir gens, manda brigantins pour faire retirer les coursaires en Rhodes pour grande et tuicion de la Ville: desquels partie vindrent au premier mandement, et presenterent leurs personhes et navires au service dudit Seigneur, et de la Religion; apres cela ledit Seigneur feist tailler les orges de son Isle pour subvenir à la Ville qui fut environ la fin du moy d'April.
Une carraque geneuoyse chargee despicerie fut detenue par les Rhodiens.
Sus ses termes que ledit Seigneur donnoit provision a toutes choses selon loccurrence du temps, et les nouvelles quil avoit, une carraque Genevoyfe, chargee despicerie qui venoit d'Alexandrie fut descouverte, de laquelle estoit capitaine Messire Dominico fornari, et passant pardevant le Port de Rhodes le vingt-cinquiesme d'Avril a allassurgir a la fosse a huit mille de La Ville, pour scavoir et entendre des nouvelles de l'armée Turquesque. Alors le tres-prudent Seigneur voulant se fournir de gens, comme de chose plus necessaire, manda une Chevalier de la langue de Prouvence nomme frere Nastazi de Sancta Camella, Commandeur de la Tronquiere, devers ledit capitaine, pour le prier vouloir entrer dedans le Port avec sa navire pour defence de la Ville, en lui presentant party quil voudroit. Quoy entendu ledit capitaine sexcusa disant que la marchandise nestoit pas sienne, mais de plusieurs marchans, ausquels il en devoit rendre compte, et quil ne povoit laisser son voyage sans grande perte et interests, toutesfois au dernier apres assez de parolles quon lui dit et promesses quon lui feist, il entra dedans le Port, il est vray que les Galleres de Rhodes, et la grosse nef saillirent hors du Port pour le faire venir. Ledit capitaine c'est honnestement porte de sa personne, et les gens de sa navire durant le siege.
Les monstree generalles furent faictes le jour de sainte croix au moye de Maydedans Rhodes.
Passe que fust le mois d'Avril, ledit Seigneur Grand Maistre voyant que le temps sapprochoit que l'armee Turcq estoit pour venir, apres avoir retire la pluspart des coursaires delibera de faire les monstres generalles en armes, et commenca a ses Chevaliers, lesquels le jour de la Sainte Croix de May feirent leurs monstres devant les Commissaires ordonnez et commis par ledit Seigneur au lieu depute a une chascun, qu'on dit Auberge, lesquels Commissaires apres avoir veu lesdictes monstres en feirent le raport audit Seigneur. Et dirent quil avoient veu et trouve tous les Chevaliers bien armez: ayant les choses requises pour la guerre avec leurs acoustremens beaulx et honestes avec la Croix blanche devant et derriere. Lesquelles monstres des Chevaliers faites le tres-illustre Seigneur voulant faire celles des gens de la Ville et estrangers ensemble, par sa prudence regarda que ce seroit chose dequoy il pourroit plus venir de mal que de bien, doubtant que le nombre et quantite des gens ne seroit pas si grand quil voudroit, ou qui seroit de besoin, dequoy le Grand Turcq pourroit estre adverty, par allans et venans en Rhodes, et pource ordonna que ceux de la Ville seroient leur monstre a part par bendes, et le estrangiers aussi apres par bendes, affin que bonnement on ne peust scavoir le nombre, nonobstant quil y en avoit assez bonne quantite, et bien defliberez de se deffendre, et pour leur donner tousjours meilleur couraige et vouloir aucuns de nos Chevaliers feirent des monstres avec couleurs et devifes et appelloient avec eux des gens de la Ville, et aussi des estrangiers. Et avec force de trompettes: et tabourins de Suiffe feirent plusieurs monstres a lenvy l'une de l'autre, et qui seroit mieux acoustre, et qui auroit meilleur bende, et estoit une plaisir de veoir tout le monde ainsi alegre et deflibere. Entre les autres le capitaine de la grosse nef de la Religion frere Françoys de Fresnay Commandeur de la Romaine feist sa monstre et de ses gens le dix-huitième de May au matin qui fut fort belle, car il y avoit deux cens hommes et plus, armez et de bonne disposition. Ledit jour apres vefpres le Commandeur frere Ynigo de Aialle, et frere Hugues de Capons Espaignols feirent une belle monstre avec cent Chevaliers ou plus de leur nation, et d'autre aussi, lesquels portoient leur acoustrement avec Croix blanche. J Apres Messeigneurs les capitaines de la barche Mariete frere Loupefardan, et de la Galliga, frere Jean le Loup dessus nomme, et du Barchot frere Perogurandego feirent leurs monstres le vingtiesme dudit mois et avoient deux cens cinquante hommes bien en ordre de ce qui lui faisoit besoin. Le vingt-deuxiesme frere Loys de Dinteville allye du Grand Maistre, feist une monstre avec plusieurs Chevaliers de toutes nations, et plusieurs gens de la Ville, et estrangiers, lesquels il faisoit bon veoir, ledit jour partit la barche Galliega, et le lendemain le barchot pour aller lever le peuple des chateaux plus loingtains de la Ville, cestassavoir de Cantanie et Castelnovo pour les apporter en Rhodes, le capitaine de la carraque Genevoyfe feist sa monstre le vingt-cinquiesme dudit mois avec ses gens, lesquels il faisoit fort bon veoir, car lui portoit une chamarre, moytie de toille dor rouge, et velours violet, et quinze des principaux marchans de son navire portoient des pourpoints mespartis dudit velours et toille dor avec les coiffes de mêmes.
Pareillement les quinze Patrons de Grips, desquels a este parle cy-devant qui vindrent de avec les vins, feirent leur monstre le vingt-neufviesme dudit mois, et estoient quatre cens gentils compaignons portans les unes espees a deux mains, les autres haquebutes, les autres leurs arcs, lesquels ont fait bonne preuve tout le long du siege.
Le capitaine Venitien sus nomme feist apres sa monstre le premier jour de Juin, et estoit lui et ses gens vestus de fatin vert et violet, et son enseigne de même couleur, et avoit cinquante hommes bien armez, et de bonne disposition.
Durant que ses monstres et bonnes cheres se faisoient le tres-prudent Seigneur Grand Maistre en ensuyvant les bonnes et honnestes coustumes de ses Predecesseurs feist et ordonna ceux quil vouloit de sa retenue, tant Chevaliers que autres pour estre en sa compaignie et aupres de sa personne pour donner secours et ayde, venus les affaires ou besoin seroit. Apres cela pour ce que sa personne ne povoit estre par tous les lieux necessaires, feist quatre capitaines de secours qui furent quatre Seigneurs de la grande Croix, cestassavoir frere Andre de Merail Chancelier pour le secours de la poste d'Auvergne et Allemaigne, frere Jean Boucq Tricoplier de la langue d'Angleterre, pour la poste d'Espaigne et Angleterre. Frere Pierre de Cluys Grand Prieur de France, pour la poste de France, Castille et Portugal. Frere Gregoire de Morguto Prieur de Navarre, pour la poste de Provence et Italie. Et oultre les susdits Seigneurs estoit frere Gabriel de Pommerols Lieutenant du Grand Maistre, lequel avoit sa bande et alloit par tout. Puys apres ledit tres reverend Seigneur donna la charge de l'artillerie a Monsieur le Baillif de Monoasque frere Desdier de Tholon dit de sainte Jalie, en laquelle charge il a fait tres-bien son devoir, et avec grant travail de la personne feist mettre l'artillerie tant grosse que menue en tous les lieux necessaires, tant sus la muraille de la Ville que aux bollouards, et aux barbacanes et mines desdicts bollouards, et estoit une plaisir de veoir la Ville ainsi garnye de ladicte Artillerie. Car il ni avoit coing ne pertuys hault ou bas, qu'il ni eust piece grosse ou menue, aussi grace à nostre Seigneur la Ville en estoit bien fournye.
Apres lesdicts capitaines de secours faits par ledit tres-illustre Seigneur, non ignorant que au lieu ou regne justice Dieu y est, et tous biens y habundent, voulant que justice et raison fust faite a une chascun principallement en temps de guerre, ordonna quatre Chevaliers Commandeurs anciens en la Religion et gens de bien pour le fait et administration de justice, cestassavoir deux de la nation Françoyse nomme frere Claude de saint Prye, et frere Jean Boniface, et deux de l'Espaignolle, cestassavoir frere Ynigolope de Ayalle, et frere Hugues de Capons qui en vulgaire sont appellez Argousins, lesquels comme a este dit, ont de veoir sur la justice tant civile que criminelle, et ont puissance de faire pendre et estrangler les malfaiteurs, reservant la grace et pardon au Grand Maistre. Pareillement ont la charge du Guet de la Ville tant le jour que la nuit, et chascun de ces quatre Seigneurs avoit cent cinquante hommes soubs luy: Et pource aussi que la tour saint Nicolas est lieu d'importance, et la clef de Rhodes, fut de necessite dy mettre quelque homme de bien. Et a donc par le tres-reverend Seigneur fust mys pour capitaine de secours a ladicte tour, frere Guyot de Castellac dit Raguce de la langue de Provence, lequel c'est tres-honnestement porte en ladicte charge, comme sera dit apres aux batteries de ladicte tour.
Voulant aussi le tres-prudent Seigneur Grand Maistre pourveoir a tous inconveniens et obvier aux choses subites, pour ce que sa personne ne povoit estre en tous lieux, ordonna quatre Commandeurs de ceux de son secours, cestassavoir deux Espaignols nommez frere Marino Farfon, et frere Raymond Marquet, et deux Francoys, cestassavoir le susdit frere Nastazi de sancta Camela, et frere Guyot Dazas, chascun des susdits Seigneurs avoit cent cinquante hommes soubs luy, pour aller et venir la ou il seroit de necessite, et combien que ledit Seigneur feist plusieurs capitaines pour aller ca et la, la ou seroit de besoin, si nestoit il point oyfif de sa personne, car lui mêmes alloit en personne visiter les Guets des murailles avant la minuit et apres, et a l'heure quil devoit reposer it estoit debout, et estoit la vigilance dudit Seigneur si grande que les jeunes gens estoient bien empeschez de le fuyure, et pour parler a la reale verite de la peine dudit Seigneur je ne fache jeune homme de vingt-cinq ans qui ait plus endure de travail jour et nuit en ce siege depuys le commencement jusques a la fin sans le trouver mal que a fait ledit Seigneur, graces a nostre Seigneur qui lui a donne ceste bonne disposition quant il a este de besoin et necessite, de la familiarite quil avoit avec trestous, et de bonnes parolles quil donnoit pour mettre le cueur aux gens, jamais Seigneur ne feist mieux son devoir. Et fil avoit bonnes parolles, le fait, c'est adire la liberalite y estoit quant et quant, car il nestimoit ne or ne argent non plus que pierres ou feves, comme chose decente a une Prince, principalement estant aux affaires et tribulation de la guerre.
En apres par commandement dudit Seigneur furent faits les capitaines des postes de la muraille, affin que une chascun fust en son endroit et quartier comme est de coustume. Et premierement a la poste de Provence premiere des autres Provinces fut fait capitaine frere: Raymond Ricart le plus ancien de ladicte Province, a la poste d'Auvergne frere Raymond Rogier, a la poste de France frere joachin de saint Symon, a la poste d'Italie frere George Emarc, en Angleterre frere Guillaume Onascon, a la poste d'Arragon et Cathaloigne frere Jean de barbaran, ala poste d'Alemaigne, frere Christofle Valdener, a la poste de Castille et Portugal frere Ferrando Desollier. Et oultre les susdictes capitaines, estoit le l'alais du tres-reverend Seigneur Grand Maistre, auquel il y avoit de bonne artillerie, et aussi y avoit le massif de la porte qui va a saint Anthoine la ou estoit frere Thomas Chisel Seneschal dudit Seigneur. Apres y avoit une autre massif dans le jardin dudit Seigneur Grand-Maitre lequel batoit vers la tour saint Nicolas et dudit Palais, et des deux susdicts massifs estoit capitaine et chief ledit Seneschal, et pour son Lieutenant il avoit frere Anthoine de Bressoles dit Morterols de la langue d'Auvergne, semblablement aux bollouards assis dans les fossez hors de la muraille furent mys capitaines, cestassavoir au bollouard d'Auvergne frere Jean du Meinyl dit Maulpas. Au bollouard d'Espaigne frere Francoys de Escarrieres. Au bollouard d'Angleterre frere Nicolle Husy. Au bollouard de Provence frere Bringuier de Lioncel, et au bollouard d'Italie frere Andelot Gentil.
Apres lesdictes charges donnees aux dessusdicts, le tres-illustre Seigneur donna l'enseigne de la Religion quest la Croix blanche a une Chevalier de la langue d'Auvergne nomme frere Anthoine de Grolee dit Passin, lequel fut presente audit Seigneur par le Mareschal de la sacree Religion frere Anthoine de Clavoyfin selon la coustume pour la prerogative dudit Mareschal; L'enseigne apres la ou est depaincte la sainte figure du Crucifix fut donnee a porter a frere Loys de Tinteville, laquelle enseigne est continuellement pres la personne du Grand Maistre, laquelle fut envoyee de Romme a l'autre du siege de Rhodes par le Pape Innocent, avec grans pardons et indulgences au tres-prudent et victorieux Seigneur Monsieur le Cardinal Grand Maistre pour lors frere Pierre d'Aubusson, l'an mil quatre cens quatre-vingt. Puis donna ledit Seigneur l'enseigne ou estoient depainctes ses armes escartelees avec la Crox blanche a une Chevalier de sa Maison nomme frere Henry Manselle. Apres ledit Seigneur avoit pour sa garde cent compaignons bien disposez et deliberez, et chascun deulx avoit son fayon de la livree dudit Seigneur, desquels estoit capitaine le Chevalier de Bonneyal, de la langue d'Auvergne.
Le Grand Maistre feist apporter limage de la Vierge Marie estant en la montaigne Fillerne pres Rhodes en l’eglise sainct Marc et pour plus grande seurete la feist transporter de la en l’eglise saincte Katherine.
Et pource que le divin subside est celluy qui nous preserve et garde de toulx maux et inconveniens par lintercession des glorieux corps saints colloquez en la permanente et eternelle gloire de Paradis, et sus tous les autres les prieres de la tres-sacree glorieuse vierge Marie mere de Dieu, de laquelle la precieuse remembrance et figure estoit veneree en Lisle de Rhodes a une montaigne nommee Fillerme a dix mille de la Ville pour obtenir sa grace et ayde, le tres-illustre Seigneur Grand Maistre ayant une finguliere devotion a ladicte sainte ymage, et de paour quelle ne vint en povoir es mains des ennemis de la soy laissant en ladicte montaigne, la feist apporter dedans la ville de Rhodes, et mettre dedans une petite eglise nommee saint Marc, auquel lieu l'on avoit acoustume de la mettre, quant il estoit bruit de l'armee du Turcq, et durant les grandes batteries des mortiers, de quoy sera parle cy-apres, une jour une pierre desdits mortiers defuyna ladicte eglise, et vint cheoir la pierre devant lautel ou repofoit ladicte precieuse ymage, et ne lui feist nul mal. Vray est quelle tua et blessa aucunes personnes qui faisoient leur devotion en l'eglise. A donc de paour de plus grant inconvenient ledit Seigneur la feist lever de la, et la feist porter en l'eglise de sainte Katherine, lieu plus alescart.
En apres le tres-prudent Seigneur Grand Maistre ayant pourveu aux choses necessaires en terre, voulut aussi pourveoir a celles de mer, pour la tuition et defence de son Port, affin que les ennemis neussent entree par ledit Port, et feist mettre deux grosses chaynes et bien materielles, lune a l’entrée du Port, l'autre par dehors, et estoit attache une des bouts a la tour saint Nicolas, et l'autre venoit respondre en biays a la tour des Mollins. Et quant et quant feist mettre a sons certains vieux navires derriere ladicte tour des Mollins: Cestassavoir au Madraqui, de paour que les ennemis ne se assayassent dentrer avec quelque nombre de galleres par ledit Madraqui, pour gaigner le molle des Mollins, et depuis venir a une des portes de la Ville que on dit la porte de sainte Katherine. Lesquelles inventions et ordonnances, tant de chaynes que de navires mys a sons furent moult grandement utiles et proufitables pour nous. Et leverent grande esperance d'entrer ausdits ennemis selon qui nous fut rapporte, et comme ils avoient delibere de donner une assault par ce Madraqui. Ledit Seigneur Grand Maistre feist aussi rompre les pons de toutes les portes de la Ville pour plusieurs raisons.
Par le commandement da Grand Maistre les villages cita conuoysins se retirerent dedans la ville de Rhodes apres quils eutent cueilly parti des bledz et biens de la terre.
Entre que fust le mois que de Juin, l'on attendoit de jour en jour l'armee, toutesfois pour en apporter la certanite, ledit Seigneur Grand Maistre avoit envoye deux et trois brigantins vers Cyou et Methelin pour descouvrir ladicte armée puis lui en venir porter nouvelles. Cependant les bonnes gens de Lisle habitans au plain pays et voylinsde la Ville taillerent les bleds demi meurs, et en porterent bonne quantite dedans la Ville pour leur provision de vivre durant le siege. Toutesfois la plus grant partie des bleds demeura au champs taillez et a tailler, et se retirerent dedans la Ville, car le tres-illustre Seigneur Grand Maistre desia presumoit que l'armee estoit sortie de l'estroit, comme ce trouva la verite depuis, et doubtant que aucun nombre de galleres ne vinfent devant pour brusler les bleds comme ils avoient fait a l'autre siege, et pour surprendre le poure peuple poure peuple en leurs villaiges ledit Seigneur voulut prevenir a tel inconvenient et les feist venir dedans la Ville, en attendant la certainete ou estoit l'armee.
Le huitième dudit mois, les Turcqs feirent de nuit une feu pour signal au lieu acoustume quon dit le Fisco en terre ferme, vis a vis de Rhodes. Et quelques jours paravant en avoient fait une autre. Cestassavoir quant la fuste d'une Chevalier nomme Meneron y alla, et porta une escripvain de galleres nomme Jaquecy, qui parloit bon Turcq, lequel soubs umbre de bonne foy: et pour parlamenter fut retenu par le commandement du Grand Turcq, qui vouloit avoir ledit escripvain ou autre homme de Rhodes, pour scavoir entierement et au vray en quel estat estoit la Ville de toutes choses: toutesfois quant ledit Jaquecy descendit en terre, les Turcqs manderent une Turcq dedans la fuste pour hostaige, nonobstant cela, ledit escripvain demeura: et le Turcq qui estoit pour hostaige dedans ladice fuste fut porte en Rhodes. Et pensant que le second signal de feu ce feist pour rendre ledit escripvain, le tres-reverend Seigneur Grand Maistre envoya une de ses galeres; de laquelle estoit patron frere Boniface Dalluez, de la langue de Provence, et arrivee que fust ladicte gallere au lieu du signal, le Patron demanda aux Turcqs des nouvelles, et pourquoy ils avoient fait feu, lesquels dirent que cestoit pource que le Grand Seigneur mandoit des lettres au Grand Maistre: lesquelles nestoient encores venues, et dirent au Patron quil atendist quelle fussent apportees.
Ledit Patron de la gallere sage et prudent et entendu au fait de la mer, pensa en soy mêmes ce propos de bailler des lettres, nestoit sinon pour mauvaise fin, et pour surprendre la gallere qui estoit feule. Parquoy leur dit franchement quils baillassent ladicte lettre fils vouloient, autrement quil sen yroit, et nattendroit plus ni lettres ne autre chose; et leur mist en avant le mauvais et deshonneste tour que les jours passez ils avoient fait, cestallavoir de retenir ledit escripvain, et rompre le fauf conduit quils avoient donne. Toutesfois il leur demanda fils le vouloient rendre, a quoy ils ne feirent responce, pource que ledit Jaquecy avoit este desia mene au Grant Turcq en Constantinople. Et sur cela la gallere se leva pour sen retourner. Quoy voyant les Turcqs donnerent au Patron la lettre du Grant Turcq, laquelle il print: et arrive quil fust la presenta au tres illustre Seigneur GrantMaistre, lequel feist assembler les Seigneurs de son Conseil, et la feist lire, dont la substance estoit telle.
La teneur de la sommation envoyee par le grand turcq Sultan Soliman au tres-illustre seigneur Philippes de Villiers Grand Maistre: et aux citoyens de Rhodes.
Sultan Solyman par la grace de Dieu tres-grant Empereur de Constantinople, de l’une et l'autre Perse, Arabye, Syrie, la Meeque, Jerusalem, d'Asie, Europe, et de toute l’Egypte, et de la mer Seigneur et possesseur: A tres-reverend Pere et Seigneur frere Philippes GrantMaistre de Rhodes ; ses Conseillers et cytoiens grans et petits condigne salutation. Vous aves mande devers nostre Imperiale Majeste, George Servant vostre messagier avec vos lettres, desquelles avons bien entendu la teneur. Et pource mandons le present commandement nostre, yous fignifiant que par nostre Sentence voulons avoir ceste Isle: pour les grans dommaiges et œuvres mauvaises quen avons tous les jours. Laquelle rendue de bon gre ensemble le chateau dicelle a nostre Imperialle Majeste, jurons le Dieu qui a fait le ciel et la terre ; les vingtsix mille Prophetes nostres, et les quatre Musaphy, qui sont tombez du ciel; et par nostre premier Prophete Mahommet: Que tous ceux trouvez en ladicte Isle grans et petis naurez paour, peril ne dommage de nostre Imperialle Majeste. Et qui sen vouldra aller en autre lieu le pourra faire avec son avoir et famille. Et si quelcun y aura des principaux qui vouldra prendre solde, la lui donnerons, et ferons meilleur party quils navoient. Et qui vouldra en icelles Isle demourer le pourra faire, selon lancienne coustume quavez eu, et beaucoup meilleure. Et pourtant si vouldrez accepter nos pacts et juremens, mandez vostre homme avec vos lettres devers nostre Imperialle Majeste tout incontinent, autrement soyez asseurez, quelle est ja venue sus vous avec toutes provisions, et en sortira ce que playra a Dieu, dequoy vous avons bien voulu advertir, affin que ne puissiez dire que ne vous ayons sommez; Et si ne vous voulez rendre (comme dit est) ferons renverser les fondemens de vostre chateau sans dessus dessoubs, et vous ferons esclaux et mourir de male mort moyennant la voulente divine, comme avons fait a beaucoup d'autres, et de cela vous tenez tout asseurez. Donne en la court de nostre Imperialle puissance a Constantinople, de Juin le premier jour.
Le tres-illustre Seigneur Grant-Maistre apres avoir ouy le contenu de ladicte lettre ne pensa de faire autre responce au Grand Turcq, sinon le bien recevoir a bons coups d'artillerie, aussi a folle demande il ni fault point de responce, il estoit aussi bien a presumer que ledit Grand Turcq n'en vouloit point, pource que six jours apres reccue ladite lettre qui fut le quatorziesme dudit mois de Juin: les brigantins qui estoient allez comme a este dit vers Cyou pour scavoir nouvelles de ladicte armee revindrent et dirent pour vray que l'armee venoit sus Rhodes, dont partie estoit a Cyou et aupres du Lango a cent mil de Rhodes, ils avoient veu et compte trente voilles qui estoient galleres la pluspart et fuites, lesquelles galleres et fustes misrent gens en terre a ladicte Isle du Lango subjecte a la Religion. Alors le Prieur de saint Gilles frere Prejan de Bidoux commandeur dudit lieu ne tarda guerres de monter a cheval avec ses Chevaliers et gens de Lisle, et se vint affronter avec ceux qui estoient descendus en terre, lesquels il repulsa si bien quil ne tarderent guerres a prendre le chemin des navires: Toutesfois il en demoura a la retraicte cinq ou six, et trois qui furent prins en vie. Du coste dudit Seigneur Prejan il y eut quelcun blesse et son cheval tue avec autres de sa compaignie. Et sur cela les ennemis entrerent dedans les galleres, et sen allerent pres de la en une lieu nomme Castel Judeo en terre ferme entre ladicte isle du Lango et le chateau saint Pierre.
Le xvii. dudit mois ces trente voilles partant de la, tirerent vers le cap de Creou, et entrerent au gouffre des essimes pres de Rhodes quinze milles; lesquelles furent descouvertes par les gardes assises sus une haulte montaigne, nommee la montaigne de Sallaco.
Le lendemain les desusdicts voilles saillirent de plain jour dudit gouffre et velligant terre a terre, entrerent dedans une autre port en terre ferme nomme Malfata, la ou ils demeurerent trois jours, puis se leverent de la, et retournerent audit gouffre des essimes ou ils demourerent deux jours.
Et le xxiv. dudit mois jour et sollennite de Monsieur saint Jean Baptiste, ces trente navires saillirent des essimes, et traversant le canal vindrent surgir en Lisle de Rhodes en une plage au devant d'une chateau nommez Favez, la ou les ennemis descendirent en terre, et bruslerent grant pays de bleds.
Ledict jour une homme de la garde d'une chateau nomme Obsito en Lisle de Rhodes descouvrit la grosse armee et en diligence apporta les nouvelles au Grand Maistre. Et pource que ladicte armee estoit en si grant nombre de voilles, dist quil ne les avoit peu compter, et dit quil la veit entrer au Gouffre des essimes, les trente voilles qui estoient furgiez en Lisle se leverent la nuit et vindrent trouver la grosse armee au Gouffre.
Le xxvi. dudit mois de Juin toute l'armee se leva et fortit des essimes une heure apres foleil levant et traversa le canal, et vint surgir a une plage dessusdicte nommee la fosse. Les trente voilles premieres tournerent en arriere et allerent vers le cap saint Martin pource quilsestoient ordonnez estre a la garde pour surprendre les navires des Chrestiens si aucuns vouloient passer et venir en Rhodes, ladite armee demeura furgie a la fosse jusques a une heure apres midy, et apres partie dicelle environ quatre-vingts ou cent navires entre galleres et galleaces et fustes se leverent et passerent lune apres l'autre par devant la ville et le port de Rhodes a trois mille loing, et allerent surgir a la bande de levant en une plage dont la terre circonvoyfine est appellee Parabolin loing de la Ville par mer six mille ou environ. Quelques jours apres les navires qui effoient demeurez a la fosse suyuirent quasi tous les autres: et demeura toute l'armee audit lieu de Parabolin depuis quelle fut furgie jusques a la fin noslre mal'heureuse.
De la multitude et facon des galleres et navires du turcq: et du nombre des ennemis estans au camp. Et de l’obeyssance gardee en sa gendarmerie.
La facon des navires de l'armee du Turcq, et le nombre diceux selon quil ma este dit par gens même du cap, estoit de la maniere qui sensuyt. Il y avoyt cent et trois galleres tant futilles que bastardes, non compris vingt-cinq ou trente galleres, que vindrent premierement faire legaft, et qui tindrent les passages durant le siege. Il y avoyt apres trente-cinq galleaces belles et grosses, quinze mahonnes, et vingt tafforees: ces navires icy sont quelque peu differens de galleaces; il y avoyt soixante fustes ou plus, et plusieurs brigantins, et entre barchots, gallions, et esquirasses povoient estre dix ou douze navires, sus les quelles estoient les munitions et la grosse artillerie pour battre la ville, toutesfois depuis la venue dessusdites navires qui estoient au nombre de deux cens cinquante ou environ, quelques galleres et fustes et autres navires vindrent de Surye, et se jongnirent avec l'armee, et depuys en vindrent dallieurs durant le siege, et furent la plus part du temps au nombre de quatre cens voilles ou environ.
Le nombre des ennemis qui estoient au camp du Turcq tant de guerre que de travail selon le commun dit, estoint deux cens mil hommes dont il y en avoit soixante mille duyts et experts a faire seullement les mines. Et pource quon pourroit dire quen li grande multitude de gens il ni peult avoir obeyssance, la verite est telle quen nulle Seigneurie du monde il ni a telle obeiffance ne si bien gardee que celle des Turcqs envers leur Seigneur, la raison est, pource quil est seul Seigneur en tous ces pays, et ni a personne qui ofe contredire a ce quil commande.
Comment le Grand Maistre envoya ses ambassadeurs vers le saint pere le pape, a l’empereur, au roy de France et au roy d’Angleterre pour avoir secours a l’encontre du grand turcq.
Cedit jour que l'armee vint surgir a Parabolin, le tres-illustre Seigneur Grand Maistre despescha une brigantin pour envoyer en Ponent pour advertir le saint Pere premiement et les Princes chrestiens de la venue de l'armee devant Rhodes. Sur ledit brigantin furent envoyez par ledit Seigneur deux Chevaliers; l'une estoit Francoys nomme frere Claude Danfoyville dit Villiers, et frere Loys Dandogue Espaignol, lequel avoit commission daller vers le Pape, et de la a l'Empereur. Et ledit frere Claude vers le Roy de France, et le Roy d'Angleterre. Ledit brigantin partit a dix heures au soir, et graces a nostre Seigneur, il eut assez bon temps, et fut en dix-huit jours a Outrante. Ces deux Chevaliers allerent ensemble a Rome: Et de la chascun deux feist sa commission au moins mal quils peurent. Par ledit brigantin furent aussi envoyees commissions a aucuns gens de bien de la Religion pour donner ordre davoir gens, vivres et munitions de guerre, et navires pour les porter, avec charge de venir a la plus grande diligence quils pourroient pour secourir la Ville comme chose tres-necessaire, car la derniere esperance que nous avions estoit cestela.
Lesdictes commissions furent adressees pour les bandes de Naples et Cecille a reverends Seigneurs le Prieur de Barlette, frere Fabrice Pignatello, et le Bally de saint Esteve, frere Charles Gezualdo, et frere Jean Baptiste de Caraffa bally de Naples: et avec les susdits Seigneurs estoit comprins frere Jean Hyseran de la langue d'Auvergne pour estre homme entendu, et ayant bonne praticque et congnoissance de la mer ; et aussi pour estre congneu aux bandes de Gennes et Provence. Car les commissions disoient que si lesdits Seigneurs d'aventure ne trouvoient à Naples ou a Cecille navires propices pour donner le secours en Rhodes sans doubte de ladicte armée du Turcq que ledit Hyserant se transportast en Gennes pour avoir quelques carraques, ou en Provence pour avoir navires pondereux: et duysans pour ledit affaire par le consentement du Roy, ce que feit ledit Hyserant, mais pour la diversité du temps, et pour l’occasion des guerres les choses ne peurent sortir tel effect que les personnages ayant telle charge eussent bien voulu, et selon quil estoit necessaire. Toutesfois il est chose veritable apres que le susdit Villers eut denonce au Roy les nouvelles du siege, et quil eut requis en toute humilite de vouloir secourir la Religion, comme le Prince en qui elle avoit sa principalle esperance, ledit Seigneur assez desplaisant pour les troubles quil avoit de la guerre quil ne povoit donner tel secours quil eust bien voulu, nonobstant il octroya franchement et de bonne voulente quon print tous ces navires qui estoient aux mers de Provence et quon sen fervift, toutesfois l'on ne peut avoir la delivrance si tost quil estoit de besoin pour aucuns inconveniens qui pouvoyent venir a la conte de Provence qui furent remonstrez au Roy: Parquoy fust de necessite de retourner vers luy. Et ce pendant quon estoit sus ces propos davoir lesdits navires lyver entra, et ne fut possible, apres que les choses eussent bon effect, ne que le secours vint a temps. Et pource quon dit voulentiers, que une mal ne vient jamais feul, le fuidit Chevalier Hyserant avoit fait accord a Gennes du noligement d'une carraque pour aller avec les autres navires du secours, laquelle donna a travers en Bonnaffe aupres de Monegue. Toutesfois si ce fust par mauvaise voulente des Genevois qui la gouvernoient, affin quelle ne feist le voyage pour crainte du Turcq. Je men remets a la verite, et a celluy qui fcait la voulente des hommes bonne ou mauvaise.
Mais pour tourner au premier propos: La nuit que ledit brigantin partit, une homme sensuyt de l'armee Turquesque, lequel estoit natif de Boniface, et marie a Nice, lequel la plupart du temps vint a Nau pour aborder, et soy rendre a la tour saint Nicolas, qui fut une gros effort fait a lui pour la distance du lieu ou estoient furgis les navires jusques a ladice tour, car il y peult avoir de six a sept mille, ledit fugitif le jour venu fut amene devant le tres-reverend Seigneur Grand Maistre, et interrogue des nouvelles du camp, dist, quil y avoit en l'armee deux cens cinquante voylles ou environ, nonobstant quils estoient mal armez, et la pluspart des navires vieux et mal conditionnez, et quil y avoit beaucoup de Chrestiens tenus par force dedans les galleres.
Dit apres que la pluspart des gens de ladicte armee, et les Genissaires principallement estoient mal contens de l’entreprise, et quils ne pensoient point que l'armee vint a Rhodes, mais quelle deust aller vers Ponent.
Dit apres que la principalle esperance des ennemis estoit de prendre Rhodes par mines; et quils avoient amene plus de soixante mille pyonniers de Vlaquia et Bossina, qui sont pays circonvoisins de Ungrie, gens experts , gens experts et efforcez pour faire mines, comme c'est veu par experience pour la grande quantite quils en ont fait, comme sera dit ci apres.
Dit aussi que Mustafa Basha estoit capitaine general de l'armee de mer et de terre, et que Courtogle Pirate estoit pillot et conducteur de ladicte armee de mer, et plusieurs autres choses ils recita qui seroient longues a racompter.
Ledit jour apres disner vint du camp des ennemis une Villain de Lisle de Rhodes d'une village nomme Cosquino, lequel avoit este pris des Turcqs il y avoit quatorze ans, et sur le soir vint une autre Chrestien lequel estoit de Caristo. Ces deux dirent des nouvelles du camp, ainsi quavoit fait le premier venu.
Le lendemain qui fut le vingt-huitième jour de Juin, vint une autre Chrestien qui estoit de Naples de la Romaine. Et depuis en vindrent d'autres assez qui se rendirent dedans la Ville, lesquels aussi disoient nouvelles des ennemis, selon loccurrance du temps, toutesfois on ne leur donnoit pas soy ne creance en tout ce quils rapportoient, ne les laissast l'on aller par tout, mais furent tous mys en lieu fur, et a part, avec gens qui les gardoient pour certains bons respects.
Comment le Grand Maistre envoya deux brigantine, l’une a Lango et l’autre en Candye pour avoir gens expers et entenduz sur le faict de la guerre.
Sus ses termes, le tres-prudent Seigneur Grand Maistre voulant se pourveoir de gens de bien plus qui nestoient, et principallement de gens experts en la guerre feist partir une brigantin le septiesme de Juillet pour aller a Lango pour apporter Monsieur de saint Gilles, frere Prejan de Bidoulx, lequel ne se feist guerres prier de venir en Rhodes, car tout le defir quil avoit en ce monde estoit de se trouver en si bon affaire: et les jours paravant il avoit escript audit Seigneur Grand Maistre plusieurs lettres pour le laisser venir.
L'autre brigantin, ledit Seigneur lenvoya en Candye pour essayer davoir et apporter une gentil-homme nomme Messire Gabriel Tadino Martinengo homme expert a la guerre et entendu a diviser forteresses de place et faire repaires, lequel estoit a Castel bien appoincte de la Seigneurie de Venize, pour ce que les jours paravant ledit Gabriel avoit dit a frere Anthoyne de Boylis, lequel alla pour les vins, quil avoit bonne voulente de venir a Rhodes pour se trouver en si bon affaire, et pour povoir donner quelque ayde, et faire service a la Religion aux affaires, auquelz estoit, et que le Grand Maistre demandast conge au Duc de Candie, ce quil feit et renvoya pour c'est affaire ledit frere Anthoyne, avec lettres adressantes au Duc et a la Seigneurie de Candye.
Depuis le jour que l'armee Turquesque fut Surgie au lieu dessusdit, elle demoura treize ou quatorze jours sans faire grand mouvement ni metre artillerie en terre ne grosse ne menue, ni descendre quantite de gens, de quoy chascun ses merveilloyt, et nous dyrent ceux qui estoient fuys et entrez dedans la ville, et aussi les espies que le tres prudent Seigneur envoyoit au camp habillez en habit Turquest quils attendoyent que l'armee de terre fust passee au camp, toutes foys il venoit quelque nombre des ennemis pourveoir la ville mais cestoit bien couvertement, car l'artillerie de la ville tyroit incessamment contre eulx. Cependant plusieurs galleres et galleaces alloyent et venoyent de terre ferme, et apportoyent vivres et gens, ausquels navires passans pres de la ville l'on tiroit grand quantite d'artillerie, et quant la pluspart des gens furent passez ils commencerent a mettre l'artillerie en terre a grand diligence. Alors le tres-illustre Seigneur Grand Maistre partit de son palais et sen alla loger pres l'eglise nostre Dame de la Victoire pour estre lieu assez doubteux et foible, Et pour ce que a l'autre siege l’assaut fut donne audit lieu.
Comment le seigneur de Sainct Gilles fut constitue pour estre gouverneur de l’artillerie: et pour visiter les gardes avec le Grand Maistre.
Durant ces choses le brigantin lequel estoit alle a Lango arriva le seiziesme de Juillet, et apporta ledit Seigneur Preian, duquel la venue fut fort aggreable a tout le peuple et a tous les Chevaliers, qui estoit bien raison, car tel personnaige comme lui estoit bien duysant et necessaire en tel affaire en quoy estoit la ville. Et incontinent que ledit Seigneur fut arrive, le tres-illustre Seigneur Grand Maistre lui recommanda l'artillerie avec le Baillif de Monoasque, lequel seul ne povoit fournir ne estre par tous les lieux necessaires pour faire faire leur devoir aux canoniers, et soy donner garde de leur tyrer, car les jours paravant lesdits canoniers avoyent rompu deux ou trois grosses pieces des meilleures que nous eussions par trop les charger ou par quelque autre mauvaise fin. A quoy ledit Seigneur de saint Gilles print garde comme chose bien necessaire et d'importance, et fut la vigilance dudit Seigneur si bonne et si grande que de la en avant les choses allerent mieux quils navoyent accoustume. Pareillement ledit Seigneur de saint Gilles avoit la charge de visiter les gardes pour estre homme de sa nature des plus vigillans quon fache.
De la multitude et nombre de pieces d’artillerie tirans incessamment dedans la ville de Rhodes: due mal quels feirent: et du conseil que mandoit le Juif medecin (dessus nomme) au camp du grand turcq.
Le vingt-huitième de Juillet pour commencement de jeu, les ennemis dresserent une mantellet, soubs lequel ils misrent trois ou quatre pieces moyennes, c’est assavoir sacres et passevolans desquels ils tirerent contre la poste d'Angleterre et de Provence, mais ledit mantellet et les pieces furent incontinent rompues de l'artillerie de la muraille, et ceux qui la tiroyent furent tous tuez, ou blessez, selon quil nous fut raporte par gens qui sen souyrent depuys du camp.
Rompu qui fust ce premier mantellet pour la grandeur et innumerable quantite de gens quils avoyent, eurent bien tost mise toute l'artillerie en terre, et portee aux lieux ou elle devoit tyrer, et dresserent deux autres mantellets le dix-neufiesme dudit mois, l'une estoit a coste dugne Eglise nommee saint Cosme et saint Damien. L'autre un peu plus hault envers Ponent, et de ses mantellets tirerent de grosses pieces, comme collouvrines, doubles canons, et bombardes contre la muraille d'Angleterre et Espaigne, ausquels mantellets l'artillerie de la ville tiroit de bons coups, et souvent les rompoit le jour, mais la nuit les ennemis les resaisoient, Et pour plus endommaiger la ville, et pour nous estonner les ennemis dresserent plusieurs autres mantellets en divers lieux et quasi tout a lentour de la ville, et y en avoit soixante ou quatre vingts au commencement, et desquels le nombre fut bien appetisse de l'artillerie qu'on leur tiroit de toutes pars, toutesfois il demoura tousjours trente quatre, et a chascun mantellet il y avoit trois pieces d'artillerie.
L'artillerie du camp selon que jay este informe estoit telle que sensuit.
Premierement il y avoit six canons perriers de bronze tirant la pierre de trois palmes et demi de tour ou environ: et quinze autres pieces de fer et de bronze qui tiroyent la pierre de cinq à six palmes. Après il y avoit douze bombardes plus grosses tirant la pierre de neuf à dix palmes, et deux autres bombardes plus grosses tirant la pierre de onze palmes de grosseur. Plus y avoyt douze basiliques, mais ils n'en tyrererent que de huit, dont les quatre tyroyent contre la poste d'Angleterre et d'Espaigne, et deux contre la poste d'Italye, les autres tyrerent une temps contre la tour saint Nicolas. Puys y avoit quinze doubles canons tyrans boullets de fer comme Basilicques: La moyenne artillerie comme sacres, passevolans estoient en grand nombre lespingarderie innumerable et increable. Apres y avoit douze mortiers de bronze qui tyroyent contremont en lair, dont les huit estoyent assis derriere ladicte Eglise saint Cosme et saint Damien. Et deux aupres de saint Jean de la Fontayne vers la poste d'Italye dont l'ung se rompit, et les autres au front de la poste d'Auvergne, et tyroyent desdictes pieces nuit et jour dedans la ville pour faire meurtre de gens. Et la pierre qu'ils tyroyent estoit de trois fortes dont les plus grosses estoyent de sept a huit palmes, et estoit une chose fort inhumaine et espoventable. Toutesfois graces a notre Seigneur, et par euident miracle lesdictes pieces ne feirent pas grand mal, et ne tuerent que vingt-quatre ou vingt-cinq personnes, et entre les autres fut tue d'une coup desdictes pieces frere Bringuier de lyoncel dessus nomme, lui estant au bollouard de Cosquino dont il estoit Capitaine. Et en son lieu fut mys frere Loys de Prian dit Condillac de la langue de Provence, et commencerent a tirer de ces pieces le vingt-neufiesme dudit mois de Juillet jusques environ la fin d'Aoust, Et compte fait tirerent mille sept cens treize coups de pierre de marbre, et huit coups avec boullets de cuivre pleins dartifice de feu. Et par furent en tous les coups des mortiers mille sept cens vingt et un. Aulcuns difent quil en fut tire deux mille ou plus.
Mais quand les ennemis furent advertys par le susdits medecin juif qui leur escripvoit ce quon faisoit ou disoit dedans la ville, que lesdits mortiers ne faisoyent point ou peu de mal, furent fort mal contens, car ils pensoyent avoir tue la tierce partie des gens, et furent Conseilles par ledit juif de nen tirer plus, pource que cestoit pouldre perdue.
Comment Gabriel Martinengo se desroba du duc de Candie pour venir secourir le Grand Maistre: et du pourchas que feist le duc de Candie pour chercher ledit Martinengo a cause que vouloit donner secours aux Rhodiens.
L'autre brigantin qui estoit alle en Candie retourna le vingt-deuxiesme dudit mois sur lequel estoit le susdit Gabriel Martinengo, les vertus duquel ou la maniere comme il partit de Candye je ne veulx quil foit ignore par les lecteurs de ce present livre.
Et pource est de scavoir que le susdit frere Anthoyne de Boisis arrive qui fut a Castel presenta les lettres au Duc de Candye du tres-illustre Seigneur Grand Maistre, par lesquelles il le prioit vouloir prester pour aulcun temps ledit Martinengo pour subvenir aux affaires en quoy estoit la ville de Rhodes pour ceste heure la, lui promectant le renvoyer apres le siege leve.
Le Duc et le surplus de la Seigneurie dirent quils ne povoyent octroyer ceste demande audit Seigneur Grand Maistre: pource quils avoyent paix avec le grand Turcq, et nouvellement confermee par lui même qui estoit tourne d'embassade avant quil fust fait Duc. Ledit Martinengo (entendue ceste reponce, et le refus de son conge) delibera de sen venir secretement et desclaira son intention audit frere Anthoyne et appoincterent ensemble du lieu la ou le brigantin le devoit attendre pour le lever, deux jours ou trois apres que le brigantin fust party du Castel, Martinengo se desroba de nuit de la ville, et vint trouver le brigantin et monta dessus. Une jour ou deux apres le Duc de Candye adverty de son partement feist prendre tout ce quil avoit en sa maison, et tout fust confisque, apres feist faire une cryee par tout, que si aulcun scavoit nouvelles de lui quil le dist, et quil auroit une bonne somme dargent. Et qui le recelleroit seroit du et estrangle. Dultre cela ledit Seigneur manda deux galleres pour chercher et rataindre ledit brigantin, toutesfois ils ne feirent riens. Arrive que fust ledit Gabriel Martinengo en Rhodes le tres-illustre Seigneur Grand Maistre lui feist bon et gracieux recueil et tous les Seigneurs de la religion aussi, considerant le personnaige quil estoit et le icavoir diceluy et le besoin quon en avoit. Ayant aussi regard quil avoit laisse tout son bien et abandonne l’appointement quil avoit de la Seigneurie de Venise pour venir servir la religion, par quoy ledict Seigneur delibera de le traicter bien. Et deux ou trois jours apres quil fut venu ledit Martinengo requist audit Seigneur Grand-Maitre lui vouloir donner la croix et habit de la religion pour le zele quil avoit de la servir, et affin quon se peust mieux fier en lui, laquelle chose ledit Seigneur lui octroya. Et pour lui faire plus d'honneur et lui croistre for bon vouloir, il lui fist donner la grande croix, et fut receu en la langue d'Italye. Et le premier jour d'Aoust fut fait Chevalier de la main du Grand Maistre, et dedans l'eglise de nostre dame de la Victoire il prit l'habit. Et ledit Seigneur Grand Maistre assista a la messe et tout du long de la cerimonie quon fait a la procession des Chevaliers. Apres que ledit Martinengo eut la croix, le tres-illustre Seigneur Grand Maistre ordonna avec messieurs de son Conseil quil auroyt tel et semblable estat et appointement tous les ans quil avoyt en Candye de la Seigneurie de Venise, jusques a ce quil fust prouveu en la religion de quelque bailliage ou priore, avec cela ledit Seigneur lui donna la charge et conduyête de la plus grande partye des gens de guerre, tant de ceux de la ville de Rhodes que des estrangiers, qui estoient au solde et fut fait cecy par accord et consentement du mareschal de lordre et religion, auquel touche et appartient danciennete la charge des Chevaliers et autres gens tant en la mer quen terre au temps. de la guerre, et eut oultre cela ledit Martinengo la charge des fortifications de la ville, et dy faire comme bon lui sembleroit, comme xrimenté en tieulx affaires, et homme de grand travail, et fort vigilant, et de sa personne des plus hardis quon face, comme il a bien monstre en cesyege, car a tous les assault il estoit tousjours des premiers.
De la venue et descente du grand turcq en son camp: et des rampars marveilleux que feist faite a l’encrontre de la ville pour mettre les mantellets et artillerie.
Apres est a noter que le xxviii. dudit mois de Juillet, la personne du grand turcq passa avec une gallere et une fuste seullement du port de Fisco en terre ferme, et arriva environ midy la ou esto t furgie son armee, laquelle journee se peult dire mal fortunee pour Rhoces, car sa venue et continue demouree au camp a este occasion de nostre defection. Et incontinent que la gallere sus laquelle ledit Seigneur estoit, approcha de l'armee, tous les navires meisrent baniere en hault de la gatte, c'est a dire les navires ronds et les galleres au bout de leurs arbres, et tirerent l'artillerie pour le saluer, Et bientost apres il descendit en terre et monta a cheval, et sen alla a son pavillon lequel estoit en une lieu hault nomme Magalandra, a quatre ou cinq mille de la ville hors du d'Angier de l'artillerie.
Depuys sa venue les ennemis commencerent a tirer artillerie d'autre sorte quils ne faisoyent paravant, en especial des hacquebuttes, Et aussi travaillerent a faire leurs tranchees et approches a plusgrande diligence que paravant, semblablement feirent plusgrand effort que paravant a conduyre la terre avec la palle et picquon droit aux fossez, et la conduysoient d'une gect darc ou environ loing de la ville. Et nonobstant quon tirast coups infinits d'artillerie de la ville, contre ladicte terre mouvatisse, dont innumerable quantite de gens qui estoient cachez derriere icelle furent tuez et mors, ce nonobstant jamais ne laisserent de conduyre ladicte terre jusques a ce quelle fut au bord des fossez. Et depuys quelle fut la de jour en jour lefleverent plus hault, et de plus hault en plus hault en la renforfant par derriere. Et en conclusion ladice terre estoit plus haulte que la muraille de la ville de dix ou douze pieds, et en conclusions ils feirent une montaigne de ceste terre entre la poste d'Espaigne et Auvergne, et par la batoyent nos gens qui estoyent aux postes de la muraille et bollouards, enforte que personne ne se povoit monstrer, mais on feist des repaires de tables pour garder nos gens de leur baterie.
Et a la poste d'Italye feirent une semblable montaigne, et non ailleurs. Faites aussi que furent les trenchees jusques aux fossez, les ennemis feirent des pertuys au mur du fosse de dehors, par lesquels ils tirerent infinis coups de hacquebutes et escoupettes a nos gens et en tuerent grand quantite.
Les bashas et capitaines entrerent dedans lesdictes trenchees et choisirent chascun la leur, selon leur degre et auctorite, c'est assavoir Mustafa basha comme principal capitaine choisist la trenchee directe au bollouard d'Angleterre avec les gens et plusieurs capitaines soubs lui.
Pery basha le plus vieil des quatre bashas print la trenchee tirant a la poste d'Italye avec sa bande de gens et plusieurs capitaines soubs luy.
Acmet basha estoit aux tranchees d'Espaigne et d'Auvergne et lagat des Genissaires avec lui et autres capitaines soubs luy.
Le Begliherbey de la Natholie estoit aux tranches de Provence, et le Begliherbey de la Romanie estoit avec sa bande vers les jardins de saint Anthoyne, de la bande tremontane et plusieurs gens soubs luy.
Et feist faire sa premiere baterie au commencement d'Aoust contre la muraille de la poste d'Allemaigne, et dresserent sept mantelets aupres des mollins assis vers ponent, et par l’espace de huict ou dix jours batirent ladicte muraille qui nous donna grant doubte, pource quelle estoit fimple et ni avoit point de terreplain par dedans comme au surplus.
Toutesfois le tres-illustre Seigneur Grand Maistre fist incontinent faire les repaires par dedans avec terre et tables pour la fortiffier, et n'en bougeoit depuys le matin jusques a la nuyet affin que loeuvre savancast plus fort. l'artillerie de la poste d'Allemaigne et du massif de la porte du camp ou estoit le Seneschal dudict Seigneur, et les pieces aussi qui estoient au palais pource quil estoit hault lieu battirent si bien et rompirent si souvent les susdicts mantellets qua la fin les ennemis sennuyerenr de les refaire, et furent contraincts de les lever de la. Aussi ils ne pouvoient bonnement ne a leur plaisir batre ladicte muraille d'Allemaigne, pource que le bort du fosse par de hors estoit quasi aussi hault que la muraille quils batoyent, en sorte que la plusgrand partye des coups passoient oultre et alloient donner contre les maisons du Chateau, toutesfois avant que emporter l'artillerie dudict lieu ils tirerent tant de coups contre le clochier de l'eglise de saint Jean que la pluspart fut brisee et mise a bas. Cela fait ses mantellets et artillerie furent portez pour batre la tour saint Nicolas. Et par lespace de dix ou douze jours feirent grande et furieuse baterie de xxii. pieces attitrees contre elle, toutesfois ladicte tour leur feist si bonne et vigoureuse et assidue responce, quil ni avoit mantellet des ennemis qui demourast une heure entier. Et apres plusieurs batteries d'une part et d'autre, le capitaine de seçours de ladicte tour et ses gens feirent en sorte avec leur bonne diligence et dextresse que les ennemis noserent plus dresser mantellet ne tirer coup de jour, mais la nuit tant seullement tant que la lune luyfoit. Et tant que le jour duroit les pieces estoient couvertes de terre, et quant il estoit nuit ils recommencoyent a tirer. qui est une chose digne de memoire et de louenge de les avoir rangez jusques la. A la fin les ennemis voyans quils navancoyent riens en ceste baterie, mais quelle tueoit beaucoup de gens et canoniers principalement leverent leur artillerie de la, et laporterent ou bon leur sembla.
Et non obstant les susdictes batteries que on faisoit contre ladice tour et la poste d'Allemaigne les autres capitaines nestoyent pas oysifs ne endormys de leur coste, mais incessamment jour et nuit batoient la muraille chascun a son quartier, et principallement la muraille d'Angleterre et d'Espaigne, contre laquelle ils avoyent attitrez quatorze mantellets, avec ce que plusieurs sacres tiroient incessamment pour faire meurtre de gens, et tiroyent de grosses bombardes, dont les pierres estoyent les unes de six a sept palmes de tour, les autres de neuf a dix, et feirent telles baterie que dedans un mois ou moins ils rompirent la muraille neufve de terreplain de la poste d'Angleterre, nonobstant cela la muraille vieille qui estoit au dessoubs de la neufve demoura entiere ou peu endommagée. Les ennemis avoyent aussi mys par leurs tranchees dedans la fosse trois grosses bombardes, dont lune tiroyt la pierre de onze palmes de grosseur, et desdictes pieces batirent le bollouard et muraille d'Espaigne, en sorte quils feirent bresche et leverent les deffenses dudict bollouard, et par la terre et pierres tumbees dedans la fosse ils pouvoyent monter sur le terreplain de la muraille de la ville.
A la poste de Provence feirent le semblable mettant au bort du fosse trois grosses pieces, donc lunetyroit la pierre comme l'autre susdicte, et en peu de temps pareillement feirent bresche, nonobstant cela l'on renforcoit tousjours les repaires et defences audit Bollouard le mieux quon povoit, mais lassidue baterie rompoit tout ce que l'on pouvoit reparer. Alors le tresprudent Seigneur Grand Maistre adverty de la grande baterie contre la poste d'Angletere partit de la victoire ou il estoit loge et sen vint a la porte nommee fainet Anastace, et logea soubs ladicte muraille d'Angleterre ou se faisoit la baterie. Ledit Seigneur arrive la, feist quatre capitaines des plus anciens de son secours. Cestassavoir frere Diego de Laigle, frere Jean de Bonneval. frere Baptiste de Villargut: et frere François de Teilles, et a chascun de eux donna dix Chevaliers, lesquels Capitaines et Chevaliers estoyent jour et nuit par gardes audit Bollouard d'Angleterre pour renfort et secours dudit lieu oultre les gens ordinaires, et est à noter que si l'artillerie des ennemis tyroit souvent contre nous, l'artillerie de la ville ne dormoit pas, mais incessamment tyroit par tout contre les mantellets des ennemis et en rompoit beaucoup. Toutesfois comme il a este dit la nuit ils en dressoyent d'autres, car ils avoyent tout ce que leur faisoit besoin. une jour entre les autres nos canoniers tyrerent d'une coulouvrine contre une des mantelets qui batoit la muraille d'Angleterre et rompirent ledit mantelet, puys donna sur une des pieces et tua cinq ou six hommes, et emporta les deux jambes du maistre de l'artillerie, lequel incontinent apres mourut, dequoy le grand Turcq fut fort mal content. Et dit que il eust mieux ayme avoir perdu un de ses bashas que ledit Maistre. Les jours paravant aussi de nostre coste avoit este tue d'une coup de bombarde Rostam maistre bombardier de la religion lui estant a la poste d'Espaigne faisant son office. Semblablement fut tue le Capitaine de la poste d'Espaigne dessus nomme, frere Jean de barbaran, et en son lieu fut mys capitaine frere Jean de Homedes Arragonnoys, lequel fist fort bien son debvoir en ladicte charge, mais bien tost apres il perdit une œil d'une coup descouppette, et layssa ladicte capitainerie pour ce quil estoit blesse.
Apres est de scavoir aussi quil y avoit dixsept mantelets attitres contre le terreplain d'Italie, et audit lieu par lassidue baterie les ennemis feyrent bresche. Et par la terre et pierres tumbees dedans le fosse pou. voyent monter sur ledit terreplain.
Durant ces batteries le quatorziesme jour d'Aoust une coup d'artillerie des tranchees d'Italie fut tyre: et donna par la poupe de la carraque Genevoyse qui estoit dedans le port Surgie, et pour estre aulcunement chargee et mal secourue ledit navire alla a fons, et depuis na servi.
Le dix-neufiesme dudit mois le capitaine frere Gabriel ordonna faire une faillye sur les ennemis qui belongnoyent aux tranchees contre la poste d'Italye pour destourber tousjours loeuvre, et saillyrent cent compaignons de guerre ou plus: lesquels conduyfoit frere Bartholome Cecilien, et une Messire Benedicto quavoit amene avec lui ledit capitaine frere Gabriel, et passans par la fosse de ladicte poste allerent droit aux tranchees, et donnerent sur les ennemis, lesquels se misrent en fuyte, et nos gens prindrent une Turcq en vie, et apporterent la teste d'une autre, et sur cela se retirerent, car en une moment grand quantite de Turcqs a grand presse vindrent au secours des autres, et prindrent une jeune homme des nostres lequel ils tuerent incontinent, toutesfois en venant a travers les jardins, et sen retournant l'artillerie de la ville les trouva aux descouvert, et en tua bonne quantite.
Item est a noter que le vingt-troisiesme dudit mois lalarme sonna a la poste d'Auvergne, et les gens allans veoir que cestoit trouverent par les chemins plusieurs Turcqs esclaux de la ville qui venoient de besogner de ladicte poste et dailleurs. Et a donc quelscuns des nostres commenca a frapper sur lesdits esclaux par fantaisie et sans scavoir pourquoy, et en despecherent cent au six vingts, lesquels estoient de plusieurs Seigneurs Commandeurs et Chevaliers et marchans de la ville: laquelle folye tourna en nostre dommaige, car lesdits esclaux servoyent bien, et furent bien trouvez a dire aux derriei es grans affaires comme sera touche apres.
Comment Vasilly Carpatio grec print douze turcqz par sa finesse, et eux mis dedans son brigantin en tua une, et les unze presenta audit seigneur Grand Maistre.
Le xxviiii. arriva de nuit avec une barque frere Mery Defreaux qui estoit alle en France par commandement du tres-illustre Seigneur les jours paravant, et vindrent avec lui trois ou quatre jeunes compaignons pour se trouver en si bonne affaire.
Le tres-illustre Seigneur Grand Maistre voyant sa ville ainsi battue et les bresches faites en trois lieux feist compte que les ennemis ne tarderoyent guerres de donner assault. Et pource depescha une brigantin pour faire avancer le secours de Naples et de Provence, et manda sur ledit brigantin frere Anthoyne de Boysis pour aller a Naples et a Rome. Et Nicolas Huffonson (Hussonson?) secretaire pour aller en Provence et de la en court, et partyrent les susdicts le vingt-huitième d'Aoust. Et pource que dessus a este dit que ledit Seigneur Grand Maistre mandoyt espies au camp des ennemis pour icavoir et entendre ce quils faisoyent et disoyent l'une de ceux à qui ledit Seigneur se fioit, essoyt alle dehors selon quil avoit accoustume, toutesfois il ne retourna plus, et fut dit que ledit espion avoit este cogneu et prins autres disoient quil sen estoit fouy en Lisle pour se retirer a quelque une de nos places, comme Ferraclo ou Lindo. Quoy quil en fust ledit Seigneur toufjours travaillant de scavoir les affaires des ennemis feist armer une brigantin sus lequel il manda une grec nomme Vallilly Carpatio, qui scavoyt bien parler la langue Turquesque, et sen alla surgir a huit mille loing de la ville, a un lieu dit la Fosse, ouvint surgir l'armee au commencement du siege pour essayer de prendre quelque Turcq a la marine. Et arrive quil fut pres de terre, les Turcqs reposant pres du bord de la mer pour la frescheur, car cestoit au mois d'Aoust apperceurent le brigantin, ledit Carpathio voyant quil estoit decouvert et apperceu, et quil ni avoit remede de mettre son embusche en terre pour faire son entreprise, comme ruse et expert au mestier et non voulant retourner sans rien faire, sadvisa d'une expedient et commenca a crier à haulte voix aux Turcqs qui estoient en terre. Et leur dist que le capitaine de l'armee les demandoit. Adonc douze dentre eux sans dire ne respondre autre chose, et ne pensant plus avant en autre malice, entrerent dedans ledit brigantin, et furent amenez dedans le port qui fut un grand signe d'obeissance. l'une des douze voyant la tromperie et quil estoit entre les mains de ses ennemis tyraung cousteau quil avoit, et en donna à la cuisse dudit Carpathio, lequel incontinent print son espee et coupa la teste de celluy qui lavoit blesse et la porta au tres-illustre Seigneur Grand Maistre, et quant et quant lui presenta les onze qui estoient en vie, ledit Seigneur lui donna son breuvage, car il lavoit bien gaigne ayant bien joue son personnaige.
Mais pour revenir au fait des batteries: ledit capitaine Gabriel diligent et expert de donner les remedes la ou estoit de besoin incontinent feist faire les traverses et repaires sur la muraille aux lieux ou il y avoit bresche, et ausdictes traverses feist mectre grosse artillerie et menue, laquelle non seullement tyroit a la bresche, mais aussi vers les tranchees, et desdictes traverses l'on faisoit journellement grand meurtre de gens, et oultre ces traverses ledit capitaine feist mettre de menue artillerie, comme hacquebutes, escoupettes sus certaines maisons de la ville qui estoient au fronc de la bresche d'Espaigne et aussi de Provence avec quelques repaires, et desdictes maisons nos gens feirent grand meurtre des ennemis aux assault.
Apres est assavoir que oultre les susdicts mantellets qui tyroient contre la muraille d'Espaigne et d'Angleterre il y avoit deux mantellets en une hault vers le chemin du jardin de Maulpas, soubs lesquels mantellets il y avoit certains doubles canons lesquels tyroient contre nos repaires et traverses de la muraille, et aussi tyroient dedans la ville a coups perdus pour faire meurtre de gens, toutesfois graces a dieu, ils ne feirent pas grand mal sinon aux maisons.
Apres ces grandes et horribles batteries faites et quil y avoit chemin de povoir monter sur la muraille et venir aux mains avec nous, les ennemis pour traverser plus seurement et a couvert de leurs tranchees a la terre tombee de la bresche sans estre batus par les flans getterent grand quantite de terre dedans nos fossez par les pertuys quils avoient faits au mur du fosse en dehors affin que de ladicte terre ils fussent couvers de l'artillerie du Bollouard d'Auvergne, et aussi continuerent de battre le Bollouard d'Espaigne pour lui lever ses defences et repaires que journellement l'on restauroit le mieux quon povoit. A la fin ils rompirent tout et demeurerent seullement quelques canoniers dabas à la mine dudit Bollouard, lesquels peu ou riens leur porterent dommage, et delibererent de donner une assault par ladicte bresche d'Espaigne. Et vela quant aux faits des batteries desquelles je ne dis pas la tierce partie pource que c'est chose increable qui ne lauroit veu, car tel jour estoit que les ennemis tyroient tant de grosses bombardes assises au bord du fosse que des autres pieces, estans soubs les mantellets contre ladicte muraille d'Angleterre et d'Espaigne deux cens soyxante coups et plus, et croy fermement que depuys que le monde est cree, telle artillerie ne si furieuse ni en si grande quantite ne fut tyree contre ville comme a este contre Rhodes en ce siege, parquoy nest de merveilles si les murailles ont este mises a bas et si les ennemis ont fait bresche en tant de lieu. Et pource que dessus a este dit que la plusgrande esperance que les ennemis eussent davoir la ville de Rhodes, estoit par mines, avant que entrer aux assault. Apres avoir parle des batteries je parleray des mines qui ont este faites, lesquelles estoient en si grande quantite et en tant de lieux que des six parts de la ville les cinq comme l'on presume estoient minees. Et selon le compte que ont fait aulcunes personnes, il y en avoit cinquante quatre, les autres difent quarante-cinq, aulcuns trente-huit ou quarante. Toutesfois graces a Dieu la plupart nest venue en effect a l'occasion des entremines que ordonna ledit capitaine Gabriel, car il feist faire. une tranchee soubs terre commencant au Bollouard d'Auvergne allant a lentour dudit Bollouard, et de la alloit vers la muraille d'Allemaigne. Et de l'autre coste jusques au Bollouard d'Angleterre et du Bollouard de Cosquino jusques au Bollouard que sist Monsieur de Careto a la poste d'Italye, enforte que la plusgrand partye des mines des ennemis venoient saffronter a ces tranchees et tousjours on leur alloit au devant quant on les sentoit, et furent rencontrees beaucoup et rompues par nos gens.
Comment le premier assault fut donne contre Rhodes: la ou moururent grand nombre de turcqz: a peu de nos gens. Et de la mort de frere Gabriel de Pommerolz.
La premiere mine que feirent nos ennemis qui fut rencontree fut une qui estoit commencee aupres d'une eglise nommee saint Jean de la Fontaine, et venoit respondre au fosse de Provence, laquelle estoit desia a demi le fosse, et fut fentue par nos gens qui estoient aux escoutes le vingt-sixiesme jour d'Aoust. A donc ledit capitaine Gabriel alla en personne dedans la tranchee, et quant il fentit les ennemis estre pres, il feist ouverture et avec trompes de feu et barrils de pouldre quil mist lui mêmes au pertuys, la pluspart des ennemis furent bruslez ou estouffez, les autres se saulverent: et fut veue de la ville la fumee sortir du coste quils avoient commencee ladicte mine, nos gens prindrent les palles et picquons des ennemis. Et si ces tranchees couvertes eussent este faites des le commencement, beaucoup de leurs mines neussent pas eu l’effect quils ont eu, mais l'on se fioit aux premieres tranchees qui estoient faites dedans le fosse parfonds jusques a leaue, et aussi a certains puys quon feist au commencement que l'armee vint, mais la terre que les ennemis gettoient jour et nuit par leurs tranchées dedans le fosse combloit lesdictes tranchees et puys. Adonc le capitaine Gabriel ordonna les tranchees soubs terre, lesquelles prouffiterent assez.
Et pour parler des mines que ont eu effect, et ont endommage la ville, avant que lesdictes tranchees fussent parachevees. Est de scavoir que le quatriesme jour de Septembre environ quatre heures apres midy les ennemis meisrent le feu a une mine soubs le Bollouard d'Angleterre, qui fut si furieux que la pluspart de la ville en trembla, et abbatit environ six toises de muraille a la bande du midy, et par terre et pierres qui tumberent au fosse, les ennemis vindrent sur le Bollouard, et porterent sept enseignes, et neust este une repaire et traverse que feist faire le capitaine Gabriel audit Bollouard, la nuit devant que les ennemis meissent le feu a ceste mine a lendroit ou elle estoit faite.
Abatue que fust la muraille, ils entroient dedans le Bollouard sans trouver riens au devant, sinon nos gens a descouvert mais ledit repaire fut si bien et a propos ordonne, quil ni avoit quenviron quatre pieds a dire dudit repaire a la rompure que feist la mine au Bollouard. Et se peult dire que sans ce repaire, ledit Bollouard estoit perdu, et par consequent la ville, pour ce que les escoupetiers qui effoient au bord du fosse dedans les tranchees eussent tuez nos gens qui se fussent trouvez sur le Bollouard pour estre tous descouverts. Parquoy moyennant l'aide de Dieu, et ledit repaire le Bollouard fut saulve, nonobstant cela les ennemis combatirent fort et ferme avec nos gens main a main avec picques et lances de feu, coups de traict et descoupetes d'une coste et d'autre estoyent si efpoix comme pluie. Et en cette meslee et combat estoit ledit capitaine Gabriel, et le Seigneur de saint Gilles faysans tous deux bien leur debvoir.
Adoneques le tres-illustre Seigneur Grand Maistre qui estoit venu comme a este dit au secours dudit Bollouard marcha avec l'enseigne du crucifix: et le Bailly de la Moree, et autres Chevaliers, et gens de son secours avec luy, et secourut ledit Bollouard, et apres avoir combatu l’espace de deux bonnes heures les ennemis repulsez et batus d'artillerie de plusieurs parts, se retirerent aux tranchees avec perte honte, et dommaige. Et fut la premiere victoire que nostre Seigneur nous donna, et y demeurerent des ennemis environ deux mille, selon quil nous fut rapporte du camp. De nostre coste cedit jour moururent douze ou quinze personnes tant Chevaliers que gens de la ville, et quinze ou vingt autres furent blessez. Et entre les autres fut feru en loeil d'une coup de flesche le capitayne des galleres frere Michel Dargillemont, lequel estoit avec les gens de sa gallere capitaine de secours audit Bollouard. Pareillement audit combat fut blesse d'une coup de hacquebute frere Henry Manselle, qui portoit l'enseigne dudit Grand Maistre, lequel ainsi blesse tumba comme mort, et adonc frere Joachin de Cluys dit Briande, de la langue de France print ladicte enseigne, et de la en avant la porta. Ledit frere Henry apres avoir este malade une mois ou plus mourut a l'occasion de sa playe. Ledit jour de ce combat passa de ce monde en l'autre frere Gabriel de Pommerols Lieutenant dudit Seigneur Grand Maistre, lequel les jours paravant estoit tumbe de son hault en allant veoir les tranchees des fossez, et se blessa en sa personne: et pour non estre bien pense fut surprins d'une fiebvre de quoy il mourut.
Le sixiesme dudit mois, le capitaine Gabriel rencontra une mine des ennemis, a laquelle il meist le feu par la contremine, et se retirerent les ennemis, toutesfois il fut trouve une Turcq etousse dedans la mine, et quelque jour paravant ledict capitaine avoit rencontre deux autres mines, et les avoit rompues.
Comment le second et merueilleux assault fut faict les unes contre les aultres. Et comment les turcqs prindrent la fuyte quant ils apperceurent l’enseigne de la croix blanche, et de trois mille de leurs gens tuez.
Apres est de scavoir que le neufiesme jour dudit mois a sept heures au matin, les ennemis donnerent feu a deux mines, lune à la poste de Provence qui neust point deffait, nonostant ils vindrent a la bresche, et combatirent avec nos gens. Lautre mine fut au Bollouard d'Angleterre, laquelle abbatit une toyse ou plus de muraille dudit Bollouard, aupres de la ou la premiere mine avoit rompu l'autre muraille. La mine fut si furieuse: quil sembla que le Bollouard allast en bas, et sensouyrent quasi tous les gens qui estoient dedans. Et quant celluy qui portoit l'enseigne de la religion entra dedans le Bollouard, les ennemis estoient a la bresche pres des repaires, mais incontinent quils apperceurent ladicte enseigne, qui est la Croix blanche, comme gens perdus et demi morts se meirent en fuyte. Et adonc l'artillerie du Bollouard du Cosquino, et d'autres lieux les rencontra, et en tua grande quantite, toutesfois les capitaines les feirent retourner avec grands coups despees et de cimiterres. Et remonterent en hault le long de la terre tumbee, et planterent neuf enseignes joignant des repaires.
Alors fut combatu vifvement avec picques et lances de feu, et escouppeterie d'une part et d'autre l’espace de trois heures, mais a la fin les ennemis estans battus de toutes parts de grosse artillerie et menue retournerent en leurs tranchees, et desdictes enseignes, lune fut gaignee par nos gens, et ne fut possible den avoir d'autres. Car incontinent qung homme montoit für les repaires, il estoit depesche de lescouppeterie des tranchees, qui tyroyt par les pertuys faits au mur du fosse, comme a este dit.
En c'est assault mourut des ennemis deux ou trois mille, et trois personnes dapparence: lesquels estoient estendus morts dedans le fosse avec belles jubes et riches, et nous fut rapporte du camp que cestoient trois Seniacsbeys, qui vault a dire Seneschaux de provinces, et de nostre coste demeurerent en ce combat environ trente hommes. Aussi furent blessez aulcuns Chevaliers, entre les autres le Commandeur de l'artillerie frere Guyot de Marfilhac, et le Chevalier Briande dessus nomme qui portoit l'enseigne dudict Seigneur Grand Maistre perdit loeil d'une coup descouppette. Ladicte enseigne fut donnee a porter a frere Mery des royaulx de la langue d'Auvergne. Pareillement fut blesse frere Marino Farsan capitaine de secours a la poste de Provence, et autres Chevaliers non ayant charge, et gens de la ville aussi.
Du troisieme assault qui fut fort cruel d’une coste et d’aultre, ou nous gaignasmes la tournee ensemble deux enseignes avecques trois mille turcqs tuez, et bien peu de nos gens: veu quilz estoient mille contre une.
Le dix-septiesme dudit mois environ midy retournerent les ennemis donnet une autre assault au Bollouard d'Angleterre par le lieu accoustume sans mettre feu a mine, et de rechief porterent cinq enseignes aupres des repaires, et alors fut combatu roydement d'une part et d'autre, et furent gaignees deux enseignes: dont lune gaigna frere Christofle Valdener, Castellain de Rhodes pour lors. Et apres avoir longuement combattu d'une coste et d'autre, les ennemis voyant qu'ils ne gaignoient que les coups sen souyrent en leurs tranchees, non pas sans grand meurtre des nostres: aussi aulcuns y en eut de tuez et blessez, entre les autres Monsieur de saint Gilles, frere Preian eut une coup descouppette au col: et passa doultre en oultre, et fut en d'Angier, de sa personne, mais graces a dieu il en guerit. Ce même jour aussi fut tue d'une coup descouppette des tranchees le Seigneur Tricoplier, frere Jean Boug, dessus nomme Capitaine de secours de la poste d'Angleterre et d'Espaigne. Ledit jour et a la même heure dudit combat, les ennemis misrent le feu a deux mines, cestassavoir a la poste d'Espaigne lune, et l'autre en Auvergne, et rompirent deux toises de muraille de la barbacane. Et monterent a la poste d'Espaigne et vindrent jusques aux repaires aux mains avec nos gens, et combatirent longuement. Mais la grande et assidue artillerie tirant des traverses d'une part et d'autre, et l'artillerie menue des maisons qui estoient vis a vis de la brèfche: les escamoucha si bien quil en demoura audit combat et a l'autre d'Angleterre plus de trois mille, et sur cela se retirerent avec leur grant honte et confusion, et fut la troisiesme fois quils furent dechassez et vaincus, graces a notre Seigneur quil nous donnoit la force et puissance de ce faire, car ils estoient mille contre ung. A ce combat moururent aucuns Chevaliers. Entre les autres une nomme Dom Philippe Darreliano Espaignol, lequel combatit vaillamment, mes apres d'une coup descouppette il fut tue, et autres personnes de la ville furent tuez et blessez.
De la trahison du Juif medecin (dessus nomme) et de sa pugnition, et comment il voulut mourir bon Chrestien.
Un jour ou deux apres ceste journee gaignee la trahyson du medecin Juif (duquel a este par cy-devant parle) fut apperceue, car il fut trouve tirant une fleche au camp avec une lettre dequoi il fut accuse, et mis a la geheine, confessa comme il estoit espye, et quil avoit escript cinq lettres. Et par lune avoit parle des mortiers, advisant les ennemis quils nen tirassent plus, dist aussi quil avoit escript a Peri basha que l'armee ne sen allat point: car la ville commencoit a venir a moins de beaucoup de chose, et que a la fin ils en viendroient a bout, et plusieurs autres choses confessa dequoy je men deporte pour briefvete. La justice le condampna a estre mis en quatre quartiers, ledit Juif se confessa, et comme bon crestien voulut finir ses jours.
Du tremblement de Rhodes et ouverture des murailles a l’occasion du ne des mynes ou estoit mis le feu fort horrible.
Item le xxii. dudit mois de Septembre les ennemis meirent le feu a une mine au Bollouard d'Angleterre, laquelle ne feist point de mal, pour ce quelle print espirail par les contremines quavoit fait le Capiaine Gabriel. Et le jour ensuivant meirent le feu à deux mines, lune a la poste d'Espaigne aupres de la batterie, laquelle neust point dessait a l'occasion quelle eust aussi espirail: l'autre fut aupres du Bollouard d'Auvergne, et venoit ceste mine respondre soubs la barbacanne bien avant, laquelle fut si terrible quelle feist trembler toute la ville, et feist ouvrir du hault en bas la muraille en dedans joignant du terreplain, et par dehors demoura fayne et entiere, et neut autre mal Dieu mercy, car ladite mine print espirail par les contremines, et aussi pource quung roch qui estoit soubs la barbacanne se fendit, et par louverture du roch sa fureur passa. Et si ladicte mine neust eu elpirail la muraille estoit en d'Angier daller du hault en bas. Et pour vray selon qui nous fut rapporte du camp les ennemis avoient plus grande esperance en ladicte mine quen aucune des autres au paravant faites, car ils estoient venus en gros nombre le jour devant aux tranchees prochaines du fosse: pensant que pour ladicte mine la muraille deust aller a bas, et puis quils entroient a leur plaisir dedans la ville. Et de fait mys que fut le feu a la mine grant partie deulx entrerent dedans le fosse pour passer oultre dedans la ville: lesquels furent bien trouvez de l'artillerie tirant par les flancs, mais quant ils veirent que la muraille demoura entiere furent fort esbahys et mal contens. Les Capitaines alors delibererent de donner l'assault en quatre lieux pour nous donner plus d’affaire, en esperance aussi dentrer dedans la ville par l'une des quatre. Par quoy ce jour la et toute la nuit ils ne cesserent de tirer artillerie contre la ville en toutes pars.
Du quatriesme combat qui fut chose miraculeuse: par ce que nos ennemys perdirent toutes leurs enseignes. De la grande occision et puanteur des corps di ceux, et da nombre de nos gens tuez.
Le xxiiii. jour dudit mois de Septembre une peu avant jour les ennemis tirerent une quantite de coups de bombardes a la bresche d'Espaigne: affin que la fumee desdictes bombardes les gardaft destre veus en passant par le fosse: et ainsi avec merveilleux nombre de gens ils donnerent l'assault audit lieu. Pareillement au Bollouard d'Angleterre en feirent autant et a la bresche de Provence et au terreplain d'Italie tout a une même heure et temps. Et le premier qui monta a la bresche d'Espaigne ce fut Lagat, c'est a dire le Capitaine des Genissaires avec sa bande, et porterent trente ou quarante enseignes et les planterent a la terre de la bresche, puis combatirent avec nos gens et monterent sur nos repaires et vindrent jusques aux traverses: et y eut autre combat et plus royde que les autres passez, car ce combat dura environ six heures. Et quant et quant c'est assault donne a la bresche une nombre de Turcqs entra dedans le Bollouard d'Espaigne et meisrent dessus cinq ou six enseignes et enchasserent nos gens et en furent Seigneurs trois heures ou plus. Toutesfois il y avoit de nos gens a bas a la mine dudit Bollouard, et le voyant a demi perdu, cela nous donna aulcune mauvaise esperance. Incontinent les tres illustre Seigneur Grand Maistre qui estoit au combat du Bollouard d'Angleterre adverty des affaires qui estoient a la poste d'Espaigne, et quil y avoit gros combat et resistance d'une part et d'autre, marcha avec l'enseigne du crucifix, et laissa la charge du Bollouard d'Angle terre entre les mains du Baillif de la Moree frere Mery Gombault, et monta ledit Seigneur sur la muraille d'Espaigne. Alors le combat se renforca et chascun meist la main a la pafte tant pour repoulfer les ennemis que pour recouvrer le Bollouard d'Espaigne, et par com mandement du tresprudent Seigneur, je allis par le dedans du fosse avec une bende de gens pour le recouvrer, lesquels entrerent et moy avec eux par la porte de la mine dudit Bollouard et monterent en hault, mais il ni avoit que trois ou quatre Turcqs car l'artillerie des traverses de la poste d'Auvergne regardant droit au dit Bollouard: et d'autres lieux aussi les avoient si bien escartez que quasi tous furent tuez. Par ainsi le Bollouard fut regaigne, et avec ques toute diligence l'on y feist nouveaux repaires. Pareillement fu rent repoulsez de la bresche d'Espaigne, et toutes leurs enseignes y de mourerent. Et ce peult dire quapres la grace divine les traverses d'une part et d'autre et la menue artillerie qui tiroit de dessus les maisons vis a vis de la bresche comme a este dit, aussi lavenue et prefence du dit tres-illustre Seigneur Grand Maistre nous donnerent la bataille gaignee. Au regard du meurtre des ennemis que feist l'artillerie du Bollouard d'Auvergne la quantite des mors dedans les fossez estoit si grande que l'on nappercevoit ne veoit l'on la terre, et la puanteur fut si grande et si horrible de ses mastins mors que l'on ne povoit durer de dans la ville de sept ou huit jours apres. A la fin ceux qui se peurent sauver se sauverent et se retirerent aux tranchees. Et demoura le Seigneur Grand Maistre victorieux, non seullement audit lieu, mais aux autres trois combats lesquels ne furent guerres moindres que celluy d'Espaigne. Il en mourut ce jour ia en ces quatre combats douze ou quinze mille, et le meurtre de ces faux villains fut si grant au terreplain d'Italie que de leur fang la mer en estoit rouge. De nostre coste moururent deux cens hommes ou environ, et en furent blessez cent cinquante-ungs et autres, de gens dapparence et ayans charge, frere François de Frenay Commandeur de la Romaine, Capitaine de la nef de Rhodes estant du secours au terreplain d'Italie fut tue de deux coups de hacquebute, qui fut une gros dommaige de sa mort, car il estoit homme tres vertueux et personnage qui valloit assez. A ce combat fut aussi blesse d'une coup descouppette a la poste de Provence, frere Nastazi de sancta Camella, homme de bon icavoir, ayant cent cinquante hommes soubs lui du secours du tres-illustre Seigneur Grand Maistre comme a este dit, lequel bien tost apres mourut dudit coup. Plusieurs autres gens de bien non ayans charge moururent: en ces quatre assault, lesquels je laisse de nommer pour briefvete. Au regard des blessez il y en eust largement et de plusieurs fortes. Car aulcuns perdirent yeulx, mains, jambes, bras. Entre les autres freres Jean de Letoux dit autrement Pardinez Commandeur de Challon, patron d'une des galleres de la Religion, estant pour renfort au Bollouard d'Angleterre avec les gens eut le bras droit emporte d'une coup d'artillerie, lequel premierement que le frapper avoit emporte neuf personnes, et fut ledit Chevalier en grant d'Angier de sa personne, toutesfois a l'aide de nostre Seigneur il faava sa vie, et perdit ledit membre seullement. Cedit jour semblablement perdit une doy de sa main d'une coup descouppette frere Guillaume Quaston dessus nomme Capitaine de la poste d'Angleterre. Je diray aussi sans blasme ni reprehension des lecteurs de ce livre, que je sus blesse d'une coup descouppette en allant au terreplain d'Espaigne, et ne le dis point pour gloire ni pour me venter, mais pource que la fortune voulut que je eusse quelque coup comme les autres. Assez d'autres Commandeurs et Chevaliers furent griefvement navrez, desquels pour abreger je laisse les noms. Du coste des ennemis des gens de sorte et ayans charge furent tuez deux des principaux Capitaines des Genissaires soubs Lagat qui est chief et qui commande les Genissaires du Turcq. Pareillement fut tue une Capitaine des Momellus qui estoit venu les jours passez de Surye avec trois ou quatre mille Mores, et six cens Momellus. D'autres aussi ayans plus petite charge furent tuez et blessez, lesquels je laisse compter a ceux a qui le cas touche.
De layde des femmes de Rhodes, tant aux murailles que autre part a lencontre des ennemys.
Aux dessusdits assaults non seullement les hommes selon leur naturel faisoient les armes, et resistoient aux ennemis, mais aussi les femmes, lesquelles en bonne quantite en tous les lieux ou il y avoit combat ou assault se trouvoient par-tout, et portoient pierres, terre et eaue pour nuire aux ennemis, portoient aussi pain et vin, et autres vivres pour subvenir et rassazier ceux qui combattoient d'une grande et fervente amour, et avec grand travail de leurs personnes. Et y en eut aulcunes qui gettoient des pierres aux ennemis dedans les fossez: desdictes femmes en fut tue et blesse bon nombre.
Entre les autres choses aussi dignes de memoire: du fait des ennemis notera une chascun, que les ennemis avant les susdits assaults: et depuis jusques a la fin ont fait chose increable, sinon a ceux qui lont veu, c'est que, des le premier jour et heure qui commencerent a tirer artillerie contre la ville, depuis nont cesse de tirer, ou bombardes grosses, ou pieces moyennes: ou mortiers, autrement dits trebucs, ou escouppetterie jour et nuit, ou de saper la terre, de faire mines, tranchees, de conduire montaignes de terre jusques au bord du fosse sans laisser jamais heure, ni demie, ni quart, ni intervalle matin ou soir, ou a heure de manger, nonobstant quon leur ait tire infinis coups d'artillerie pour les destourber de loeuvre. Et le plusgrand meurtre de gens qui ait este fait, aeste dedans les tranchees en conduifant ceste terre: toutesfois la palle ne fut jamais apperceue avoir cesse ni repos, car il y avoit chief qui ne bougeoient d'auprès de ceux qui besognoient continuellement, et avec grans coups despees les faisoient travailler jusques a crever. Et allors que l'artillerie leur faisoit plusgrand meurtre de gens, a ceste heure la ils gettoient grans cris de joye, et en une moment les gens estoient changez: sans quon peust appercevoir quils se reposassent ou cessassent de loeuvre. Les deux montaignes quils feirent comme a este ja touche, estoient plus haultes beaucoup que nostre muraille, ni que nos deffenses: en sorte qui ni avoit homme qui se monstrast qui ne fust incontinent despeche de lescouppetterie. Et a toute heure il failloit trouver remede et faire provisions et reparations contre leurs inventions et progrets, et nestoit possible de fournir a tout et par tout, tant pour lassidue batterie, laquelle tuoit et blessoit tous nos gens, que pour la necessite et penurie que nous avions des choses necessaires, comme de tables et boys pour repaires: lesquels d'heure en heure estoient rompus et fracassez, et de jour en jour venoient a moins, sans esperance den povoir recouvrer.
Comment le grand turcq manda Mustafa basha son capitaine general, et lui reprocha que cestoit par lui quel avoit perdu les trois assault: et comment le voulut faire mourir.
Le grand turcq durant ce combat estoit en son pavillon a une lieu hault quil avoit fait faire, regardant le combat: adverty qui fut que ses gens avoient este ainsi vivement repoussez: et que la journee estoit perdue pour lui fut fort mal content et demi desespere. Et feist appeller Mustafa Basha Capitaine general, auquel il se courrouca amerement. Et lui dist que cestoit lui qui lavoit fait venir a Rhodes, donnant a entendre quil prendroit la ville en quinze jours ou une mois au plus tard. Et desia il y avoit trois mois que son armee eltoit la, et navoit encore rien fait.
Apres ces parolles ledit Seigneur delibera faire mourir au camp ledit Mustafa. Toutesfois les autres bashas lui remonstrerent quil ne debvoit point faire la justice de lui en terre de ses ennemis, car ce seroit leur donner allegrie et couraige. Le grand Turcq oyant ces parolles modera sa collere, et depuys lenvoya au Caire, pource quil vint nouvelles que le Capitaine dudit lieu estoit mort. Toutesfois il ne partit pas si foubdain. Et avant son partement ledit Mustafa voulut essayer de faire quelque chose pour contentement du grand Turcq, tant pour honneur, que pour saulver sa personne. Et feist une merveilleuse diligence de faire des mines contre le Bollouard d'Angleterre pour le mettre a bas, et en conclusion il y avoit tant de mines et contremines, que le Bollouard estoit tout creux par dessoubs: toutesfois la pluspart des mines ne feirent rien, combien que les ennemis meissent le feu pource quelles prenoient espirail par nos contremines: par la bonne diligence et solicitude de frere Gabriel du chief, maistre d’hostel du Seigneur Grand Maistre, lequel avoit la charge dudit affaire au Bollouard d'Angleterre, auquel il se est fort bien porte, avec grand travail de sa personne. Et si na point espargne ses peines. Aussi na il fait l’argent de sa bource pour mieux faire besongner et travailler les gens. Semblablement aux mines que les ennemis faisoient au fosse de la poste d'Auvergne, et contre le Bollouard de ladicte poste, le Chevalier de la Barge de la langue d'Auvergne avoit la charge sur les contremines: la ou il feist fort bien son debvoir.
Comment les ennemys voulurent leuer leur camp eux voyant quilz perdoient leurs gens, et des traistres estans dedans la ville que mandoient lettres aux Bashas et capitaines. Et de frere Andre deme rail (dessus nomme) perseuerant en sa trahison.
Les ennemis voyant que par mines ils navancoient rien, et ne povoient venir a leur intention, ayans bien peu de munitions furent en deliberation de lever leur camp et sen aller. Et de fait aulcuns y en eut qui emporterent leur cariage vers les navires. Et aussi quelque nombre de gens avec leurs enseignes sortirent de leurs tranchees, et allerent droit aux navires. Alors il fut escript du camp comme les Genissaires ne vouloient plus combattre, et que tous estoient deliberez de partir, reserve aulcuns Capitaines. une jour ou deux apres ledit assault une Albanity de nos gens s'enfuit aux ennemis, et leur dist quils ne sen allassent point, les advisant que la plupart des gens de guerre avoient este tuez ou blesez a ce dernier assault, et leur dist que fils eussent continue le combat ou que le lendemain ils en euslent donne une autre, quils emportoient la ville. Pareillement les faux traistres qui estoient dedans la ville escriprent lettre au camp donnant advis aux ennemis de ce qui avoit este fait, et ce qui se disoit entre nous et plus que de la verite, les exhortant quils ne sen debvoient aller. Ĉar en donnant une ou deux autres assault ils prendroient la ville. Et alors selon que on trouva depuis le dessusdict frere Andre de Merail escript une lettre aux bashas les exhortant de demourer, et leur disant que au long aller la ville seroit a eulx. Entendus que furent ces advis par les bashas et capitaines du camp et sur tous les autres celluy dudict Merail, delibererent de non partir, notifians a tous ceux du camp les nouvelles quils avoient eues de la ville pour leur donner bon couraige et vouloir de demourer. Et commencerent de nouveau a tirer artillerie plus fort que jamais. Car munitions nouvelles leur furent apportees. A doncques Mustafa Basha desespere quil ne povoit rien faire par mines ne par batteries, ne encor par assault lui estant prest de partir pour aller en Surye par commandement du grand Turcq, avant son partement voulant encore essayer son adventure, donna trois assault au Bollouard d'Angleterre trois jours de ranc: et la pluspart des combatans estoient momellus. Le premier assault fut une Samedy une heure avant quil fut nuit. L'autre Dimanche au matin. Et le tiers le Lundy apres disner. Et ne fut combatu ces trois jours sinon avec pierres et fachets pleins de artifices de feu. Et en ces trois combats furent blesez beaucoup de nos gens desdicts artifices de feu, et aussi des coups de pierres qui estoient espes comme pluie ou gresle. Mais a la parfin les ennemis ne gaignerent que les coups: et sen retournerent a leurs tranchees et juroient leur Mahommet, que ledit Mustafa ne les seroit plus retourner au Bollouard, et que cestoit grand follie a eux de soy faire tuer et bleser pour la fantaisie et oppiniastrete d'une homme.
Item est a noter que le quatriesme jour d'Octobre environ la minuit, les ennemis donnerent feu a une mine au terreplain d'Italie. Laquelle print espirail du coste même des ennemis, et ne feit point de mal a la muraille, mais tout le mal tumba sur eulx, et en tua et blesca bonne quantite.
Le sixiesme jour apres du même mois la fuste dessusdict frere Jean de Bresols qui avoit porte les deux Chevaliers pour denoncer aux Princes la venue de l'armee devant Rhodes arriva de nuit au port, et dit comme l'on preparoit fort les navires pour le secours, et que prestement ils viendroient, qui donna grand allegerie et joye a tous ceux de la ville. Car le secours estoit nostre derniere esperance, et a l’opposite les ennemis ne craignoient sinon que nous fussions secourus. Toutesfois notre esperance fut vaine comme l'on a veu depuis, et la joye fut bien tost convertie en douleur. Car peu de jours apres les ennemis prindrent la barbacane de la muraille d'Espaigne laquelle l'on avoit nectoyee qui fut le commencement de nostre ruyne, et fut prinse de la sorte que sera dict cy-apres.
Comment Mustafa Basha laissa l’armee, lui voyant que il nen pouoit venir au dessus, et par commandement du turcq se retira au grant caire. Et Achma Basha fut constitue en sa place pour estre capitaine general de l’armee, lequel ses forca a faire pis que devant.
Ledit Mustafa Basha failly quil eust a ces trois derniers assault voyant son malheureux sort sen partit du camp et sen alla avec quinze ou vingt voilles la volte de Surye. Party que fut Achmet Basha fut Capitaine et Chief de l'armee. Et si aulcuns se esmerveillent, comme le grand Turcq bailla ceste charge de Surye audit Mustafa, veu comme a este dit quil estoit tant mal content de lui et quil lavoit voulu faire mourir, je ne pense autre raison sinon pource que sa femme estoit feur de pere et de mere du grand Turcq. Et pour cela il lui portoit amour, et se fioit en lui plus que aux autres bashas. Et pour doubte que le pays de Surye ne se rebellast, il le voulut mander la, plus tost que une des autres. Achmet Basha pour estre homme diligent et entendu au fait de la guerre plus que nuls des autres capitaines continua tousjours les batteries contre le Bollouard d'Espaigne avec grosses bombardes qui estoient de pieca au bort du fosse, affin que apres avoir leve du tout les defences du Bollouard ses gens puissent passer seurement par le fosse et gaigner le pied de la muraille, car tout son pensement et esperance estoit en ce point, voyant que sans autre ouverture il ne povoit rien faire. A la fin lassidue batterie quil feist faire toutes les defences du Bollouard furent rompues et brisees, et seullement demourerent deux ou trois canoniers au bas contre lesquelles feur artillerie ne povoit tirer. Et pource que les ennemis aux assault passez montoient par la terre, et pierres tombees de la bresche d'Espaigne, aulcuns de nos gens furent davis de nettoyer la barbacane et fever laditte terre et pierres du fosse, affin quils ne puissent plus monter sus la muraille. Et fut regarde aussi que ladicte terre pourroit servir a faire les repaires dedans la ville. Pour conclusion pensant que cela ne povoit nuyre, mais prouffiter a toute diligence nuit et jour par mines ladicte barbacane fut nettoyee. Et encores partie de la terre qui estoit tombee de la bresche dedans le fosse fut levee, lesquelles choses furent occasion de la perte de ladicte barbacane, nonobstant cela a la fin ainsi quainsi ils prenoient. Car selon que jay dit les defences du Bollouard d'Espaigne estoient rompues, et les ennemis ne povoient estre battus sinon d'une ou de deux canonnieres du Bollouard d'Auvergne. Toutesfois incontinent quils veirent la barbacane necte ils voulurent par leurs tranchees entrer dedans. Mais ils furent aulcuns jours par nos escouppetteries empêchez, pource que leurs tranchees estoient descouvertes.
Et adoncques ils les couvrirent de tables, et feirent une mine davantage pour aller couvers dedans la barbacane, et pour se garantir et couvrir de la batterie du Bollouard d'Auvergne ils haulserent la terre quils avoient gettee dedans le fosse tant quils peurent du coste du Bollouard, et feist un mur assez espes pour renfort de ladicte terre, et pour estre assurez de tous les costez ils envoyerent une flote de gens qui estoupperent les cannonnieres de bas dudit Bollouard d'Espaigne qui estoient demources entieres comme jay dit. Et par ainsi facillement et sans paour de riens ils vindrent au-dessus de leur intention. Et de ceste maniere furent Seigneurs de la barbacane: et quant et quant du pied de la muraille, qui fut une journee mal fortunee pour nous et commencement de nostre perdition. Gaigne quils eurent ce, point ils ne dormirent pas: mais incontinent et en extreme diligence picquerent ladice muraille, et nous autres pensafmes aux remedes. Toutesfois le meilleur et plus expedient remede ne povoit avoir effect, pource que nous navions comme point de gens de guerre, Et qui les eust envoyez pour getter les ennemis hors de la barbacane cela ne povoit estre sans quil en demourast grand partie, avec ce le hazard de ne faire rien, mais estre repoussez. Parquoy l'on voulut garder si peu de bonnes gens quon avoit pour les derniers affaires, ayant esperance aux secours. Car aux assaults passez on en avoit perdu bonne quantite ou tuez ou blessez et des meilleurs. Et fut advise se on pourroit chasser les ennemis dudit lieu avec barils pleins de pouldre et avec engins et artifices de feu, ce qui fut fait, et de fait l'on en tua beaucoup et se trouverent bien estonnez. Toutesfois ce nestoit rien, car la multitude et quantite de gens de travail et autres estoit si grande quil ne challoit aux capitaines de en prendre cing cens ni mille. Car continuellement ils les changeoient et renouvelloient. Et pour se garder du feu quon leur gettoit de la muraille ils dresserent de nuit une tablat bien renforce le long de la muraille, et le couvrirent de cuyr de beuf, par ainsi l'on ne leur peust plus faire de mal desdictes artifices. Au dernier le capitaine frere Gabriel advisa quil ni avoit autre remede sinon de tailler la muraille par le dedans pour les veoir au descouvert, et puis les batre d'artillerie. Adoncques nos gens commencerent a tailler la muraille, et feirent des pertuis pour tirer de leurs escouppettes aux ennemis, lesquels aussi en feirent de leur coste. Et par lesdits pertuys nous tuerent et blesserent beaucoup de nos gens, et nous a eulx. Semblablement ledit frere Gabriel ordonna de faire un repaire par dedans, au fronc de la ou les ennemis tailloient, et les traverses d'une part et d'autre a trois estages pour mettre nos escouppettes. Et a ces traverses il y avoit grosse artillerie et moyenne. Et furent ces traverses une chose bien faite et qui feit grant meurtre des ennemis. Et a lune de ces traverses estoit le dessusdit capitaine Venitien avec ses gens et autres gens de la ville, et se porterent rous fort bien aux affaires qui advindrent. Ledit repaire estoit de la grandeur que les ennemis tailloient la muraille et davantage. Et commencoit a une massif que avoit fait faire le bon Seigneur et Grand Maistre frere Mery Damboyse, et alloit finir a une eglise nommee saint Saulveur laquelle les Grecs appelloient Ayos Sotiros. Les Turcqs donnerent nom a ce repaire la mendre: pource quil retiroit une peu a la mendre de bestial, et de ce lieu estoit capitaine frere Didier de Tollon dessus nomme Bailly de Monoasque. Toutesfois le tres-illustre Seigeur Grand Maistre estoit la continuellement: et le Grand Prieur de France frere Pierre de Cluys avec luy, pource quant a sa poste il ni avoit nuls affaires. Et le Bailly de Moree frere Mery Gombault dessus nomme et plusieurs autres Commandeurs et Chevaliers gens de bien deliberez de vivre et mourir tous a ladicte bresche.
Comment monsieur le Grand Maistre se voyant navoir du meilleur envoya frere Jean de Bresolz pour avancer le secours de Naples: et de messire Jean de Gesnaldo tue d’une coup d’artillerie: le mesme jour que fut faict chevalier de lordre.
Alors le tresprudent Seigneur voyant les ennemis tailler la muraille ne feist autre compte, sinon que en peu de temps ils seroient aux mains, et quils viendroient a plein pied combatre avec nous. Et pour ce manda sur une brigantin ledit frere Jean de Bresols pour faire. avancer le secours quon attendoit de Naples. Et partit le brigantin le dixiesme d'Octobre. Le lendemain unzieime dudit mois le capitaine frere Gabriel allant et venant incessamment en tous les lieux endommagez pour pourveoir a tout, se trouva au Bollouard d'Espaigne pour regarder si une traverse que il avoit fait faire estoit bien faite. Et mettant loeil par un pertuys pour regarder ce que povoient faire les ennemis vint un coup descouppette des trenchées qui lui creva loeil et faillit la Ballote par derriere foreille et fut en grand d'Angier de sa per-fonne, mais toutesfois la grace a Dieu il retourna en convalescence apres avoir este malade une mois et demi ou environ. Sa maladie vint mal a propos pour les grands affaires ou nous estions, et pour la necessite quon avoit d'une tel personnaige comme luy. Toutes fois le Seigneur de saint Gille non ignorant du fait de la guerre avec autres gens experts aussi, desquels ledit frere Gabriel en avoit amene aucune partie feirent parachever les repaires et traverses commencees au droit de la bresche et en tous autres lieux necessaires. Nonobstant d'heure en heure la pluspart estoient rompus et cassez par la grande et assidue batterie quils faisoient, et lescouppetterie estoit celle qui faisoit plus de mal que le surplus. Car il nestoit jour quils ne tuassent ou blessassent de nos gens de travail quinze ou vingt personnes esclaves ou autres gens.
Le douziesme jour dudit mois d'Octobre les ennemis vindrent deux ou trois heures devant le jour pour prendre demblee le Bollouard d'Angleterre. Toutesfois pour nos gens qui faisoient bon guet furent incontinent repoussez et sen retournerent confus. Ce même jour ils meirent le feu a une mine soubs ledit Bollouard, laquelle prenant espirail par les contremines ne feist nul mal. Ledi: jour le capitainede la carraque Genevoyfe estant a la poste d'Espaigne eut un coup descouppette a la machoere, et la Ballote demoura dedans sa machoere plus d'une mois et demi. Puis apres faillit dehors de soimêmes. Le jour ensuivant les ennemis de rechief donnerent le combat au BolIouard d'Angleterre, et dura la meslee deux heures, mais a l'aide de notre Seigneur, autant gaignerent ils audit combat comme aux autres passez. Et y demourerent de leur coste plus de six cens personnes selon quil nous fut rapporte. Des nostres aussi y en eut de tuez et blessez.
Le xiiii. dudit mois d'Octobre arriva une petit brigantin qui venoit de Candie, et estoit dessus frere Dondimas de Raquesins Chevalier Espaignol et une autre Valentien avec lui. Et Messire Jean de Gesualdo nepveu du bailly de saint Estienne (duquel avons ja parle) vint avec les autres, et estoit homme de l’age de vingt-cinq ans et gaillard de sa personne, lequel bientost apres sa venue requist au tres illustre Seigneur Grand Maistre lui faire donner la croix, ce que ledit Seigneur octroya: mais son adventure ne le voulut pas. Car ce même jour lalarme sonna a la poste d'Espaigne. Et lui d'une bon vouloir et ardent couraige: voulant se trouver des premiers au combat. Non adverty de la façon de tirer des ennemis de lescouppetterie favanca et se moustra soy confiant a ces armes. Car il estoit fort bien arme, et en une mouvement fut attaint par la teste et tumba mort, qui fut une grand dommaige de perdre ce jeune homme de si bon vouloir, et fi-tost, car cestoit la premiere ou seconde foys quil avoit porte armes en bataille.
La nuit ensuivant a la seconde garde une barque d'une chateau dit le Lindo en Lisle de Rhodes arriva au port: laquelle apporta vingt hommes dudit lieu et quatre canoniers qui venoient de Candie, et descendirent en une place de l'autre coste nommee Monolito, et par terre traverserent audit Lindo lesquels furent les biens venus. Car l'on avoit bien affaire de tels personnaiges pour la perte quon avoit fait de plusieurs autres aux assaults passez.
Le xvi. dudit mois d'Octobre, arriva au port le brigantin du chateau saint Pierre, et frere Robert de Roque Martine Lieutenant du Capitaine dudit chateau estoit dedans, et vint pour scavoir des nouvelles et en quels termes nous estions, le tres-illustre Seigneur Grand Maistre voyant la necessite quil avoit de gens: en especial de tels personnaiges que ledit lieutenant de bonne disposition, et de bon scavoir le retint, nonobstant dix ou douze jours apres, ledit Seigneur le renvoya avec deux brigantins pour apporter des Chevaliers et compaignons de la garnifon dudit chateau pour renfort de la ville, et aussi pour apporter monitions, car il ni en avoit quasi plus.
Le dix-septiesme dudit mois, une homme de la fuste frere Baptiste du Broc tua d'une coup descouppette une Turcq personne dapparence, lequel estoit dedans la barbacane d'Espaigne. Et faisoit besongner les gens de travail, et mort qui fut lemporterent aux tranchees avec grand rumeur et complainte. Et nous fut rapporte du camp quil estoit parent du capitaine Acmet Basha, cy-devant nomme. Adonc incontinent une bonne quantite de Turcqs vint dedans le fosse pour veoir comme l'autre avoit este tue, cuydans que nos gens eussent fait quelque faillie sur ceux qui tailloient la muraille, desquels en fut tué bonne quantite de nostre artillerie, et puis se retirerent en leur tranchees.
Comment les ennemys meistent le feu a une myne estant dessouz la muraille: puis a force d’artillerie la misrent a bas: et par ce moyen pouoient entrer dedans la ville.
Par le grand nombre des gens de travail que lesdits ennemis avoient d'heure en heure rafreschis, et renouvellez, en peu de temps ils eurent taille la muraille et appontellee. Et le vingtiesme jour d'Octobre: ils meisrent le feu aux pontals, cuydant la mettre a bas: toutesfois ils ni feirent rien.
Apres cela, voulurent tirer ladicte muraille a bas par grosses cordes. avec organes. Mais une coup d'artillerie qui fut tire d'une tour de la poste d'Auvergne de laquelle estoit capitaine frere Jean de Fournon. Lequel feist fort bien son debvoir durant le siege, rompit leurs cordes et ne feirent riens. A la fin ils feirent une mine qui alloit soubs ladicte muraille rompue. Et le xxiii jour dudit mois donnerent feu a ceste mine, pensant quelle emmenast la muraille a terre, mes ladicte mine ne fit autre chose, sinon que faire assoer la muraille en pendant du coste des ennemis qui fut plus a leur desavantaige que a nostre dommaige. Adonc tirerent artillerie contre ladicte muraille, quelle en peu de jours fut abbatue. Et eurent chemin et ouverture dentrer dedans la ville. Neantmoins ils ne essayerent de y entrer pour lors. Car l'artillerie de nos repaires les battoit par fronc, et aussi l'artillerie assise aux deux moullins de la porte du Cosquino. Cestassavoir une Basilique, un double canon, et une couleuvrine. Lesquelles pieces regardoient droit a la bresche. Les ennemis voyant cela chercherent autre moyen. Et se meisrent a lever la terre qui estoit entre les deux murailles en tirant vers Angleterre d'une coste, et vers Auvergne de l'autre, et vouloient tailler la muraille de dedans plus avant que nestoient les repaires pour avoir autre entree dedans la ville: et evader nos repaires. Adonc l'on feit croistre et agrandir nosdicts repaires, avec ce quon tailla la muraille du hault a bas dix ou douze pieds en large, Affin que les ennemis ne puissent courir le long de nostre muraille. Adonc les ennemis feirent des pertuis a la muraille de dedans par ou ils tuerent et blesserent beaucoup de nos gens. Et se meisrent a tirerent de grosse artillerie contre nos repaires, alors freret Boniface Dallues patron de gallee. Et frere Baptiste du Broc qui estoient aux repaires pour faire besongner les gens, furent atteints d'une coup de bombarde, ledit Boniface eut la cuisse rompue, et l'autre la jambe qui fut le vingtiesme d'Octobre. La nuit dapres arriva une barque du Lindo laquelle apporta douze compaignons, et amenerent avec eux deux bons Maistres de faire mines qui venoient du camp, et festoient retirez audit Lindo. Pareillement les ennemis feirent des trenchees pour entrer et venir couvers jusques a nos repaires. Ces choses faites de jour en jour, et d'heure en heure attendions l'assault audit lieu. Le tres-illustre Seigneur Grand Maistre comme a este dict, estoit derriere les repaires avec ses Chevaliers et gens de secours prest et appareille de bien recepvoir ses ennemis. Et demoura ledit Seigneur trente-quatre jours a ladite bresche comptant depuis le jour quelle fut commencee jusques a la fin et combatant tous les jours avec les ennemis en grand d'Angier de sa personne. Car bien souvent le bon Seigneur se mettoit plus avant que besoin nestoit pour limportance de sa personne. Mais il le faisoit pour donner cueur et bon vouloira tous ses gens de se deffendre. Et mourir pour la soy catholique.
Les ennemis nonobstant quils eussent si grand advantaige contre nous estoient tousjours par le voulloir divin en peur et en doubte, et nosoient donner assault, mais continuellement tiroient artillerie contre nosdits repaires, et par trenchees couvertes entroient avant dedans, lescouppetterie navoit jamais cesse ni repos: enforte quils tuoient tous nos gens, principallement ceux qui faisoient les repaires. Et nous misrent en telle extremite que nous navions plus ni esclaux ni autres gens de traveil pour radresser ce quil rumpoient jour et nuit, qui a este une des principalles occasions de nostre perdition. Et si nous avions des affaires audit lieu, il nen y avoit pas moyns a la poste de Provence et au terreplain d'Italie. Car journellement ils donnoient assault ou escarmouches, et principalement audit terreplain. Toutesfois a l'aide de nostre Seigneur, et par la bonne conduite du capitaine de secours dudit lieu, le prieur de Navarre qui estoit prompt et diligent et scavoit bien donner couraige à ses gens, les ennemis avoient tousjours du pire. Et furent repoussez dudit terreplain et de la bresche de Provence.
Comment le serviteur de frere Andry d’Emerail fut prins par suspicion de la trahison dudit Emerail apperceue: du tesmoignage a lencontre veux. Et de la punition quen fut faicte: et comment mourut lesdit Emerail en sa mauldicte trahison.
Sur ces termes la trahison de frere Andre d'Emerail fut apperceue le xxx. jour d'Octobre par la confession d'une de ses serviteurs nomme Blas Diez, lequel aulcuns jours paravant l'on avoit veu aller seul a heure incompetente: et par plusieurs fois au Bollouard d'Auvergne portant une arc, ou quelquefois arbaleste, aulcuns de ceux de la garde voyans tant dallees et devenues eurent suspition sur lui de quelque mauvais vouloir. Toutesfois a l'occasion de son Maistre quil aimoit bien, pource quil scavoit son affaire et son mauldit vouloir personne nen parla pour quelque temps. Toutesfois voyant quil perseveroit quelquun de ceux dudit Bollouard en vint advertir le tres-illustre Seigneur Grand Maistre, lequel incontinent commanda que on le monast a la Castellanie: la ou il fut examine par les juges, mais de prime face ne voulut rien dire. Alors pour lesdits indices quon avoit de lui et de ses facons de faire fut mis a la gehenne, allors il confessa la trahison de son Maistre, disant quil avoit escript et tire plusieurs lettres au camp des ennemis par son commandement, et comme son Maistre avoit grande intelligence avec les Bashas du Turcq. Et quil leur avoit escript une lettre depuis le grand assault de Septembre, les enhortant de non partir, mais de donner autres assaults. Car a la fin ils gaigneroient la ville, veu que les gens de guerre et munitions venoient a faillir. Plusieurs autres choses dist ce serviteur de son Maistre desquelles au commencement du livre avons parle. Lesquelles choses par lui confessees ledit Seigneur Grand Maistre feist prendre ledit d'Emerail et mener a la tour saint Nicolas. Et selon la bonne coustume ordonna deux Seigneurs de la grande Croix pour l’examiner avec les juges de la Castellanie. Mais ledit traistre pour quelque tourment que on lui feist ne voulut rien confesser. Adonc on lui mist en barbe son serviteur, lequel il ne refusa point et escouta bien sa déposition, et de ce quil le chargeoit, lui faisant souvenir des choses quil avoit fait par son commandement. Toutesfois il renia tout et dist seullement quil estoit une velliaco. c'est a dire villain en Espaignol. Pour conclusion ouye la deposition dudit serviteur avec plusieurs indices mauvais quon avoit eu de lui pour plusieurs et deshonnestes parolles quil avoit dictes assez de fois avant et durant le siege desquelles avons parle par cy-devant, entre les autres celles quil avoit dictes a une Commandeur Espaignol dedans l'eglise de saint Jean: le jour de l’election du Grand Maistre qui est a present, selon que au commencement de ce livre a este parle. Lequel Commandeur fut examine par la justice pour scavoir fil estoit vray ou non. Lequel Commandeur respondit que ouy. Et apres survint la deposition du Chappellain Grec, homme de bonne vie. Lequel une jour entre les autres sen alloit a sa fantaisie comme sont les gents en tels affaires pour veoir ce qui se fait et qui se dit par tout, et entra au Bollouard d'Auvergne, et passa par la barbacane, et trouva ledit Merail et son serviteur tous deux seullets, et veit que le serviteur avoit son arbaleste bendee et le traict dessus avec une petit papier lie au meillieu du traict. Et le maistre regardoit par les canonieres de la barbacane dedans le fosse, incontinent que le Chappellain fut entre, ledit Merail lapperceut et sapprocha de son serviteur et demanda au prestre quil vouloit. Le bon homme voyant ledit Seigneur estre mal content ne respondit rien, et sen alla. Et de c'est affaire nen parla point pour lors, car cestoit quelque temps avant que on apperceust ceste faulsete. Au dernier que la chose vint a estre descouverte lui entendant la confession dudit serviteur declaira a quelque une ce quil avoit veu et trouve a la barbacane. Adonc ledit Chappellain fut appelle par la justice et presente audit serviteur, linterrogant si ce que ledit Chappellain disoit estoit vray. Et fil avoit veu et trouve son maistre et lui dedans la barbacane a une tel jour, il respondit quil estoit ainsi. Et dist ledit serviteur que a ceste heure il tira une lettre au camp. La justice sist le proces de l'une et de l'autre, et furent tous deux condamnez davoir les testes trenchees comme traitres. Et puis apres estre mis en quatre quartiers. Et fut execute le serviteur le premier le sixiesme jour de Novembre, lequel mourut bon Chrestien ce que l'on ne pensoit pas, pource quil estoit Juif baptise. Puis apres on leva la croix audit Merail avec les cerimonies acoustumees destre faites aux malfaiteurs qui perdent l'habit, et puis apres fut mene par la Justice au lieu ou estoit son eschaussault pres de la croix de la padelle, et audit lieu fut execute le huitième jour dudit mois. Lequel ne demandą pardon a Dieu ni a homme vivant ne ne voulut regarder limage de la glorieuse Vierge Marie, laquelle on lui presentoit. Et en ce mauldit et diabolicque vouloir sans repentance fina ses jours le malheureux traistre, duquel la trahison je croy avoir este plus grande que celle de Judas: pour les maux qui en sont venus et viendront. Car la trahison de Judas a la fin redonda a bien et a la salvation du genre humain, mais ceste ci a este l'occasion principalle de la perte de Rhodes. Et si Dieu ni met remede sera la perdition de toutes les illes de levant pource que infinies ames de Chrestiens feront prinses et mises hors de la soy Chrestienne, et reduictes a la loy du faux Mahommet.
Comment apres que la plus part de la muraille fut abatue: le Grand Maistre feit abatre une partie des eglises nostre dame de la victoire et saint Panthaleon pour illec faire aucune repaires.
Mais pour retourner au terreplain d'Italie apres plusieurs combats et assault donnez audit lieu par continue batterie quils feirent de dixsept pieces grosses qui battoient le terreplain, les repaires et traverses furent toutes rompues et brisees, et par tranchee les ennemis estoient venus joingnant de la bresche et incessamment grattoient la terre pour faire tumber les repaires et traverses. Et a la fin la plus grand part vint abas. Et arent nos gents contrainêts dabandonner ledit terreplain reserve un canton qui estoit vers la marine, qui povoit estre la tierce part, quelques jours aussi paravant, les ennemis estoient venus par tranchees au pied dudit terreplain environ le millieu, et taillerent la muraille de la ville. Et pour quelque resistence que on leur peust faire commencerent incontinent a piquer et tailler comme en Espaigne. Quoy voyant le tres-illustre Seigneur Grand Maistre feist incontinent abattre une partie de l'eglise de nostre Dame de la Victoire et d'une autre Eglise de grecs dicte saint Panthaleon, et par dedens commencerent a faire les repaires et traverses comme au susdit lieu d'Espaigne, a quoy on faisoit extreme diligence, mais non pas telle que ledit Seigneur eust voulu et quil estoit besoin, pource quon ne avoit point de gens de travail ainsi que a este dit. Et ne trouvoiton plus bois ne tables qui vaillissent pour ledit affaire.
Pareillement les ennemis au Bollouard d'Angleterre avoient gratte la terre par dessoubs les repaires pour les faire tumber, et apres gaigner le Bollouard. Et de fait la plusgrande part des repaires tumba: et gaignerent quasi la moitie du Bollouard. Et furent aulcuns davis de l’abandonner, et de mettre soubs terre audit Bollouard certains. artifices de feu et de pouldre bien cachee et couverte, pour brusler les ennemis quant ils entreroient dedans, laquelle chose avoit este faite les jours paravant. Toutesfois a la fin fut regarde encore que lesdits artifices tueroient bonne quantite des ennemis. Mais pour cela ils ne seroient point vaincus, et seroit seullement une nombre de gents perdus: de quoy les capitaines ne se soucient guerre pour la multitude quils en avoient. Et estoit chose claire que perdant le Bollouard les ennemis facillement et a leur plaisir venoient non seullement au pied du mur, mais jusques a la porte de la ville. Parquoy la conclusion fut que on tiendroit ledit Bollouard jusques au bout. Un peu de jours paravant y avoit este mis pour chief et capitaine par le tres reverend Seigneur Grand Maistre frere Jean du Bin dit Malicorne, pource que le bailly de la Moree qui lavoit en garde depuis le jour du grand assault voulut suivre ledit Seigneur et aller a la bresche d'Espaigne, lequel Malicorne la tint jusques a ce que la ville fut rendue.
Le neufiesme jour de Novembre le dessusdit Roque Martin Lieutenant du chateau saint Pierre retourna avec deux brigantins, et mena avec lui douze Chevaliers et environ cent compaignons de guerre: et apporta des munitions aussi.
Le quatorziesme dudit mois, les Turcqs apres ce quils eurent taille la muraille vieille par dehors, et apres avoir leve la terre qui estoit au millieu de ladicte muraille neufve et la vieille, se meisrent a tailler ladicte muraille neufve, et a tirer grosses bombardes pour la rompre a lendroit de nos repaires et traverses. Et de fait en peu de temps Îa meisrent abas. Alors les ennemis navoient plus rien au devant, et povoient facillement et a leur plaisir entrer dedans la ville. Toutesfois ils differerent et comme gens de guerre faisoient leurs choses avec le poys de la raison. Et attitrerent premierement six pieces d'artillerie pour battre nos repaires par fronc, et les traverses par coste qui nous feict grand dommaige et nous affoiblit fort, car l'on ne povoit bonnement redresser ni ressaire les repaires pour lassidue batterie quils faisoient, et aussi pour lescoupetterie qui jamais navoit cesse ni repos et affolloit tous nos gens. Puis apres feirent des trenchees couvertes de tables enforte que on ne les povoit veoir a descouvert ou bien peu et en ceste facon vindrent joignant de nos repaires, et grattant la terre par dessoubs les faisoient tomber. Et nous en dedans en faisions d'autres en recullant. Et pareillement feismes des trenchees par fronc et par les costez pour leur aller au devant. Et estions en tels termes quil ni avoit que les tables entre nous et eulx, et auoient desia dresse deux ou trois pavillons dedans la ville au pres de nos repaires. Ledit jour quant il fut nuit une brigantin partit par ordonnance dudit Seigneur pour aller en Candye pour voir si l'on pourroit avoir quelques gens secrettement pour secourir la ville: et aussi pour faire venir une barche et une gallion chargez de victuailles lesquels estoient pieca en Candye pour venir en Rhodes. Et fut envoye pour c'est affaire frere Nicole Farsan Anglois homme de bon esperit et de bon scavoir. Avec lui partit frere Mery Desreaulx pour aller a Naples faire avancer le secours, lequel pour la diverfite du temps, et pour l'occasion de lyver ne povoit venir et attendoit le bon temps. Et de la ledit Desreaulx suivant sa commission sen alla en France.
Le quinziesme dudit mois deux barques vindrent dedans le port et apporterent douze Chevaliers et douze compaignons lesquels estoient allez aux forteresses de Lisle de Rhodes paravant le siege pour la garde et tuition dicelles. Sur lesquelles barques furent apportees une peu de munitions de guerre.
Le seiziesme dudit mois partit de Rhodes une autre brigantin et une Chevalier dessus nomme frere Caumont Provencal pour aller au Lango pour apporter gens et munitions, ce quil feist. Et pour abbreger plusieurs barques et brigantins allerent et vindrent desdits chateaulx saint Pierre et le Lango et aussi de ceux de Rhodes pour apporter gens et munitions. Et estoit force quils feissent plusieurs voyages, pource que tels navires estoyent petits et que cestoit en yver. Toutesfois ils apporterent tant de toutes les places dessusdictes que rien ou bien peu y demoura, car ledit Seigneur vouloit garder la teste en esperance apres de saulver les membres. Mais tout faillit a la fin au besoin. Ledit jour une Biscayn entra dedens la ville venant du camp des ennemis qui estoit homme assez entendu, et dist beaucoup de nouvelles.
Comment la veille saint Andry: les ennemys baillerent plus fort assault que devant: entrerent dedans les repaires: de la grosse pluye qui cheut durant ledit combat: le nombre de turcqs tuez: et de la victoire sut eulx gaignee.
Le vingt-deuxiesme dudit mois, les ennemis donnerent un assault au terreplain d'Italye. Et dura le combat quelque deux heures, la ou mourut des ennemis quatre ou cinq cens. Et des nostres pareillement. eut de tuez et blessez beaucoup.
Le vingt-huitième, les ennemis meirent feu a une mine au terres plain d'Espaigne, laquelle abbatit une peu de la muraille. Et ne feist autre chose: ledit jour et toute la nuit les ennemis ne cesserent de tirer grosse artillerie, tant du bord des fossez de ces grosses pieces tirant les pierres de neuf à onze palmes de grosseur, que des mantellets de dehors. Et par compte fait tirerent ledit jour et la nuit cent cinquante coups ou plus contre lesdits repaires et traverses de la muraille.
Et venu le vingt-neufiesme jour dudit mois vigille saint Andre au point du jour les ennemis marcherent avec leurs enseignes, avec plus grand nombre quils navoint acoustume, et par la bresche entrerent dedans nos repaires et furieusement vindrent pour les gaigner. Mais entrez quils furent l'artillerie et escouppeterie des traverses, et aussi celle des moullins du Cosquino les trouva si bien et si foubdain que ceux qui entrerent furent incontinent depeschez et mys par terre. Les autres qui venoint apres voyans leurs compaignons si tost dessaits et tuez comme gens estonnez et perdus, sen tournerent arriere vers les tranchees. Auquel ladicte artillerie des moullins tiroit vigorieusement, et en tua grande quantite. D'autre part est a noter que durant ce combat la pluie fut si grande et si furieuse quelle abaissa la terre que les ennemis avoient gettee au fosse pour se couvrir de la batterie d'Auvergne comme a este dit. Adonc l'artillerie dudit Bollouard les trouva un peu a descouvert, et en tua bonne quantite a ceste retraicte. Et par raport qui nous fut fait du camp, il y demoura audit assault trois mille ou plus. Laquelle journee se peut dire tres-heureuse, et tres-fortunee pour nous, grace a Dieu. Car nully ne pensoit ce jour la eschapper, mais tous mourir et perdre la vie. Toutesfois le vouloir divin par sa grace et misericorde le voulut autrement, et furent les ennemis dechassez et vaincus.
Ledit jour aussi les ennemis vindrent donner l'assault au terreplain d’Italye. Lesquels furent bien receus, mais quand ils entendirent que a la bresche d'Espaigne leurs compaignons avoient este repoussez si vivement, et quils festoient retirez avec grande perte de gens: voyans aussi le mauvais temps sen retournerent a leurs tranchees sans faire autre chose. Ladicte journee gaignee Acmet Basha voyant les choses aller de pis en pis aux combats. Et quil ne faisoit que perdre gens sans rien faire, faichant aussi quil ni avoit plus personne qui en voulust menger, delibera de ne donner plus dassault, mais suivre ses tranchees. Et par icelles venir a couvert sans perdre un homme depuys ladicte bresche jusques a l'autre bout de la ville. Pareillement delibera de gaigner le terreplain d'auprès d'Espaigne pour venir apres a plaisir au pied de la muraille d'Angleterre, et commenca a battre ledit terreplain, et a donner plusieurs escarmouches et combats a nos gens qui le gardoient, et furent tuez audit lieu des gens de bien, et a la fin pour non avoir plus de defences ni pouvoir faire repaires ledit terreplain fut par nos gens habandonne en la sorte que sera dit ci apres.
Comment une geneuoys estant au camp des ennemys vint parlementer aux Rhodiens leur enhortant de rendre la ville: et de la responce qui lui fut faicte: des lettres quil avoit adressantes a Matthieu de via.
Le premier de Decembre au matin les ennemis feirent une escarmouche au terreplain d'Espaigne dedans le fosse la ou se trouva le capitaine Venitien avec aulcuns de ses gens, lequel tua d'une picque quil portoit une Genissaire, mais bien tost apres sa picque fut taillee d'une coup de cymeterre. Adonc ledit capitaine fut blesse au genouil d'une coup de cymeterre, et a la fin ils sen retournerent sans faire autre chose.
Durant ce temps, et que nous estions en si mauvais termes, une Chrestien qui estoit au camp, lequel selon son parler estoit Genevoys ou de Cyou vint a la poste d'Auvergne, et demanda parlement. I fut interrogue quil vouloit, et dist quil se esbahissoit de nous autres pourquoy nous ne nous rendions, voyant les piteux termes en quoy estoit la ville. Et lui comme hrestien nous conseilloit de nous rendre avec quelque party, et que se on vouloit entendre quil trouveroit expedient que on seroit quelque chose. Et est de croire quil ne disoit pas telles parolles ne parloit si avant des matieres quil ne eust commission de quelque une des principaux du camp ou du grand Turcq même. Les ennemis aussi paravant avoient gecte dedans la ville plusieurs lettres enhortant le peuple de rendre la ville, et leur promettoient tous plains de belles choses, et tant de liberte que merveilles. Et d'autre part ils les menassoient du mal traictement que on leur seroit se ils ne se rendoient. Auquel Genevoys fut respondu quil sen allast en mal heure, et que dappointement il ne failloit point parler, encore que les ennemis eussent grand avantaige, car il y: avoit dedans la ville avec l'aide de Dieu: de quoy les recevoir et bien festoyer fils donnoient autres assault. Ces parolles ouyes il sen alla, et deux jours apres il retourna, et demanda de povoir parler a une marchant Genevoys de la ville nomme Mathieu de Via, et dist quil avoit des lettres pour lui qui disoient de bonnes nouvelles. Auquel fut respondu que celluy quil demandoit estoit malade et quil ne povoit venir, mais quil donnast les lettres et on les lui balleroit. Ledit Genevoys respondit que non, et qui les vouloit bailler lui même et parler a luy, dist en apres ledit Genevoys quil avoit une lettre du grand Turcq pour le Grand Maistre, sur cela lui fut dit quil sen allait: et pour lavancer daller on lui tira une coup d'artillerie.
Comment apres ledit geneuoys retourne: vint une albanyti: avec lettres envoyees de par le grand turcq au seigneur Grand Maistre, et du peuple de la ville qui se commencoita estonner: du conseil assemble pour y remedier: et de la responce et constance dudit Grand Maistre.
Une jour ou deux apres Lalbanity qui sen estoit fouy au camp par la bresche d'Espaigne vint depart dudit Genevoys proposant telles ou semblables parolles que lui avoit fait, disant pareillement que le grand Turcq mandoit des lettres au Grand Maistre. Auquel on ne feist point de responce, pource que le tres-illustre Seigneur Grand Maistre, comme saige et prudent, considerant que ville qui parlemente est a demi perdue, avoit fait deffendre sus peine de la vie que personne du monde ne fust si hardy de parler ne respondre a ceux du camp, sans son sceu et commandement. Toutesfois il estoit adverty des parolles du Genevoys, et pareillement de celles de Lalbanity. Lesquelles parolles divulguees par la ville, meirent en pensement beaucoup de gens et en voulente de faire ce que disoient les dessusdits dequoy nest de merveilles ou il y a populaire, car voulentiers et le plus souvent ils regardent plus a saulver leurs vies et de leurs enfans quils ne regardent a l'honneur et au surplus. Toutesfois personne nosoit encore parler en publicq de c'est affaire, mais en secret, et vindrent aulcuns de la ville dire leur couraige a leur prelat qui s’appelle Metropoliti: et a daulcuns Seigneurs de la grande croix pour en parler au tres-illustre Seigneur Grand Maistre. Lesquels lui en parlerent lenhortant quil seroit bon de y penser veu que la ville sen alloit perdue. Ausquels ledit Seigneur respondit et remonstra beaucoup de choses pour son honneur et de la religion. Et que telle chose ne se debvoit faire ni penser pour rien du monde, mais plustost lui et eux mourir. Ouye ceile reiponce ledit Metropoliti et autres Seigneurs sen allerent, et une autre jour retournerent vers ledit Seigneur l'advisant de rechief quil pensast bien a toutes choses, et a la salvation de sa ville et de sa Religion, et dirent d'avantaige quils se doubtoient que le peuple vouloit plutost appointement que de mourir eux et leurs femmes et enfans, et que le d'Anger estoit quils ne feissent laccord sans luy. Le tres-illustre Seigneur voyant que telles parolles estoient de mauvaise digestion, comme disant. Se tu ne le fais nous le ferons. Comme saige et prudent, et voulant remedier aux affaires par Conseil, feist appeller les Seigneurs de son Conseil pour adviser en c'est affaire, et assemblez que furent les Seigneurs, le tres reverend Seigneur proposa les parolles quon lui avoit denoncees et dist lapart daulcuns de la ville. Et sur ces termes que ledit Seigneur estoit pour consulter de c'est affaire: deux ou trois des principaux marchans et citadins de la ville, vindrent frapper a la porte du Conseil: et presenterent une requeste audit Seigneur et Seigneurs, par laquelle ils requeroient et supplioient humblement au tres reverend Seigneur vouloir avoir regard a eux et a leurs poures mesnaiges, et de vouloir faire aulcun appointement avec le grand Turcq, veu que les choses estoient desia en propos et en avant, et quil lui pleust considerer les piteux termes en quoy estoit la ville, et quil ni avoit remede de la saulver, et a tout le moins si ledit Seigneur ne vouloit faire appointement, quil leur donnast conge denvoyer hors de Rhodes leurs femmes et enfans pour les saulver. Car ils ne vouloient point quils fussent tuez ni prins esclaux des ennemis. Et la conclusion de ladicte requeste estoit que si ledict Seigneur ni pourvoyoit que eux mêmes seroient contraines dy pourveoir. Et estoient escripts dedans ladicte lettre huit ou dix des plus apparens de la ville. Lesquelles parolles de ladicte requeste ouye ledit Seigneur et Seigneurs du conseil furent esbahis et mal contens comme la raison vouloit veu que cestoit jeu force. Et penserent a beaucoup de choses pour faire responce ausdits citadins pour les contenter, et aussi pour veoir se on debvoit faire appointement selon que les dessusdits requeroient et selon que le Genevoys avoit rapporte.
Comment monsieur de saint Gille et le capitaine frere Gabriel furent interroguez sur le faict de la ville: tant des munitions que des gens de guerre de leur opinion et responce. et de la conclusion des citadine: et communaulte de la ville.
Et pour mieux faire ladicte responce, et pour scavoir plus au vray en quels termes estoit la ville de toutes choses. Tant de munitions que de gens de guerre, et touchant les batteries aussi, Monsieur de saint Gille lequel avoit la charge des munitions, et le capitaine frere Gabriel pour estre expert de la guerre comme a este dit, et comme celluy qui scavoit si la ville pouvoit tenir ou non, et fil y avoit expedient pour la saulver furent interroguez. Ledit Seigneur de saint Gille se leva et dist sur son honneur et sur sa conscience, que les esclaux et gens de travail estoient quasi tous morts ou blessez, et que a grant peine il y avoit gens pour remuer une piece d'artillerie d'une lieu a autre, et quil estoit impossible sans gens de plus reffaire ni dresser les repaires: lesquels tous les jours estoient rompus et fracassez pour la grande et furieuse batterie des ennemis. Quant aux munitions ledit Seigneur dist que tout ce qui estoit dedans la ville estoit longtemps ja consumez: et que celle que on avoit apporte de dehors il nen y avoit pas a grant peine pour respondre et fournir a un assault: et voyant le grand advantaige des ennemis et quils estoient si avant dedans la ville sans les povoir chasser ni reculler, il estoit doppinion que la ville estoit perdue, et quil ni avoit moyen de la saulver. Les parolles dudit Seigneur finies ledit capitaine frere Gabriel pour sa descharge dist et declaira au tres reverend Seigneur et Seigneurs du Conseil, que veu et considere les grandes batteries que avoit souffert la ville, apres voyant la bresche si grande et que desia les ennemis estoient dedans la ville par leurs tranchees plus de cent pieds en long, et en travers lxx. ou plus. Voyant aussi que en deux autres lieux ils picquoient la muraille, et que la plus part des des gens de guerre comme Chevaliers et autres estoient morts ou blessez, et munitions faillies, et gens de travail venus au moins, quil estoit impossible de y pouvoir plus resister, et que sans nulle doubte la ville estoit prinse, fil ne venoit puissance pour lever le camp, lesquelles opinions et raisons de ces deux gens de bien et experts des affaires de guerre par tres-illustre Seigneur et Seigneurs du Conseil entendues, furent davys d'accepter et prendre party se on le presentoit pour la salvation du peuple et des saintes reliques de l'eglise, comme la Vraye-Croix, la sainte Espine, la main de saint Jean Baptiste et partie du Chief, le corps sainte Eussemie et plusieurs autres sacrees reliques. Toutesfois ledit Seigneur Grand Maistre a qui l'affaire touchoit de pres: ayant plus de regret que nul autre (comme la raison le vouloit) pour estre chief de la Religion, estoit toujours ferme en son premier propos de vouloir plustost mourir que consentir a telles choses, et dist de rechief aux Seigneurs du Conseil quils advisassent et pensassent bien a toutes choses et aux fins dicelles en leur proposant deux points, cestassavoir lequel valloit mieux pour nous, ou de mourir tous, ou de saulver le peuple et lesdictes reliques, lesquels deux points et doubtes furent longuement debatus, et le pro et le contra, et y eut diverses opinions. Neanmoins a la fin tous conclurent et dirent, non obstant que ce fust bien et saintement fait de mourir pour la soy et plus d'honneur quant a nous autres. Toutesfois veu et considere quil ni avoit aulcun remede de plus resister aux ennemis, ni moyen de povoir saulver la ville, et que le mal ne povoit tumber seullement sur nous autres de la Religion, et d'autre part que le grand Turcq ne nous pressoit point de regnier la foy, mais seullement demandoit la ville qui valloit mieux et redondoit a plus grand bien, et seroit chose plus agreable a Dieu de prendre party, pour saulver tant de menu peuple comme femmes et petits enfans destre mis les uns en pieces, les autres prins pour les faire regnier la soy avec innumerables et autres violences et enormes pechez qui seroient faits et commis si la ville estoit mise a sac, comme fut fait a Modon et freschement a Belgrade que de mourir eux et nous comme gens desesperez. Ayant aussi esperance de saulver les dessusdits precieux joyaux de l'eglise, lesquels venans aux mains de ces faux mastins seroient maculez et perdus. Et oultre cela que la Religion seroit tousjours en estre pour faire quelque bien, et pour venger loutraige quon lui avoit fait avec le temps.
Du parlement demande que a faict le grand turcq au tres-illustre seigneur Grand Maistre et citadins de Rhodes, et du traicte et composition qui leur a voulu faire.
Sur ces termes et parolles la divine clemence (Que falvat sperantes in fe) et que ne vouloit que tant de maux et cruaultez veinfent sur la poure ville et habitans dicelle, pour garder aussi que ledit grand Turcq ne montast en trop grande superbe et gloire: lui meist en voulente de chercher davoir ladicte ville avec party. Ce quil ne debvoit faire pour son honneur ni pour raison, car la ville estoit sienne ainsi que ainsi, ni debvoit nous laisser aller, veu que nous estions ses ennemis mortels de tousjours et ferions encore pour l'advenir. Considerant aussi le grand nombre de gens quon lui avoit tue en ce siege. Toutesfois Dieu a voulu quil nous demandast party. Et ne fault point dire ne croire que autre chose lait fait, sinon la divine clemence pour aulcuns fins a nous ignorez. Et pour conclusion ledit grand Turcq feist demander parlement le dixiesme de Decembre, et feilt mettre sur une Eglise hors la ville nommee les Lymonitres une enseigne a laquelle on feist responce d'une autre enseigne qui fut mise aux moulins de la porte du Cosquino. Incontinent apres deux Turcqs saillirent des tranchees et vindrent droit a ladicte porte pour avoir parlement. Et alors furent envoyez par le tres reverend Seigneur Grand Maistre monsieur de saint Gille et le capitaine frere Gabriel: pour scavoir que vouloient ceux qui estoient venus pour parler, et sortirent dehors lesdits deux Seigneurs, et sans tenir grand propos les deux Turcqs qui estoient venus donnerent une lettre aux dessusdits Seigneurs pour lapporter audit Seigneur Grand Maistre de la part du grand Turcq. Puis sen retournerent seurement en leurs tentes. Ladicte lettre receue, fut presentee au tres reverend Seigneur lequel la feist lire aux Seigneurs de son Conseil. Par laquelle lettre le grand Turcq lui mandoit que on lui rendist la ville. Et en ce faisant il estoit content de le laisser aller lui et tous ses Chevaliers et autres gens de quelques conditions quils fussent avec leurs biens et bagues saulvez, sans avoir paour ni doubte davoir mal ni desplaisir de son armee. Et ainsi le juroit et promettoit sur sa foy, et estoit la signature en lettre dor. Et dit apres que si ledit Seigneur Grand Maistre ne vouloit ce party que nully de quelconque sorte quil fust, pensast eschapper, mais que tous jusques aux chats passeroient par le fil de lespee, et manda que on lui feist responce incontinent, ou si, ou non.
De la deliberation faicte sur le contenu des lettres du grand turcq, et du conseil tenu par seize des plus anciens de la Religion: de frere Anthoine de Grolles, et messire Robert de Peruciis ordonnez pour rendre responce audit grand turcq et des trefues baillees pour trois jours
Apres avoir veu le contenu de la lettre de si grande importance et le temps si brief pour faire responce a si grosse et amere demande le tres illustre Seigneur Grand Maistre fut en grand pensement, et aussi tous les Seigneurs de son Conseil. Toutesfois ils delibererent de respondre, et voyant les choses de la ville aller si mal que plus ne povoient estre, et le raport desdits deux Seigneurs, et comme chascun povoient bien veoir, quil ni avoit dedens la ville mille cinq cens hommes pour faire resistence contre les ennemis, lesquels avec cela estoient rompus et lassez de la peine enduree par l’espace de six mois au chault et au froit et mal nourris, veu aussi que les principaux de la ville vouloient appointement: et pareillement a l'autre Conseil tous les Seigneurs avoient desia delibere quil valloit mieux saulver la ville pour les raisons alleguees. Parquoy delibererent et conclurent de prendre ledit party. Toutesfois avant que denvoyer la responce au grand Turcq le tres-illustre Seigneur Grand Maistre ensuivant les bonnes coustumes de sa Religion feist assembler une autre Conseil qui se dit Conseil accomply, lequel c'est accoustume destre tenu pour les choses ardues et matieres de grande importance pour le bien publicque. Et a ce Conseil accomply se doibvent trouver oultre les Seigneurs ordinaires de la grande Croix deux Chevaliers de chascune des huit langues et provinces qui sont feize en tout des plus anciens de la Religion et mieux entendus. Le Conseil assemble, la lettre du grand Turcq fut releve, et de rechief furent debatues les choses d'une part et d'autre, et sur ce point se on debvoit prendre party pour respect du peuple ou mourir. La resolution et conclusion de tous fut d'accepter loffre du grand Turcq, veu et considere les raisons dessusdictes et sur tout veu que le mal ne povoit seullement tumber sur nous autres de la Religion. Car se ainsi eust este jamais l'appointement neust este accepte. Ceste deliberation prinse la responce fut faite au Turcq prestement pour le prendre de sa parolle, affin quil ne se peust repentir ni changer doppinion, car d'heure en heure ses gens gaignoient sur nous: et entroient plus avant dedens la ville, et pour aller devers le Turcq furent ordonnez le xi. dudit mois une Chevalier nommez frere Anthoine de Grollee dit Passim qui portoit l'enseigne de la Religion et une autre de la ville nomme Maistre Robert de Peruciis, juge ordinaire pour scavoir sa voulente, et pour entendre la verite des parolles rapportees par le Genevoys audit Seigneur Grand Maistre, et aussi pour scavoir lintention du grand Turcq selon le contenu de sa lettre, lesquels deux personnaiges saillirent par la porte du Cosquino et sen allerent a la tente d’Acmet Basha capitaine general, aussi il estoit desia tard et ne pouvoient aller ce jour la vers le grand Turcq. Sortys que furent nosdits Ambassadeurs, deux du camp entrerent dedans la ville, personnaiges de sorte pour ottage. L’une estoit nepveu dudit Acmet basha, l'autre estoit truchement du grand Turcq, lesquels le Seigneur Grand Maistre feist honnestement recepvoir, et furent logez pres de ladicte porte du Cosquino. Adonc furent faites trefves pour trois jours. Et les ennemis faillyrent hors de leurs tentes, et se pourmenoient la a lentour, et nos gens se monstroient sur les murailles de la ville. Le lendemain au matin qui fut le xii. ledit Acmet basha mena nos Ambassadeurs au pavillon du grand Turcq, lequel estoit bien accompaigne, car ledit Passim dit par sa soy que a son oppinion, il veit huit ou dix mille pavillons, et a lenviron dudit Seigneur y avoit grand nombre des gens richement accoustrez: que est une chose vraye. Car depuis que la ville fut rendue. Moymesme en veis bonne quantite fort honnestement vestus selon leur mode. Apres que nos Ambassadeurs furent entrez au pavillon, ils feirent deue reverence audit grand Turcq, et lui dirent que le Grand Maistre les avoit envoyez devant son imperialle Majeste pour scavoir la raison pourquoy il avoit fait demander parlement, combien que la lettre que ledit Seigneur avoit envoyee le disoit. Le grand Turcq feist responce quant au regard de lui il navoit point fait demander parlement, ni aussi fait ecripre lettre, non obstant il scavoit bien le contraire, mais il dist cela pour son honneur, et dist apres aux Ambassadeurs, puis que le Grand Maistre les avoit envoyez vers lui pour scavoir sa voulente. Il leur enchargea de sa part lui dire quil eust de rendre la ville. Et en ce faisant il lui promettoit sa soy de le laisser aller avec tousse s Chevaliers, et autres personnes qui sen vouldroient aller, avec leur bien, sans desplaisir aulcun de gens de son camp. Et non voulant le dit party, quil lui notifioit quil ne partiroit jamais de devant Rhodes, et que toute la Turquie y mouroit, ou il en viendroit au-dessus, et quil neschapperoit ni petit ni grand. Mais jusques aux chats tout seroit mys en pieces, et que dedans trois jours on lui feist responce. Car il ne vouloit point que ses gens perdissent temps, ne aussi que durant les trefves on feist repaires ou defences dedans la ville.
Comment apres que frere Anthoine de Grolles, et messire Robert de Peruciis eurent prins conge da grand turcq, Acmet basha retint frere Anthoine de Grolles: et renvoya messire Robert de Pecuciis vere le seigneur Grand Maistre.
Apres que le grand Turcq eut dit ces parolles, nos Ambassadeurs prindrent conge de lui pour sen retourner en la ville. Toutesfois Acmet basha renvoya seullement a la ville le dessusdit Peruce, et retint ce jour la et la nuit frere Passim, et le mena en son pavillon, et le traicta fort bien: en beuvant et mengeant. Ils eurent beaucoup de propos touchant les choses passees en ce siege, et entre les autres choses Passim pria ledit basha de lui dire au vray combien il estoit mort de gens du camp depuis que le siege estoit mys jusques a ceste heure la. Le basha jura sa foy, et asseura quil en estoit mort de mort violente plus de lx. et quatre mille, et xl. ou l. mille de maladie.
Du rapport de messire Robert de Peruciis touchant la responce du grand turcq et des termes en quoy estoit ledit seigneur Grand Maistre touchant l’honneur de la Religion et citadins de la ville de Rhodes.
Mais pour revenir a la responce du grand Turcq. Quant ledit Peruce fut entre dedans la ville, il alla vers le Grand Maistre, et lui dist les parolles que lui avoit dit le grand Turcq, et ses offres dessusdictes. Et quil vouloit avoir subite responce, ou si, ou non, laquelle responce comme a este dit avoit este desia deliberee et conclue par deux ou trois Conseils. Toutesfois lesdits ambassadeurs navoient pas commission de faire ladite responce la premiere foys quils allerent vers le grand Turcq, ni de prendre et accepter le party quil presentoit pour plusieurs bonnes raisons, Toutesfois on ne voulut plus differer de paour (comme a este dit) quil se repentist: ou se desdist de ce quil avoit presente. Et sur ces termes que on vouloit renvoyer ledit Peruce pour porter la responce, aulcuns du populaire de la ville vindrent vers le Seigneur Grand Maistre qui estoit avec ses Seigneurs de son Conseil, et dirent comme ils estoyent advertys de l'appointement qui avoit este fait avec le Turcq. Et comme on lui vouloit rendre la ville avec quelques pactes, laquelle chose a leur advis ne se debvoit point faire, ni aussi ne debvoit estre conclue, sans les appeller, et que de leur part ils ni consentoyent point, et quil valloit mieux mourir. Car ainsi comme' ainsi ledit grand Turcq les seroit tous mourir comme il feist ceux de Belgrado, apres quils se furent rendus.
Le tres-illustre Seigneur Grand Maistre apres avoir ouyes ces parolles leurs dist gracieusement, que touchant davoir accepte loffre du Turcq, quil estoit force de le faire aux termes en quoy estoit la ville. Et les raisons pourquoy on lavoit fait, le Conseil les avoit veues et debatues, tant pour leur advantaige, que pour celluy de la Religion, et que lesdictes raisons ne debvoient point estre dictes ne communiquées avec eulx: affin quelles ne fussent rapportees aux ennemis par aulcune mauvaise personne qui seroit dedans la ville. Et davoir fait la responce prestement audict Turcq sans les appeller ce estoit pour le prendre de sa parolle de paour quil ne se repentist, car se on les cust appellez avant que de lui faire responce, la chose eust este trop longue, et entretant le grand Turcq eust peu changer doppinion, toutesfois ledit Seigneur leur dist quil remanderoit vers le grand Turcq autres ambassadeurs, pour scavoir mieux sa voulente, et pour estre plus asseure de sa promesse.
Comment les ambassadeurs furent renvoyez vers le grand turcq, et du cry faict par le commandement du seigneur Grand Maistre, et d’une Rhodien qui fut pendu, a des habitans de la ville estans en poures termes: et des trefues faillies.
Alors le tres reverend Seigneur envoya deux Espaignols, l'une nomme, frere Raymond Marquet, l'autre frere Louppes, lesquels saillirent dehors la ville. Et adonc entra frere Passim premier ambassadeur, et sadresserent a Acmet Basha pour les presenter au grand Turcq. Entrez que furent ces deux nouveaux ambassadeurs dedans le pavillon dudit Seigneur dirent que le Grand Maistre avoit ouy sa demande, et pource que cestoit chose de grande importance, et quil failloit que c'est affaire il parlast a tous ceux de sa Religion, qui estoient de plusieurs nations, et aussi avec son peuple, dont les unes etoient Latins, les autres Grecs, et que le temps par lui donne estoit si brief, quil navoit le temps de povoir parler a tant de gens, mais que se il vouloit donner le loisir de parler avec les susdits, quil lui seroit en brief responce.
Ces parolles de nos ambassadeurs ouyes, ledit grand Turcq ne dit autre chose, sinon quil commanda a ses capitaines de recommencer les batteries, et fut cecy le quinziesme ou seiziesme dudit mois. Alors les trefves furent rompues, et tirerent nos ennemis plus asprement que devant. Et de nostre coste rien, ou bien peu, pource quil ni avoit point de munitions. Et cela qui y estoit, on le gardoit pour les assault, et pour le besoin, nonobstant ces batteries le grand Turcq commanda au basha quil retint l'une des deux Ambassadeurs derniers venus, et retindrent frere Marquet, et l'autre fut renvoye qui estoit signe que le grand Turcq perseveroit de vouloir avoir la ville par composition.
Le tres-illustre Seigneur Grand Maistre voyant la guerre commencer et les batteries plus roydes que paravant: et les ennemis d'heure en heure entrer par leurs trenchees avant dedans la ville, sist appeller ceux qui lui avoient dit quils ne vouloient point que la ville fust rendue, et qui valloit mieux mourir. Et leur declaira quil estoit content de mourir avec eulx. Et quils se deliberassent de se bien deffendre, et de faire mieux leur debvoir quils navoient fait le temps passe. Et affin que une chascun fust adverty de son vouloir, car a ceste heure la ledit Seigneur ne parloit que a trois ou quatre personnaiges de ses contredifans. Il feist faire une crice par toute la ville, que tous ceux qui estoient tenus destre aux postes quils eussent dy aller et de non nen bouger ni jour ni nuit sur peine de la vie. Et les autres qui nestoient des postes et qui estoient de son secours eussent de venir a la bresche d'Espaigne la ou ledit Seigneur estoit continuellement. Ladicte cryee faite chascun fut obeyssant pour une jour ou deux.
Toutesfois une jeune Rhodiot laissa sa poste et sen alla a sa maison, lequel le lendemain fut pendu pour avoir rompu le commandement dudit Seigneur. Nonobstant cela peu a peu le peuple se ennuya et perdit le cueur et laisserent et poste et bresche: enforte que les ennemis povoient entrer sans trouver resistance, sinon ledit Seigneur Grand Maistre avec aucuns Chevaliers et quelques gens de son secours en petit nombre. Et la nuit ledit Seigneur faisoit chercher gens d'avantaige pour faire le guet a ladicte bresche, et leur faisoit payer ce quils vouloient.
Le seiziesme dudit mois une petite barque Galliegue du port de trois cens bottes ou environ venant de Candie arriva au port et estoir chargee de vins pour porter en Flandres. Frere Loys d’Angogue Espaignol dessus nomme, pour lors estant en Candie pour passer en Rhodes, trouva facon avec le susdit frere Nicolle Farsan, de mettre quelque nombre de souldats de guerre sur ledit navire seignant vouloir aller en Sicille. Et party que fut le navire hors du port ledit d'Angogue avecque les souldats se trouva le plus fort dedans le navire et lemena en Rhodes oultre le gre des marchans, car ils ne cherchoient pas tels passetemps que celluy que nous avions. Lesdits vins feirent grant accroissement et plaisir a tous ceux de la ville, car il y avoit pres de deux mois que la pluspart ne beuvoient que eaue, mais ils vindrent tart pour donner couraige aux gens de la ville.
Comment les ennemys gaignerent la barbacane d’Espaigne : de la retraicte de nos gene dedans la ville: et enseignes des turcqs affichees sur la muraille de la ville de Rhodes.
Le dix-septiesme dudit mois de Decembre: les Turcs donnerent l'assault a la barbacane d'Espaigne. Nos gens qui estoient au terreplain la aupres, voyant si la barbacane estoit perdue, que eux seroient enclos et ne pouroient plus entrer dedans la ville ni avoir secours furent davis de laisser ledit terreplain d'Espaigne et se joindre avec ceux de la barbacane, parquoy y allerent et se trouverent au combat avec les autres, et feirent en sorte tous ensemble avec autres gens qui vindrent au secours que les ennemis furent repoussez pour ceste fois la et mis hors de la barbacane. Le lendemain ils vindrent avec grosse puissance donner l'assault a ladicte barbacane, et apres avoir combatu longuement voyant quil ni avoit remede de resister plus aux ennemis ni de les repousser, nos gens se retirerent au mieux quils peurent dedans la ville. Et ainsi les ennemis furent Seigneurs de ladicte barbacane et du pied du mur quant et quant, et commencerent a picquer la muraille de la poste d'Angleterre: et par la terre et pierres tumbees dedans la barbacane de la batterie pieca faite contre ladicte muraille (comme a este dit) monterent sur la muraille de la ville et planterent des enseignes, mais ils ni arresterent guerres: car l'artillerie tirant de plusieurs pars les feist defloger de la, et se retirerent dedans la barbacane. Et vela le troisiesme lieu ou les ennemis picquoient la muraille pour faire bresche a leur plaisir. Et qui vouldroit bien considerer les termes en quoy estoit la poure ville, et le grant nombre des ennemis par quatre ou cinq fois rafraichis., il pourroit bien dire et juger que La fin ne povoit estre que malheureuse.
Comment apres nauoir plus de munitions: et estre comme loyseau sur la branche: furent ordonez deux de la ville avec frere Passim pour retourner deuere le grand turcq: et d’unes lettres quavoit aultresfoys envoyez Bayazet pere du grand turcq au seigneur Grand Maistre: et de la cruelle juftice que feit faire Acmet basha a deux Rhosdiene: qui est une chose pitoyable
Ledit Seigneur Grand Maistre soy voyant en si piteux termes, et comme a este dict ainsi habandonne de la plus part de son peuple, de rechief leur feist demander pourquoy ils ne faisoient leur devoir, et pourquoy ils ne venoient mourir comme ils disoient paravant, lesquels feirent responce quils voyoient et cognoissoient bien que la ville estoit perdue pour non avoir plus de munitions. Laquelle chose paravant ils ne scavoient pas. Et l'occasion pourquoy ils avoient contredit a l’ordonnance dudit Seigneur, cestoit en partie pour non estre informez dudit dessault. Et d'autre part dirent quils avoient paour que le Turcq ne tint point sa parolle, mais cognoissant quil ni avoit autre remede sinon de attendre leur adventure et fortune, comme nous autres de la Religion lattendions. Ils remirent le tout audit Seigneur, et quil feist ce que bon lui sembleroit et selon quil verroit estre mieux pour eulx. Toutesfois ceux de la ville requirent audit Seigneur leur faire une grace de les laisser eslire une ou deux de entre eux pour aller devers le grand Turcq avec ses ambassadeurs pour avoir quelque feurete de luy, ce que leur fut octroye. Et ordonnerent deux ambassadeurs, l'une estoit Nicolle Vergonty, et l'autre Pero saint Grittico, Lequel allerent avec le susdit frere Passim premier ambassadeur, pour faire la susdicte responce au Turcq. Toutesfois avant quils partissent ledit Seigneur Grand Maistre prolongeant tant que il povoit advisa denvoyer une lettre au grand Turcq, laquelle son grant pere Bayazet avoit escript ou fait escripre. Et par ladicte lettre il donnoit sa maledicton a ses enfans et successeurs qui entreprendroient de assieger Rhodes. Ledit Robert Peruce porta ceste lettre. Et ainsi quil avoit accoustume de faire il se adressa a Acmet Basha pour lui faire avoir audiance et pour presenter ceste lettre au Turcq. Le Basha veit la lettre, car la coustume est a la court du grand Turq que personne ne lui peult parler ne donner lettre quil ne foit adverty premierement de ce quon lui veult dire, ou de ce quon lui escript. Veue que ledit Basha la lettre il la rompit et getta en terre et marcha dessus disant tous plains dinjures audit Peruce, et lui dist quil sen retournast bien tost vers le Grand Maistre l'advisant quil pensast a son affaire, et quil feist responce au grand Seigneur selon ce quil lui avoit mande: autrement il ne tarderoit guerres de veoir sa douloureuse fin. Cedit jour furent prins deux de nos gens qui portoient la terre a la barbacane d'Angleterre, ausquels ledit Acmet Basha feist coupper le nez, les doys et les oreilles, et leur donna une lettre pour porter au Grand Maistre dedans laquelle y avoyt grosses parolles et grandes menasses.
La raison pourquoy le grand turcq na voulu conuenit par alcune somme de deniers avec se seigneur gran maistre. Et aussi les raisons porquoy ledit seigneur lui a accorde paction: et plusieurs aultres matieres.
Apres que Peruce fut retourne frere Passim fut renvoye devers ledit Acmet pour scavoir de lui si le grand Turcq se vouldroit contenter daucune somme de deniers pour les frais et despences quil avoit fait pout son armee. Lequel Balcha respondit que semblables parolles et offres dargent nestoient point pour estre dictes ni presentees au grant Seigneur sur peine de la vie, car il regardoit plus a l'honneur que a tous les biens du monde. Et pource dist quil sen retournast, et quil dist au Grand Maistre de faire responce se il vouloit rendre la ville ou non. Ledit Passim feist relation des parolles du basha au Seigneur Grand Maistre. Lequel pour le grant regret quil avoit disseroit toujours soy voyant estre venu a si douloureux termes. Nonobstant il se mist au vouloir divin, considerant quil ni avoyt remede quil feist autrement ne quil peust plus resister à ses ennemis, et presse de tous costez de faire appointement a grant regret et a douleur inestimable, de son noble cueur donna sa parolle de rendre la ville avec les pacts a lui presentez qui fut le vingtiesme jour de Decembre.
Et si par aulcuns estoit objice pourquoy ledit Grand Maistre a rendu la ville au grand Turcq, qui la demandoit avec pacts qui estoit signe quil estoit le plus foible et qui ne vouloit point combattre. A ce je respons premierement qui ne povoit proceder que de la misericorde divine pour preservation de ce poure peuple Chrestien qui a instigue le Turcq de ce faire. Nonobstant quil fut adverty par aulcuns traistres qui estoient fuys de la ville au camp, que nos munitions estoient quasi faillies, et quil y avoit peu de gens de guerre dedans la ville. Toutesfois ledit Turcq ne le croyoit du tout, ni donnoit soy aussi a beaucoup de parolles quon lui rapportoit. Mais de fait pensoit que nous eussions encore munitions pour long temps, et considera que sa personne et tout son estat avoit desia demeure six mois en pays estrange et ennemy, et quil failloit quil y demourast encore pour attendre que lesdictes munitions fussent faillies pour avoir la ville mieux a son advantaige. Laquelle chose ne povoit estre sans grant d'Angier de sa personne et de son armee, voyant aussi quil estoit en cueur dyver. Pensa d'autre part que il avoit perdu grand quantite des meilleurs gens quil eust en son camp, et que prenant la ville dassault il en perdroit encore beaucoup, nonobstant que il vainquist. Craignant aussi le hazard de la guerre et quil ne faillist davoir la victoire. Sachant aussi que la Religion avoit le chateau saint Pierre et le chateau de Lango et autres places fortes. Lesquelles seroient resistence avant quil les eust prinses et mises en sa main et quil y perdroit beaucoup de ses gens ayant de l'autre coste peur que le secours ne vint, et finalement pource que les bashas et capitaines pensoient mieux faire leurs besongnes prenant la ville par composition que par assault comme a este la verite, et par ci apres sera dit comment. Pour ces raisons et autres que on pourroit alleguer ledit grand Turcq a mieux ayme avoir la ville par composition: et avec party que par force. Et lui a souffit de chasser ses ennemis mortels dentour de lui et mettre ses pays et subgects en repos et feurete. Et a nous autres que scavions notre foiblesse et que ne pouyons plus resister, nous a semble estre mieux de saluer tant de menu peuple et la Religion, que nous et eux tumber en la fureur des ennemis: car autre chose neussions fait, sinon tempter Dieu et mourir comme desesperez.
Comment Acmet Basha presenta au grand turcq frere Passim: et deux des citadins de Rhodes pour parfaite la piteuse conclusion de lui tendre la ville: et de la responce.
Mais pour retourner au principal, apres la parolle du tres-illustre Seigneur Grand Maistre donnee, le dessusdit frere Passim alla pour la porter au grand Turcq, et allerent avec lui les deux esleus du peuple. Et tous trois ensemble s’adresserent a Acmet Basha. Auquel Passim premierement feist ceste piteuse responce et conclusion de rendre la ville. Nonobstant il dist que le peuple avoit commis deux personnages dentre eux pour aller devers le grand Seigneur parler de leur affaire particulier pour avoir quelque feurete de leurs personnes, femmes,et enfans. Affin quil ne leur fust fait comme a ceux de Belgrade. Ledit Acmet mena les trois ambassadeurs devers le grand Turcq. Entrez que furent dedans son pavillon, frere Passim feist le raport de son ambassade, et dist au Seigneur que le Grand Maistre lui rendoit la ville, soubs la promesse de son imperialle majeste avec les pacts par icelle promis. De laquelle promesse il se tenoit pour feur et certain. Et quil nen viendroit a moins: nonobstant le peuple lui avoit requis de leur donner conge denvoyer vers sa majeste pour lui faire aucune requeste, ce quil leur avoit octroye. Alors les deux citadins supplierent au grand Turcq de vouloir pour feurete leur faire eslongner son camp de la ville, affin que ils neussent aulcuns empeschemens de leurs personnes ou de leurs biens, et que en ensuyvant sa promesse ils sen peussent aller seurement. Le grand Turcq feit premierement dire a frere Passim premier Ambassadeur comme il acceptoit la ville. Et promettoit de rechief audit Seigneur sur sa soy et sur son honneur de tenir ce quil lui avoit promits et quil neust doubte du contraire, et fil navoit assez de navires pour porter ses gens et son bien quil lui en bailleroit des siens. Et l'artillerie qui estoit acoustumee destre aux navires de la Religion quil la seroit delivrer.
Quant au regard de la requeste du peuple dist quil seroit eslongner son camp et que ceux qui vouldroient demourer dentre eux seroient bien traictez et ne payeroient droit nefung de cinq ans, ne seroit touche a leurs enfans, et quil vouldroit sen aller dedans le terme de trois ans quil sen allast a son plaisir, et en la bonne heure.
Comment les ambassadeurs eurent prins conge du turcq, feirent despecher leurs lettres touchant l’accord, du camp leue: de l’hostage envoye ay turcq, et due sauf-conduit par luy donne.
Les parolles dudit Seigneur finies, nos Ambassadeurs prindrent conge de luy. Et fortis que furent nos gens demeurerent avec ledit Acmet Basha pour avoir les lettres du contenu de la promesse dudit Seigneur, lesquelles furent depeschees, tant pour le Seigneur Grand Maistre et ses Chevaliers, que pour le peuple. Les lettres despeschees furent delivrees a frere Passim, lequel les presenta au Grand Maistre. Et touchant les gens du camp, ledit Basha promist de rechief quil le seroit ainsi que ledit Seigneur avoit commande. Et se leverent dehors des tranchees: et sen alla partie des gens du camp une mille ou environ loing de la ville. Et adonc ledit Basha demanda de la part du Turcq: que le Grand Maistre envoyasnt au camp en hostage xxv. chevaliers, dont il y en eust deux de la Grand-Croix, et xxv. citadins, et que ledit Seigneur envoyeroit seullement une capitaine avec trois ou quatre cens Genissaires pour garder la ville, puis que son camp estoit eflongne, et ainsi fut fait. Et oultre lesdictes promesses, le Turcq donna douze jours de terme pour nous preparer et partir de Rhodes, lesquelles choses accomplies, nos ambassadeurs sen retournerent, et feirent le raport au tres-illustre Seigneur Grand Maistre de de tout ce quils avoient fait et praticque avec le grand Turcq, et avec ledit Basha. Et lui donnerent les lettres de sauf-conduit pour sen aller seurement. Ledit Seigneur ordonna avec son Conseil, les xxv. personaiges de la Religion, et les autres de la ville. Et eux ordonnez allerent au camp, la ou ils furent fort bien traictez, et gracieusement de toutes choses pour quatre ou cinq jours.
De l’extortion que seirent aulcuns de la gendarmerie du turcq aux Rhodiens, veu que le terme nestoit ia passe pour eux retirer et vuyder la ville.
Sur ces termes dappointement, Farra Basha vint de terre ferme au camp avec xiiii ou xv mille Genissaires, lequel par le commandement du Turcq estoit alle les jours paravant aux frontieres du pays du Sofy. Mais le grand Turcq adverty que les gens de son camp estoient descouraigez et quils ne vouloient plus aller aux assault, avoit mande audit basha quil senvint en Rhodes avec ses gens, lesquels il deliberoyt faire mettre devant aux coups comme gens frais et non espoventez. Si l'appointement neust este fait qui fut oeuvre divine, et miracle evident quils ne vindrent avant l'appointement, car se ils fussent venus paravant, il estoit de presumer que les choses fussent passees autrement, et que dappointement ledit Turcq nen eust point cherche, toutesfois Dieu la voulu ainsi, et na permis que le grand Turcq dessist ceste Religion. Mais fil plaist a Dieu, la perte de Rhodes sera la destruction du grand Turcq et de sa mauldicte secte moyennant que les Princes Chrestiens se veullent accorder et faire quelque bon appointement, et apres le aller trouver jusques en son pays.
Deux ou trois jours apres la venue dudit basha, ses Genissaires et les autres du camp peu a peu se approcherent de la ville, et a la fin entrerent tous dedans le v jour des xii jours a nous donnez pour nous en aller, et rompirent le terme que le Turcq nous avoit donne. Si ce fust par son commandement où des Bashas je nen fcay rien. Toutesfois il est bien de presumer que les capitaines le vouloient ainsi: neanmoins il ni eut espee tiree contre nous, il est vrai que aulcuns eurent quelques coups de baston, et porterent quelque foix par force. Et entrerent lesdits ennemis par force dedans les maisons du chateau et de la ville, et prindrent ce quils peurent ou voulurent, et despouillerent beaucoup de nos gens en chemife, et leverent les espees et autres armes a ceux qui en portoient, et en conclusion feirent bien leurs besongnes par tout,
De la cruauste que ont fait les turcqs aux hospitaulx et eglises de Rhodes: et de l’inhumanite que ont eue envers les sepulchres: et de la violence envers les femmes et enfans.
Apres avoir fourrage les maisons, ils entrerent dedans les Eglises, et pillerent ce quils trouverent, et ni eut crucifix ni ymage de nostre Dame, ni d'autres saints qui demeuraft entiere. suis apres avec grande inhumanite allerent dedans lhofpital des poures malades que on dit lenfermerie, et prindrent toute la vaisselle dargent en quoy on les servoit. Et les levoient de leur lict, et chassoient dehors aulcuns avec coups de baston. Et gecterent une de nos Chevaliers des galleries a bas, lequel mourut. Ce cruel acte fait, lesdictes canailles allerent dedans l'eglise de fainet Jean et defenterrerent les corps daulcuns Grands-Maistres qui avoient belles sepultures, et chercherent fils avoient trefor avec eulx. Apres en la ville forcerent aulcunes femmes et filles a marier, et prindrent par force tous ceux qui avoient este baptisez, qui estoient Turcqs, premierement, fussent garfons, ou hommes: ou femmes: et les enfans diceux aussi, et les porterent tous en Turquie, qui a este la perte de plus grande importance, et de plus de dommage que pas une des autres.
Comment le lendemain de Noel le seigneur Grand Maistre eut parlement avec le grand turcq, et des parolles que ils eurent ensemble: et de l’entree du turcq a Rhodes.
Un jour ou deux apres l'appointement fait Acmet Basha vint a la bresche d'Espaigne parla avec le Grand Maistre, et apres avoir parle a lui de plusieurs choses, ledit basha lui dist que le grand Turcq avoit voulente de le veoir, et de parler a luy. Et pource il len advifoit et Conseilloit de y aller. Ledit Seigneur le lendemain de Noel alla au pavillon du grand Turcq pour le visiter, pour estre plus asseure de sa promesse, auquel ledit Turcq feit bon et gracieulx recueil, et lui feist dire par le truchement, que la fortune a lui advenue, et que de perdre villes et seigneuries, cestoit choses commune et ufitee. Et que il ne sen donnast trop de melancholie. Et quant a sa promesse quil ne se fouciaft de riens et quil neust paour davoir desplaisir en sa personne, mais que sans nulle doubte il sen yroit avec sa compaignie. Sur ces parolles ledit Seigneur le mercya et print conge de luy.
Deux ou trois jours apres le grand Turcq monta a cheval et vint voir les tranchees et la bresche d'Espaigne, et puis alla veoir la tour saint Nicolas. Et en sen retournant entra dedans la ville, et passa par dedans le palais pour veoir le Seigneur Grand Maistre. Et entre que fut en une salle ou les Grands-Maistres avoient accoustume de manger, il demanda ou estoit le Grand Maistre, et dist que on le feist venir. Et ni avoit avec lui que deux personnes seullement: cestassavoir Acmet Basha et une jeune homme quil aymoit: et ne voulut que autres gens y entrassent. Et quand ledit Seigneur Grand Maistre fut venu il lui feist dire en grec par ledit Basha quil neust pensement de rien, et quil feist ses affaires a loisir, et fil ne suffisoit du terme quil lui avoit donne pour se despescher quil en donneroit davantage tant quil vouldroit. Ledit Grand Maistre le mercya, et dist feulement quil uy pleust tenir sa promesse. Le grand Turcq respondit quil la tiendroit et quil ni auroit faulte aulcune quil sen allast sans avoir desplaisir de personne. Ce propos finy le grand Turcq fortit du palais et alla en l'eglise de saint Jean, puis monta a cheval, et descendit du long de la grant rue du chateau tirant a la marine: et passa par la place. Et fortant par la porte du Cosquino sen retourna en son pavillon.
De la diligence des Rhodiens a saulver eux et leurs biens, du com, mandement de Acmet Basha: que on neust a nully aucun mal ne desplaisir faire, mais les laisser aller.
Voyant un chascun les forces extortions faites incessamment par les ennemis il ne se trouva celluy qui ne traveillast a soy despescher et faire porter si peu quil avoit dedans les navires pensant quil y feust plus feur. Toutesfois la faulce canaille gens inhumains et pleins davarice venoient de rechief dedans les navires: et prenoient par force tout ce quils povoient attraper. Et neust este que on allast vers le capitaine Acmet Basha l’informer des maux, et force que faisoient ses gens. Lequel manda incontinent dedans les navires personnages dauctorite pour garder telles violences il ne nous fust rien demeure. Ledit Basha feist aussi donner a tous les navires victuailles necessaires par commandement du grand Turcq. Avec ce consentit que on emportast l'artillerie qui estoit accoustume estre dedans les navires. Toutesfois pour la briefvete du temps qui nous surprint, cestassavoir pource que le grand Turcq debvoit partir de Rhodes dedans deux jours pour sen retourner en Constantinople pour bon respect on laissa a charger toute l'artillerie qui faisoit besoin et print on feulement quelques pieces, et ne pensa l'on a autre chose sinon a partir de la: avant que le grand Turcq sen allast, pour paour que ses gens ne nous feissent quelques mauvais tours.
Comment le seigneur Grand Maistre: apres quil eut prins conge du grand turcq monta fut mer et vint arriver au castel principalle vils le de Candie, la ou il fut receu par le general de la seigneurie de Venise.
Le premier jour du mois de Janvier le tres-illustre Seigneur Grand Maistre apres disner monta a cheval et sen alla devers le grand Turcq pour prendre conge de luy. Lequel lui dist quil sen allast en bonne heure et bon voyage. Et lui sist faire un autre sauf-conduit pour porter avec lui par mer, pour passer plus seurement, si davanture il rencontroit en son chemin aulcuns navires des siens. Cela fait ledit Seigneur Grand Maistre le mercia et print conge de luy, et sen vint embarquer en ses gallees et se tyra dehors du port une peu devant la nuit. Puys environ neuf heures au soir ledit jour il se mist en chemin pour faire son voyage. La grosse nef aussi incontinent serpast les ancres et se partit du port: et pour se avancer laissa deux de ses ancres dedans le port. Les autres navires aussi de la compaignie sortirent apres et tirerent tous le chemin de Lisle de Candie. Et le cinquiesme dudit mois ladicte nef arriva en une place de ladite Isle et partie des autres navires avec elle. Et puis entra le septiesme jour dedans le port de Scitie, les galleres pour avoir eu mauvais vent, tarderent plus que les navires, mais a la fin arriverent en une port nomme Espinne longue en ladicte Isle, depuis sen allerent a Castel principalle ville de Candie la ou estoit le general de la Seigneurie de Venise nomme Messire Domingo Trivisan.
Lequel General avec le Duc de Candye et le surplus des Seigneurs de la ville allerent a la marine pour recueillir ledit Seigneur Grand Maistre, et le receurent avec gros honneur et courtoysie, et le conduirent jusques en son logis. Ledit Seigneur arrive incontinent feist calsatter ses galeres et autres navires de sa compaignie pour parachever son voyage. Et entretant que les navires se acoustroient journellement il despeschoit ses affaires, et advisa le saint Pere et tous les Princes Chrestiens de sa desfortune et que sa personne estoit audit lieu de Candye remonstrant en peu de parolles les choses passees entre le Turcq et luy, en deliberation de les informer par ambassadeurs plus au long arrive quil seroit en Sicile, Ledit General aulcuns jours apres larrivee dudit Seigneur Grand Maistre a Castel, le alla visiter en son logis: et semblablement le Seigneur Grand Maistre alla veoir le General en sa maison. Peu de jours apres le General pour quelques nouvelles quil eut de la Seigneurie delibera de partir. Et avant son partement dist a dieu audit Seigneur Grand Maistre, et lui presenta les gallees qui demouroient en Candye soubs la charge du providadeur. Et lui dist quil les print toutes ou partie pour l’accompaigner tant que bon et necessaire lui sembleroit.
Party que fut le General le tres-illustre Seigneur Grand Maistre sembarqua dix ou douze jours apres, et alla surgir a la Frasquia a huit mille de la ville: et attendit audit lieu le bon temps. Et quant il fut venu ledit Seigneur se leva avec les gallees, et les nefs quant et quant et commenca a faire son voyage pour aller en Sicile. Les nefs prindrent la haulte mer, et les gallees allerent terre a terre: et par chemin aulcuns navires par mauvais temps se departirent de ladicte grosse nef, et apres ces fortunes et mauvais temps quils eurent a la fin arriverent les unes apres les autres en Sicile en la ville de Messine, les gallees a l'occasion du mauvais temps quelles eurent de mourerent a venir apres les navires environ une mois. A la fin les galleres arriverent audit lieu de Messine le dernier jour d’Avril.
Comment le tres-illustre seigneur Grand Maistre fut receu honnorablement par le Viceroy de Cecille et larcheues que de Messine. Et aussi des lectres envoyees de par le sainct pere le pape et plusieurs autres matieres.
Les tres-illustre Seigneur Grand Maistre vexe de melancholie et travaille de son long voyage, vestu sa personne de noir, et quasi toute sa compaignie entra dedans le port, et vint au pont pour descendre a terre. Adonc le Seigneur Hector Pignatello conte de Montelion Viceroy a lors de Sicile vint a cheval jusques audit pont avec l’Archevesque de la ville, et tous les Barons et autres Seigneurs dudit lieu, lesquels receurent ledit Seigneur fort honnorablement et courtoysement et le conduyrent tous jusques en son logis. Et ne fut pas sans pleurs et compassion que eurent tous ceux de la ville voyant le bon Seigneur ainsi defole et avoir perdu son estat et seigneurie. Ledit Seigneur, apres avoir este aucuns jours a Messine eut plusieurs briefs de nostre saint Pere le Pape Adrian-fort gracieux, par lesquels il le confortoit et offroit et se offroit de le favorir et aider envers les Princes Chrestiens, pour lui faire avoir quelque licu pour faire service a Dieu et a la Chrestiente, comme il avoit fait le temps passe. Et lui manda ledit saint Pere quil auroit plaisir de le veoir. Lequel comme vray fils dobedience, se departit de Sicile, et sembarqua sur la grosse nef et partit le xxII. jour de Juin pour sen venir a Civette viellye attendre la ce que ledit faina Pere et les Princes Chrestiens commanderoient de sa religion. Party que fut ledit Seigneur de Messine, qui pour lors estoit infecte de peste, et par le chemin moururent deux ou trois personnes dedans ladicte nef, qui donna grande paour et doubte a toute la compaignie. Neantmoins graces a nostre Seigneur, et par evident miracle la chose ne se eschaussa point ni alla plus avant. Aussi l'on feist force de prendre port pour eviter plus grant inconvenient, et nostre Seigneur nous donna une petit vent a plaisir, lequel nous porta et meist en une port a huit mille pres de Naples nomme Baye. Et incontinent apres avoir eu la licence de descendre en terre par Messeigneurs de la Sanite de Naples. Ledit Seigneur descendit en terre et tous les gens pour efforer ladicte nef. Et pareillement les autres navires. Et furent ordonnees gardes par ceux de ladicte sanite, pour garder que nos gens pour quelque temps ne se meslassent avec ceux dudit lieu, ou de Naples. Et aussi deputerent une lieu pour le logement dudit Seigneur et de sa compaignie, et paslasmes ainsi quinze ou vingt jours sans que ledit mal augmentast ou renouvellast graces a Dieu. Ceux de Naples voyant que le mal ne procedoit plus avant, vindrent pratiquer avec nous et nous avec eulx. Le Seigneur Viceroy de Naples manda au Seigneur Grand Maistre comme il auroit plaisir de le veoir, l'advisant comme il avoit commandement, et expresse commission de l'Empereur, de lui faire tout l'honneur et courtoisie quil lui seroit possible de faire. Et pource il deliberoit de le visiter une jour. Le Grand Maistre le mercya, et lui manda dire quil estoit trop loing, et quil prendroit trop de peine, mais quil yroit faire sa devotion a nostre Dame pie de grotte qui est lieu pres de la ville de Naples, et que la ils se pourroient veoir et parler ensemble. Laquelle chose fut faite, et demourerent ensemble une jour audit lieu. Et au soir apres soupper le Seigneur Grand Maistre se mist sur ses gallees, et sen retourna a Baye. Et dudit lieu, apres y avoyr demeure vingt-quatre ou vingt-six jours, il partit avec ses galleres: et les naufs apres pour venir a Civette viellye terre dEglise. Les deux galleres de nostre faina Pere vindrent trouver les nostres a monte Cercello et accompaignerent le Grand Maistre jusques dedans le port de Civette viellye par commandement du saint Pere. Le capitaine desdictes gallees voulut que ledit Seigneur Grand Maistre entrast le premier dedans le port avec sa gallee. Ce quil ne voulut faire en facon du monde, mais suyvit la gallee du capitaine, laquelle portoit l'enseigne de nostre saint Pere.
Comment le pape Adrian de trajecto envoya a Linette Viellye leues que de Conque, pour parler et visiter ledit seigneur Grand Maistre, et aussi l’advertir quil avoit desir de le veoir: a raison que ne pouoit vivre longuement: car peu apres ledit saint pere mourut.
Le Seigneur Grand Maistre apres quil fut arrive au port. Apres disner descendit en terre, et ceux de la ville le vindrent recueillir, et entra dedans la ville, et sen alla en son logis. Et incontinent despescha une Chevalier nomme Chevrieres, et lenvoya devers nostredit saint Pere pour le advertir de sa venue.
Trois ou quatre jours apres l’advertissement. Nostre saint Pere envoya de Rome levesque de Conque, de la nation Espaignolle homme de facon, et gravite pour viliter ledit Seigneur, et pour scavoir comme il se portoit: et sa compaignie aussi. Et lui offrit la ville, et quil y commandast comme en sa propre terre. Et quant il seroit un peu repose quil le manderoit venir a Rome: disant quil avoit bon-ne voulente de le veoir et de parler a luy. Sur ces termes nostre saint Pere le Pape tumba malade le vi. jour d'Aoust. Et a l'occasion de sadicte maladie la venue a Rome dudit Seigneur Grand Maistre fut retardee. Toutesfois environ la fin d'Aoust nostre saint Pere se trouva: mieux, et lui manda quil sen vint. Et le premier jour de Septembre ledit Grand Maistre entra dedans Rome. Et vint au devant de lui la garde du saint Pere, et tous ceux de sa maison. Le gouverneur de la ville avec tous les prelats estans pour lors a Rome allerent au devant dudit Seigneur hors de la ville. Pareillement tous les Cardinaulx envoyerent leurs mulles avec leurs chapeaux comme ils ont de coustume au devant de luy. Et apres que ledit Seigneur fut entre dedans la ville, le Duc de Sesses ambassadeur de l'Empereur le vint rencontrer a camp deflour, et le conduyst jusques au palais, la ou ledit saint Pere avoit ordonne que il fut loge pour lui faire plus d'honneur et pour parler plus souvent a luy.
Trois ou quatre jours apres que ledit Seigneur Grand Maistre fut dedans Rome nostredit saint Pere non delivre totalement de son mal, mais se trouvant une peu allege lenvoya querir: et lui quatriesme entra dedans sa chambre: et avec grand reverence et humilite baisa le pied de nostredit saint Pere. Lequel feit fort bon et gracieux racueil audit Seigneur Grand Maistre, et lui dist de bonnes et aymables parolles promettant de faire pour lui et sa religion ce quil seroit possible. Apres ces parolles dictes, ledit Seigneur Grand Maistre remerciant nostre saint Pere se retira en sa chambre, et depuis ceste heure la ne parla a luy, car ledit Seigneur se empira en fortetelle, que a sept ou huit jours apres il mourut.
Des ambassadeurs envoyez a l’empereur, an roy de France, et au roy d’Angleterre de par ledit seigneur Grand Maistre, et de l’election du pape Julius de Medicis. Et de la complaincte qua faict le seigneur Grand Maistre au sainct pere touchant l’infortunee prinse et perdition de Rhodes.
Le tres-illustre Seigneur Grand Maistre non oisif ni endormy aux affaires de sa Religion despescha les ambassadeurs quil avoit paravant ordonnez pour aller devers l'Empereur, cestassavoir le prieur de Castille Don Diego de Tolede de la maison Dalbe, et frere Gabriel Martinengo baillif de saint Estienne avec luy, lesquels se embarquerent a Civette viellye pour leur voyage en Espaigne. Les jours par avant aussi ledit Seigneur Grand Maistre avoit despesche les ambassadeurs pour le Roy de France. Cestassavoir le Prieur de saint Gilles, frere Preian de Bidoux et le dessusdit frere Passim avec luy. Et pour le Roy d'Angleterre le Seigneur Tricoplier, frere Guillaume Onaston, et avec lui une Chevalier Angloys. Apres que furent faits les obseques de nostredit saint Pere trespasse. Les Seigneurs Cardinaux entrerent en conclave le premier jour d'Octobre. Et fut chief et capitaine pour garder la porte du conclave, ledit Seigneur Grand Maistre et plusieurs Prelats et Evesques qui furent ordonnez avec lui pour assister a la garde porte dudit conclave comme est de bonne coustume. Les Seigneurs Cardinaulx demourerent en conclave xlviii. jours avant que l'election fust faite. Et le cinquantiesme jour apres, qui estoit le dix-neufiesme jour de Novembre fut pronunce Pape reverendissime Monsieur, Monsieur le Cardinal Julius de Medicis cousin germain du Pape Leon dixiesme. Et fut porte ledit jour en pontificat dedans l'eglise saint Pierre selon la cerimonie accoustumee. Et le vingt-sixiesme jour du mois fut couronne au lieu usite avec grand allegrie et joye d'une chascun, esperant que par sa prudence et vertu et bonne voulente mettra tranquillite, paix et amour entre les Princes Chrestiens, et generalement a toute la Chrestiente, de quoy avons bien besoin: voyant les ennemis de jour en jour prosperer et gaigner sur les Chrestiens. Le tres-illustre Seigneur Grand Maistre accompaigna nostredit saint Pere en l'eglise saint Pierre et aussi au couronnement, puys alla baiser le pied de sa Sainetete, en lui recommandant sa poure et desolee Religion. Ledit saint Pere lui sist fort gracieuse et aymable responce disant, que en tout ce qui seroit en sa puissance, il aideroit, favoriseroit et maintiendroit ladicte Religion. Et les privileges dicelles, considere et se souvenant bien que dicelle il avoit porte l'enseigne in minoribus. Et pour conclusion dist quil ne permettroit point que de son regne ladite Religion vint a moins ou perdition. Ledit Grand Maistre en toute reverence et humilite remercia sa Saintete. Puys lui requist que son plaisir fust de lui donner audience publicque: pour narrer sommairement a sa Saintete et a tous ses reverens Messeigneurs du saint College les choses passees au siege de Rhodes. Et en quelle maniere il a rendu sa ville de Rhodes au Turcq pour sa descharge. Non obstant que sa Saintete et plusieurs autres Seigneurs en estoyent bien informez. Laquelle requeste le saint Pere lui octroya, et passerent aulcuns jours: puys apres le dix-huitième jour de Decembre laudience lui fut donnee en consistoire. Et se presenta ledit Grand Maistre en toute reverence, c'est a dire a genoulx lui et tous ceux de sa compaignie, tant Prieurs, Baillifs, que Commandeurs, et Chevaliers. Et adonc pour et au nom dudit Seigneur et sa religion frere Thomas Guichard Rhodiot Vischancelier dudit Ordre portant la croix, homme trefeloquent et des plus scavans en l'art de Oratoire qui se treuve aujourdhui selon son age de vingt-cinq a vingt-six ans, feist une oraison elegante et aornee audit consistoire. Laquelle contenta tant la saintete de nostre saint Pere et tous les Seigneurs du college que merveille. Ladicte oraison finie, le Grand Maistre et tous nous autres de sa compaignie baisafmes le pied de nostredit saint Pere.
Comment le tres-illustre seigneur Grand Maistre feit une requeste au sainct pere le pape: pour avoir quelque lieu conuenable qui fust a l’honneur de dieu a de sa religion, esperant de veoir bon accord entre les princes Chrestiens: au moyen dequoy ils lui pourroient aider a recounter ceste infortunee cite de Rhodes.
Ulcuns jours apres, ledit Seigneur Grand Maistre voyant avoir despesche l’affaire principal pourquoy il estoit venu par devers le feu pape Adrian, lequel il mist en execution avec cestuy ci pour l’accident intervenu, pensa de se retirer et sa compaignie en quelque lieu de l’eglise pour non desplaire aux Princes estans en grands dissentions et inimitiez. Et trouva par son conseil que la ville de Viterbe citoit la plus commode et propice selon le temps pour y faire sa demeure, en attendant que les choses se changeassent, et que les Princes veinsent en quelque bon appoinctement, pour obtenir apres ung lieu duysant et convenable pour exercer les armes contre les ennemys de la foy Chrestienne selon que ses predecesseurs et lui ont tousjours faict, inferant que si Rhodes estoit perdue que la Religion, c'estassavoir sa personne et Chevaliers nettoient point perdus, ny le bon vouloir venu a moins, mais plus grand que jamais de faire chose a la louenge de Dieu, et augmentation et honneur de la Chrestiente. Cependant ledit tres-illustre Seigneur Grand Maistre requist a nostre saint Pere lui vouloir prester ladicte ville de Viterbe pour y faire lui et son convent residence. Ce que la sainctete du saint Pere lui octroya. Et lui donna jurisdition et auctorite de faire et commander audit lieu comme feroit sa personne propre. Ledit Seigneur Grand Maistre en toute reverence et humilite remercia nostredit sainct Pere le Pape, lui recommandant sa poure religion, le suppliant la vouloir maintenir et garder. Et sur ces parolles primit congie de la Sainctete. Et partant de Rome le vingt-cinquiesme jour de Janvier se retira a Viterbe avecques toute la compaignie. Et fut receu des Seigneurs gentils hommes et Citadins dudit lieu avecques grand honneur et courtoylie et avecques grande allegrye du peuple en general et particulier.
Comments
Post a Comment